Fillon : jugement sévère

Le couple Fillon en 2016
(Photo AFP)

Le tribunal correctionnel de Paris a rendu hier son jugement dans l’affaire François et Pénélope Fillon. L’ancien Premier ministre a été condamné à cinq de prison dont deux ferme et à 375 000 euros d’amende et son épouse à la même somme et trois ans de prison avec sursis. Ils devront rembourser plus d’un million d’euros à l’Assemblée nationale.

LE JUGEMENT est donc sévère mais, comme l’a dit un magistrat, il est à la hauteur du délit commis. La défense du couple a tenté, mais en vain, de suspendre la procédure en s’appuyant sur les déclarations de l’ancienne directrice du Parquet national financier, Éliane Houlette, qui a affirmé récemment avoir subi des pressions et s’est ensuite rétractée. Bien entendu, les époux Fillon ont fait appel, ce qui ajourne l’application des peines. La droite LR continue de s’appuyer sur l’hypothèse de la manipulation d’une procédure qu’elle considère comme à charge pour l’instrumentaliser elle-même dans le but de supprimer les poursuites. Malheureusement pour François et Pénélope Fillon, ils n’ont pas été en mesure d’apporter la preuve que l’emploi pour lequel elle a servi d’assistante parlementaire de son mari et un autre emploi à la Revue des Deux Mondes étaient réels. Pendant des années, elle a donc occupé des emplois fictifs pour lesquels elle a été largement rétribuée. Son « employeur » à la Revue des Deux-Mondes, Marc Ladreit de la Charrière, a lui-même été condamné à une peine assortie du sursis et à une forte amende pour abus de bien social.

Des faits établis et chiffrés.

Le jugement du tribunal de Paris n’achève donc pas le procès qui pourrait bien aller jusqu’à la Cour de cassation. Dans l’opinion en général sinon chez les Républicains, la culpabilité des deux époux ne fait aucun doute, car les faits sont établis et chiffrés. Pénélope Fillon n’a à aucun moment de l’instruction, apporté des documents confirmant sa présence à l’Assemblée, où les députés ne l’ont jamais vue et son travail pour M. Ladreit de la Charrière se résume à deux notices entre mai 2012 et mai 2013. Le jugement comprend des peines d’inéligibilité, de 10 ans pour M. Fillon, âgé de 66 ans. Pour mesurer la sévérité du délibéré, il faut d’abord évaluer le stratagème mis en place par l’ancien Premier ministre pour améliorer ses fins de mois. Il a pensé qu’il était licite de prendre sa femme pour assistante parlementaire, de la rémunérer grassement et de la laisser toucher son salaire lorsque, élevé à la fonction de Premier ministre, il a demandé à son remplaçant à l’Assemblée nationale, Marc Joulaud, à continuer à la payer pour ne rien faire. L’intention d’enrichir la famille en détournant des fonds payés par les contribuables était malsaine mais M. Fillon n’exprime à ce sujet ni regret ni remords. Il s’est toujours appuyé sur l’idée qu’un député avait le droit de prendre une proche comme assistante (ce qui était légal) et que le salaire qu’il lui versait ne regardait que lui-même. Encore aujourd’hui, il reste infiniment plus surpris de ce qui lui arrive qu’il n’exprime le moindre regret pour ce qu’il a fait.

Le coup porté à la démocratie.

Le cas Fillon est caricatural des pratiques naguère utilisées par nos élus, qui n’ont jamais montré un tel degré d’indécence dans l’appât du gain. Pour éviter que ce cas ne se reproduise, il a fallu interdire aux députés de recruter dans leur famille. Mais le coup porté par le scandale à la réputation de la démocratie française a contribué à la désaffection du peuple pour les élections, comme le prouve l’abstention historique du second tour des municipales. Le jugement est donc sévère, encore une fois, mais le délit a une dimension gigantesque : il témoigne du mépris de M. Fillon pour les institutions, de son cynisme, de l’arrogance avec laquelle il organise ses petites combines sordides, du peu de cas qu’il fait de ses propres électeurs, de la conviction naïve qu’il avait d’être au-dessus des lois, et du fait patent qu’il ne respecte rien ni personne puisque, dès lors qu’il parvenait à la deuxième fonction politique du pays, il songeait encore à grappiller quelques milliers d’euros en associant à son méfait une épouse qui n’a pas songé à mettre fin à ce comportement ni même à lui résister. M. Fillon n’a pas pensé une minute au sort qu’il réservait à sa femme et à ses enfants (eux-mêmes objet de l’enquête) si, par malheur, il était vu avec les doigts dans le pot de confiture. Il les a sciemment engagés dans une voie sans retour et il l’a fait non seulement parce qu’il était un  député au-dessus de tout soupçon, mais en leur faisant prendre un risque inouï. Époux indigne, père indigne.

