Catastrophe au Liban

Un amas de ruines
(Photo AFP)

Beyrouth a été dévastée hier par une double et énorme explosion dans un entrepôt du port qui contenait 2750 tonnes de nitrate d’ammonium. À cette heure, on dénombre plus de cent morts, au moins 4000 blessés, et des centaines de disparus. La France a apporté son soutien au Liban sous la forme de deux équipes spécialisées dans l’exploration des décombres. Le président Macron se rend demain à Beyrouth.

LA SEULE question qui vaille est la suivante : s’agit-il d’un attentat ou d’un accident ? La thèse d’un désastre accidentel est parfaitement plausible. Le nitrate d’ammonium a causé des ravages considérables un peu partout, notamment à Toulouse en 2001 (accident chez AZF) et en 1995 à Oklahoma City (attentat de l’extrême droite qui a détruit un immeuble fédéral et fait 168 morts). Les autorités libanaises ont déjà annoncé qu’il ne s’agissait pas de l’œuvre d’un terroriste dans le pays où les terroristes sont nombreux. Chaque fois qu’une explosion se produit, on se tourne vers le Hezbollah qui a l’habitude de stocker des armes dangereuses dans des locaux civils. Le pire, peut-être, c’est que l’entrepôt ne faisait l’objet d’aucune surveillance particulière.

Une pensée pour le Hezbollah.

Mais le résultat est le même : déjà fragilisé à l’extrême par la crise économique qu’a induite la pandémie de Covid-19, le Liban pourrait bien avoir mis son second genou à terre. Plus il est vulnérable et plus il est soumis à des influences étrangères (Syrie, Iran, Turquie) qui ne cherchent même pas à cacher leurs ambitions dans la région. Or les Libanais sont très divisés en ethnies et religions différentes et de toute façon la formule qui les régit et distribue les postes et les influences en fonction du poids démographique de chaque communauté ne fonctionne plus. Pour plusieurs raisons : la déstabilisation croissante du Moyen-Orient par la guerre civile en Syrie où s’affrontent Russes, Turcs, Iraniens, Kurdes, encore quelques militaires américains, musulmans et chrétiens ; l’appétit de la Turquie dont le président, Recep Tayyip Erdogan, affirme qu’il veut reconstituer l’empire ottoman (qui, bien entendu, comprenait le Liban) ; la présence du Hezbollah, État dans l’État, qui menace Israël de ses centaines de milliers de roquettes  et dont l’action est favorisée par les mauvaises relations entre Beyrouth et Jérusalem.

Empire ottoman.

La Russie de Vladimir Poutine, pour sa part, se contente de conserver sa présence en Syrie et ne souhaite pas étendre son influence au-delà. Ce n’est pas la position d’Erdogan, qui dirige la Turquie d’une main de fer et se croit tout permis, y compris son intervention militaire en Libye et son agressivité peu otanienne à l’égard de la France notamment. Tous les pays, les dictatures comme les régimes démocratiques, ont offert leur aide au Liban. Mais les secours envoyés par des régimes autoritaires seront fatalement intéressés et amorcent un début de reprise en main du Liban, gouverné en dépit du bon sens. Les Libanais ont tenté vainement de faire coexister dans leur minuscule territoire toutes sortes de communautés qui ont fait de leur identité leur objectif, leur passion et leur unique programme. À part çà, l’indolence méditerranéenne n’a pas aidé au renforcement de l’autorité gouvernementale. De sorte que les inégalités sociales ont toujours été très grandes et que le taux de chômage au Liban est de 35 %, sans compter un endettement de 170 % du la production intérieure brute qui résulte essentiellement de la corruption de la classe politique. La France est très attachée au Liban, pays où elle exerce encore au moins une influence francophone et qui, avant de sombrer dans la guerre civile en 1975, était considéré comme un paradis au bord de la Méditerranée. Mais toute la compassion du monde ne viendra pas à bout de divisions qui séparent les morceaux du puzzle libanais et ne lui ouvrent guère un avenir radieux.

RICHARD LISCIA

 

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3 réponses à Catastrophe au Liban

  1. GUINARD dit :

    Je vois que l’actualité ne vous laisse pas de répit ! Merci de vos commentaires toujours avisés. Pensez cependant à prendre un peu de repos. Bien cordialement à vous.

    Réponse
    Merci infiniment. La rédaction du blog n’est pas un effort physique. Elle est uniquement alimentée par les journaux, la télévision et la radio. Je passe un excellent moment. Bien à vous
    R. L.

  2. Laurent Liscia dit :

    Mes amis libanais (chrétiens) demeurent convaincus que les Israéliens ont ciblé un entrepôt de munitions Hezbollah, sans savoir qu’il y avait des engrais dans un entrepôt voisin. Les Libanais ont l’habitude des conspirations et on ne peut pas leur en vouloir de croire au pire… Cela dit, la théorie ne semble pas coller aux faits: un entrepôt de munitions Hezbollah au port d’Achrafieh, en quartier chrétien? Alors que les armes viennent généralement d’Iran, par la route ? En tout cas, 15 ans après l’assassinat de Rafick Hariri, le « tribunal spécial » constitue par le Liban pour décider du sort de ses assassins présumés, membres du Hezbollah, va rendre son verdict dans les jours qui viennent. On peut imaginer que le verdict sera maintenant plus sévère que prévu.

    Réponse
    Israël ne se serait jamais permis de détruire un tiers de Beyrouth pour effacer un stock de nitrate d’ammonium. On ne prête qu’aux riches. Tes amis libanais ne voient pas ce qui crève les yeux : que leur classe politique est totalement corrompue, ce qui n’est la faute ni d’Israël ni du Hezbollah, dont les ardeurs guerrières n’arrangent rien par ailleurs.
    R. L.

    • Michel de Guibert dit :

      C’est un peu aussi ce qu’a laissé entendre Michel Aoun…
      Le problème, c’est que Michel Aoun, qui a voulu lutter contre le népotisme et la corruption de la classe politique libanaise, s’est allié pour cela, contre le clan Hariri inféodé à l’Arabie saoudite, au Hezbollah, qui est un véritable état dans l’Etat.

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