Violences des uns et des autres

Gérald Darmanin
(Photo AFP)

Mardi, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a eu un mot pour le moins malheureux et plutôt scandaleux. Il a déclaré que, lorsqu’il entend parler de violences policières, il étouffe. Remarque qui lui ont valu de vives critiques alors qu’il fait l’objet, par ailleurs, d’une enquête judiciaire liées à des accusations de viol.

L’OBJECTIF de M. Darmanin était de rassurer les policiers sur sa solidarité, après qu’ils ont estimé que son prédécesseur, Christophe Castaner, ne les avait pas toujours traités avec bienveillance. Le problème est ancien et permanent. Il serait absurde de nier que les policiers, gendarmes et forces de l’ordre, commettent des violences, notamment dans le feu de l’action au moment des manifestations qui se transforment en émeutes et en incendies de rue. Les actes répréhensibles de la police sont connus, identifiés et examinés par l’IGPN (police des polices). Des sanctions sont prises parfois. Une récente enquête journalistique a mis au jour des comportements excessifs et brutaux commis par des policiers chargés de transférer des détenus au tribunal de Paris. La réflexion du ministre est malencontreuse et même répugnante : il n’a rien de comparable entre son indignation personnelle et le sort subi par les malheureux traités comme des criminels avant d’avoir été jugés. D’autant que M. Darmanin, manifestement, faisait allusion au drame du 3 janvier dernier : un coursier, Cédric Chauviat, interpellé à Paris par la police, s’est engagé dans une querelle avec eux, tant et si bien qu’il a été plaqué au sol à la manière de George Floyd. Étranglé, il a dit neuf fois qu’il étouffait. Deux jours plus tard, il est mort à l’hôpital d’un larynx brisé.

Brebis galeuses.

Cette affaire ne résulte pas d’un affrontement avec les gilets jaunes ou avec les black blocs. Les policiers ont recouru à la force d’une manière disproportionnée. Provoqués et insultés par M. Chauviat, ils n’avaient néanmoins aucune raison de lui faire courir le moindre danger. La vérité est que l’abus d’usage de la force, au moins dans ce cas précis, est clair. M. Darmanin doit être solidaire de la police en général, mais pas des policiers dont la colère les conduit à l’homicide. Cette affaire tragique démontre l’absurdité de la généralisation. Le cas de M. Chauviat doit inévitablement aboutir à un procès et à un jugement ; et quand le ministre de l’Intérieur affirme que les « violences policières sont légitimes », il vole, certes, au secours d’une profession minée par la multiplicité des actes de délinquance, démoralisée, dont de nombreux membres finissent par se suicider, ce qui est intolérable, mais il ne peut pas ignorer la présence de brebis galeuses au sein d’un corps qui, toutes spécialités additionnées, représente 250 000 hommes et femmes.

Protéger la population.

Même si on écarte les considérations éthiques, il est impossible d’approuver le ministre. D’abord parce que les faits relatifs à la mort de M. Chauviat relèvent de la criminalité ; ensuite parce que, dans son désir de donner un gage à ses subordonnés, M. Darmanin a oublié le sort qui a été réservé à la victime par des hommes dont le premier devoir consiste à protéger la population civile. Si M. Castaner a fini par perdre son portefeuille, c’est parce qu’il a tenté d’établir un équilibre entre la glorification nécessaire de la police dont aucun pouvoir (et, dirai-je, aucun peuple) ne peut se passer, et la nécessité, pour les forces de l’ordre, de ne jamais être tentées de se comporter en délinquants. L’expression la plus utilisée est « gardien de la paix ». Ce mot signifie que la société refoule et sanctionne les comportements délictueux et dangereux, mais qu’elle respecte les droits de chaque individu. Ce n’est pas le cas là où le présumé innocent est traité en tant que détenu et perd ses droits dès qu’il est confronté uniquement aux forces de l’ordre et en l’absence de témoin impartial. Ce n’est pas le cas quand des détenus immigrés reçoivent des insultes racistes qui en disent long sur leur déshumanisation dans le cadre carcéral. Ce n’est pas le cas quand des brutalités ou des remarques déplacées sont faites sans qu’il y ait un contexte belliqueux, comme les manifestations débordées par des provocateurs professionnels.

M. Darmanin devrait s’excuser auprès de la famille Chauviat, ou alors se poser la question de ses compétences de ministre de l’Intérieur. Il a en effet adopté une attitude qui, loin de calmer la société, la pousse de nouveau à la colère, dont on connaît les conséquences, alors que nous avons besoin d’unité et de coopération contre les divers maux dont nous souffrons. M. Darmanin a été nommé à l’Intérieur parce que c’était chez lui plus qu’une aspiration, une obsession. Qu’il se demande maintenant s’il réunit toute la souplesse et la subtilité pour conserver ce poste.