Pratiquement, personne, chez LR, n’applique cette analyse.  La défense de M. Fillon, la thèse d’un complot pour le faire chuter, comme s’il n’avait pas accumulé les bonnes raisons de le mettre en examen, l’indignation fabriquée de la défense montre que tous les partisans de M. Fillon préfèrent la thèse de la cabale à la vérité. Heureusement qu’il y a une justice, en définitive indépendante, pour lister les délits commis et pour dresser un rempart contre une forme de délinquance qui obère le fonctionnement même de notre démocratie.

RICHARD LISCIA

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9 réponses à Fillon : jugement sévère

  1. sphynge dit :

    Que les époux Fillon soient coupables semblent donc ne plus faire aucun doute et qu’ils soient condamnés à des peines lourdes, étant donnée l’importance des détournements, normal.
    Mais, cela n’empêche nullement que la justice ne soit pas indépendante (si elle l’était, cela se saurait), et qu’elle a servi à éliminer un candidat conservateur dont le programme n’agréait pas à une majorité dans l’élite économique, financière, juridique, médiatique, à la fonction publique et à la gauche en général.
    L’opération s’est remarquablement déroulée, M. Fillon a été éliminé, un candidat adéquat a été promu.
    Et maintenant vont inévitablement avoir lieu toutes les enquêtes concernant tous les parlementaires s’étant livrés aux mêmes détournements d’argent public. Ou à d’autres méfaits, comme, par exemple, cela semble bien être le cas de M. Ferrand pour lequel la justice n’a aucun prétexte d’urgence comme la proche prescription des faits utilisée pour M. Fillon.
    Réponse
    La justice a exprimé son indépendance avant-hier, quand elle a refusé de se plier au faux coup de théâtre produit par Mme Houlette qui s’est ensuite rétractée, ce que semblent encore ignorer LR et ses nombreux soutiens qui s’expriment dans ce blog.
    R. L.

    • Num dit :

      Mme Houlette ne s’est pas rétractée, elle a seulement précisé que les pressions subies venaient de sa hiérarchie et non du pouvoir politique. Ce qui ne change rien à l’affaire. Le ministère de la Justice lance ce soir une inspection sur le fonctionnement du PNF.
      Réponse
      Ça change tout à l’affaire. Les « pressions » de la hiérarchie sont légales, celle du pouvoir politique ne le sont pas ; pourquoi croyez-vous que le ministère de la Justice lance une enquête sinon parce que l’opinion, enflammée par l’odeur du scandale, comme d’habitude, l’oblige à lui jeter un os à ronger? Il n’y a rien dans cette histoire, sinon la passion destructrice.
      R. L.

  2. Michel de Guibert dit :

    Le fait que Fillon se soit rendu coupable d’abus de bien sociaux par ces emplois fictifs de son épouse n’infirme en rien la thèse de la cabale étant donné le timing de la procédure pour des faits anciens éclatant de manière accélérée en pleine campagne électorale et ne prouve pas non plus la totale indépendance de la justice dans cette affaire.
    Réponse
    Faux. C’est la défense qui a instrumentalisé les déclarations de Mme Houlette pour obtenir (en vain) un nouveau procès. Même si M. Fillon n’avait pas été mis en examen avant les élections, un soupçon très fort de la population pesait sur lui. La justice a empêché qu’un candidat soit élu, puis mis en examen après l’élection.De toute façon, personne ne doute de sa culpabilité, pas même dans les rangs de LR.
    R. L.

