L’Europe mérite mieux

Les deux font la paire
(Photo AFP)

Les leaders de l’opposition se sont hâtés de dénoncer l’accord conclu lundi à Bruxelles sur le financement de la relance économique. Le texte n’étant pas parfait, comme il se doit pour chaque négociation au sommet, ils ont trouvé ou inventé des arguments pour le démolir. Mais la question ne se pose pas en termes techniques. Il est absurde de négliger le plus important : le changement profond de la politique de l’Union.

TOUT LE MONDE a compris qu’il s’est produit à Bruxelles un événement d’importance « historique ». Au moins un parti, le PS, par la voix de François Hollande, a admis que le progrès est considérable. Anti-européens par principe, les deux extrêmes ont dénoncé le document en termes brutaux. La droite LR a reconnu les aspects positifs de l’accord tout en soulevant des réserves au sujet du financement de la Politique agricole commune (PAC), qui devait être réduite de toute façon, et au sujet du remboursement. Emmanuel Macron, dans son entretien hier soir avec TF1, a répliqué que les intérêts des agriculteurs français sont protégés pour une période de sept années et que c’est l’Europe, et non le contribuable français, qui remboursera les sommes empruntées. Cette bataille technique, qui contient des inconnues sur les délais de remboursement et sur le chiffrage des montants obtenus, certains étant des subventions non remboursables, d’autres devant figurer dans la dette publique de la France, jette un voile sur la nouvelle donne politique créée par l’accord.

Le rôle vital d’Angela Merkel.

Il est impossible de mettre le texte au passif du président de la République, dont le succès personnel, bien entendu (et pourquoi s’en cacher ?), prépare les élections de 2022. Pour Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen, ce qui vient de se produire est déjà un désastre. Le message envoyé aux populations européennes et donc française est que l’Europe vit, qu’elle fonctionne, qu’elle est capable de surmonter d’énormes obstacles, et qu’elle est résolument solidaire, principalement grâce à Angela Merkel. S’il y a eu un moment historique, ce n’était pas hier, c’était ce jour de mai, en pleine pandémie, où la chancelière, saisie par une de ces émotions dont elle a le secret, a rejoint la pensée du président français et fait bloc avec lui. C’eût été une sinécure pour Mark Rutte, Premier ministre néerlandais, de balayer les efforts de M. Macron si celui-ci s’était battu seul contre les pays dits frugaux, ce camp auquel l’Allemagne appartenait il y a encore deux mois. C’est devenu beaucoup plus compliqué de refouler la puissante Allemagne.

Ici, c’est l’Europe.

Je place la qualité et l’ingéniosité de la diplomatie française au niveau qu’elle mérite. Elle est infiniment moins calculatrice qu’elle est habitée par sa foi européenne. Ici, c’est l’Europe : et accomplir son intégration, c’est, en toute circonstance, améliorer le niveau de vie des Européens, leur apporter un supplément d’espoir et lutter contre les dérives autocratiques. Pendant la négociation, si difficile, les leaders européens n’ont pas voulu compliquer les choses en demandant aux pays « illibéraux » de donner des gages aux libertés civiles avant de toucher les subventions. Mais le seul fait que l’Europe progresse suffit à mettre en danger leurs desseins anti-démocratiques. La Pologne et la Hongrie ne pourront pas, à terme, être des ilôts de non-droit dans un océan de liberté. Suis-je trop optimiste ? Pas tant que ça. La présidentielle polonaise n’a été gagnée que de justesse par le PiS, le parti autoritaire actuellement au gouvernement. En Hongrie, Viktor Orban fait  face à une contestation de plus en plus large. Laissons-les se débrouiller avec leurs peuples. Et d’ailleurs, il n’aurait pas été très éthique de conditionner leur accès à l’argent européen à une évolution vers le libéralisme.

Lui, il agit.

Le sommet hallucinant de juillet 2020 n’a donc pas été seulement une affaire de gros sous. Il a assuré le sursaut des peuples européens dans le sens du fédéralisme. Il a montré que l’Union peut s’épargner ce genre de négociation si elle est plus intégrée, financièrement, économiquement, humainement, socialement. Le marathon a aussi été un sprint destiné à gérer la priorité des priorités. Il n’a pu avoir lieu que grâce à un changement de philosophie. Voilà pourquoi la technique d’épouillage des accords passe complètement à côté des problèmes centraux. Elle passe à côté du destin de l’UE, à côté de l’essentiel, à côté de l’avenir inéluctable, quoi qu’en pensent M. Mélenchon et Mme Le Pen. Que M. Macron en tire un avantage personnel, quoi de plus naturel ? On l’accable de critiques parce que les mots ne coûtent rien. Lui, il fait, il agit et il obtient parfois des résultats. Regardez le tableau de la politique post-Édouard Philippe : M. Macron obtient à l’arraché un accord européen vital. M. Castex reporte de six mois la réforme des retraites, se rapproche de la ruralité et des Français les moins nantis. Il conclut un accord majoritaire sur l’hôpital. Les deux font la paire. Et il n’y a pas un mois que Castex a été nommé Premier ministre, en lieu et place de l’excellent Édouard Philippe.

RICHARD LISCIA

 

Ce contenu a été publié dans Non classé. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Une réponse à L’Europe mérite mieux

  1. admin dit :

    Laurent Liscia
    C’est difficile de ne pas être épuisé par la bêtise ambiante.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.