RICHARD LISCIA

 

 

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7 réponses à Violences des uns et des autres

  1. Sphynge dit :

    Mais il faudrait être d’acier (ce qu’on ne peut exiger de personne quelle que soit la formation reçue, sinon chez quelques sujets exceptionnels), pour proportionner la réaction devant un individu qui n’obtempère pas, vous insulte, vous agresse physiquement. Ne pas obtempérer aux injonctions d’un policier expose à des accidents, comme le policier y est lui-même exposé dans ces cas. Hormis les cas probablement rares chez les policiers (racisme, démence, etc.), un individu qui obtempère n’est jamais exposé à des violences policières. Dans le cas général, un individu qui n’obtempère pas prend un risque dont il doit assumer seul les conséquences. La seule certitude de défaut d’obtempérer devrait dégager le policier de toute responsabilité en cas d’accident. Une telle règle aurait en outre des vertus pédagogiques.

    Réponse
    Autrement dit, un homme qui agonise et vous le dit doit mourir. Permettez-moi de ne pas être d’accord.

    • Num dit :

      Tout à fait d’accord avec Sphynge. Cette manie systématique de faire passer les coupables pour les victimes en France est insupportable et entraîne notre société vers une dérive grave. Cette dérive c’est que chacun impose ses règles et qu’obéir à la police n’est qu’une option. Les conséquences sont dramatiques comme on peut le voir régulièrement et encore ce week-end à Étampes, c’est la loi du plus fort et des clans.
      Pour répondre à M. Liscia, non un homme qui agonise ne doit pas mourir et nul ne souhaite en arriver à cet extrême. Mais s’il avait juste obtempéré et s’était montré pacifique, on n’en serait pas arrivé là. Quand j’éduque mes enfants, je leur apprends à ne pas jouer avec des allumettes. Et s’il se brûlent, je n’incrimine pas les allumettes.
      Marre de cette société de renversement permanent de la norme, de la règle et du droit. Soutien total à la police dont le quotidien est extrêmement difficile.

      Réponse
      Jugement à la Ponce-Pilate.
      R. L.

  2. mathieu dit :

    Très pertinente analyse et révolte réconfortante et salutaire face à des violences – au minimum des abus de pouvoir – policières quotidiennes et endémiques. La proportion de la réaction doit être une loi sacrée, organique, incontournable, sinon, changez de métier, MM. les « Gardiens de la Paix ».
    De manière moins violente, cette disproportion de la réaction (mêlée à l’instinct du chasseur) a fait florès pendant le confinement, où l’on a vu les moyens de l’État les plus lourds se déchaîner sur quelques malheureux baigneurs isolés sur une plage, ou randonneurs du dimanche, l’un et l’autre pourchassés par la police aéroportée, au prix du danger…et de quelques milliers d’euros l’heure de vol! « Ils veulent la guerre, ils l’auront: les hélicos, les gaz, les bombes à bille! » (M. Audiard)
    On attrape les Koulibali et les Abdeslam qu’on peut !

    Réponse
    J’ai même entendu dire que l’État, objet de tous nos ressentiments, a utilisé l’arme nucléaire contre les plagistes. Votre comparaison avec la lutte anti-terroriste est-elle abjecte ou seulement scandaleuse ? J’ai dit les choses, mais tout ce qui est excessif est insignifiant.
    R. L.

    • mathieu dit :

      Je vous laisse le choix entre abjection et scandale, des mots, comme toujours, d’une extrême retenue! Toujours cette « réaction proportionnée »…qui fait le charme et le sel de ce blog!

    • Num dit :

      La proportion doit être une loi sacrée. Mais sacrée doit tout autant l’être le respect des lois et de l’ordre et l’obéissance à la police.
      Vous regardez le problème à l’envers. Si le nombre de réactions violentes de la police augmente ce n’est pas que la police est plus violente mais que les agressions, les émeutes, les rebellions sont de plus en plus nombreuses et graves.

      Pour conclure, je n’interprète pas comme vous les propos de M. Darmanin qui a mon soutien total en l’occurrence (ce qui est rarement le cas). Il « étouffe quand il entend parler de violences policières » parce que c’est absolument marginal et anecdotique. Ça n’existe pas (hormis quelques faits divers bien sûr). Ceux qui essaient d’introduire ce concept sont les gilets jaunes et l’extrême gauche. Je suis comme Darmanin, j’ai envie de vomir. Pauvre France qui plaint et soutient ses émeutiers et critique ses policiers !

      Réponse
      Je suis pour la police et je défends la présomption d’innocence à laquelle a droit le ministre de l’Intérieur. Mais le cas de Cédric Chauviat, mon seul propos en l’occurrence, que vous avez élargi, est inacceptable, sauf si on décide qu’un policier a le droit de vie ou de mort sur un citoyen. Les provocations de M. Chauviat ne méritaient pas la peine de mort, dont je vous rappelle qu’elle est abolie en France et ne pouvait jadis être prononcée que par une Cour d’Assises. Le droit, M. Num. Le droit.
      R. L.

  3. mathieu dit :

    Travaillant quotidiennement avec les policiers et pénitentiaires, y comptant même pas mal d’amis, certains remarquables de pondération, je peux affirmer que le goût de la provocation, de l’envenimation des situations, le grand bonheur d’aligner les « prunes », la réaction épidermique du « coup pour coup », ne sont pas évidemment constitutifs de ces métiers difficiles, mais cette part sombre est loin d’être marginale ou anecdotique. Dans d’autres professions, les mauvais instincts sont moins visibles. Chez les flics, ils sautent aux yeux, c.à.d. aux caméras de surveillances et autres portables, qui voient le meilleur et montrent.

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