  3. Num dit :

    Une justice indépendante ? Quelle blague ! Il faut être aveugle pour ne pas voir qu’il y a un grave problème avec une justice orientée digne des républiques bananières ou de Poutine. On avait eu un avant goût avec le Mur des cons. On a maintenant la preuve avec les scandaleuses instructions des affaires Sarkozy et Fillon. Qui ont délibérément cherché (avec succès) à abattre deux sérieux candidats à la présidentielle de 2017. Mais personne ne s’en offusque. Si la même affaire était arrivée avec des personnalités de gauche, on aurait hurlé au facisme et à la dictature.
    On hallucine ! Il faut faire le ménage dans cette justice qui se croit toute puissante et vite.
    Réponse
    Il faut être aveugle pour ne pas voir que les faits sont établis. Si l justice était « orientée » comme vous dites, copmment se fait-il que la droite, l’extrême droite et l’extrême soient coalisées contre elles ?
    R. L.

    • Num dit :

      En Russie, Chine, Venezuela, Turquie, on emprisonne les opposants politiques au prétexte que les faits sont établis aussi.
      Depuis le Mur des cons, tout le monde sait vers où penche la justice en France.
      Le PNF fait écouter dans la plus totale illégalité des dizaines d’avocats. Mais tout va bien…

      Réponse
      Écoutez Dr Num, si vous voulez avoir raison à tout prix en calquant la situation chinoise sur celle de la France, je vous suggère d’aller à Pékin.Vous êtes le prince de l’amalgame. Vous avez envoyé trois commentaires sur le même sujet : émotion incontrôlée ? Ou esprit d’escalier ? Pour en terminer, je rappelle que Catherine Champrenault, cheffe du Parquet général, a déclaré ce matin qu’elle avait pris le contrôle des investigations d’Eliane Houlette, mais qu’à aucun moment elle n’a subi de pressions du pouvoir, tenu à l’époque, je le rappelle, par François Hollande.
      R.L.

  4. admin dit :

    LL dit :
    Il fallait s’y attendre…

  5. dominique dit :

    Étant sarthois, et habitant tout près de la famille Fillon, je l’ai toujours soutenu et aidé dans sa spectaculaire progression politique . Il se décrivait comme étant beaucoup moins mal que la plupart des hommes politiques et, pour ses comportements locaux, je n’hésitais pas à le croire, jusqu’au jour où…Quelle déception ! Quel gâchis ! Quelle tristesse !

  6. jean-luc apprill dit :

    Une question : soit c’est Pénélope qui s’occupait des affaires de son mari, c’est la première version.
    Deuxième version: ce n’est pas Pénélope qui s’en occupait, mais alors qui faisait le travail ?
    Fillon tout seul ? Des intérimaires non déclarés ?
    Car Fillon avait une activité de parlementaire comme le autres, avec un planning , du courrier, des réunions, une logistique.

    Réponse
    M. Fillon avait bien sûr d’autres assistants moins bien payés que son épouse.
    R. L.

  7. christian SCHILLING dit :

    Vous avez raison certainement sur le fond, la culpabilité de Fillon. Étant gaulliste, je lui en veux beaucoup sur cette faute qui nous a fait perdre l’élection présidentielle : mais la hargne dont vous faites preuve vis-à-vis de Fillon me laisse perplexe ; mari et père indignes etc , choses jamais vue avant chez les hommes politiques (mon oeil !) : votre alignement quasi inconditionnel sur la politique macronienne ne justifie pas ce défoulement presque haineux et dénué de toute mesure ; serai-je publié malgré cela ?

    Réponse
    Vous n’auriez même pas dû poser la question. Ce que vous dîtes est totalement contradictoire : j’ai raison mais Fillon doit être épargné. Si je n’étais que gaulliste, quelle crédibilité aurais-je ? Si je vous comprends bien, Fillon est sûrement coupable, mais je dois l’encenser quand même ? Quel exemple donne-t-il de la probité politique ? Comment ne pas s’indigner ? Si je ne m’élève pas contre la malhonnêteté, qui le fera ? Vous, gaulliste engagé ?
    Enfin, contrairement à ce que affirmez, je ne suis pas macroniste. On ne décide pas ce que je suis sur une chronique consacrée à M. Fillon. Si vous me lisiez de temps en temps et pas une fois seulement, vous sauriez que je critique la majorité aussi, Macron aussi. C’est incroyable que personne ne croit à ma liberté. Je suis libre. J’écris ce que je pense, sinon je n’écrirai pas un mot et je dois cette liberté à notre démocratie et à un journal qui n’a jamais exercé sur moi la moindre pression.
    R. L

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