Sahel : la France menacée

Scènes de putsch
(Photo AFP)

Emmanuel Macron reçoit Angela Merkel aujourd’hui à Fort-Brégançon pour donner une application concrète au plan de 750 milliards destiné à stimuler l’économie européenne. Ils ne pourront cependant  exclure de leur dialogue la crise en Biélorussie à la suite d’élections contestées par l’opposition et par nombre de pays européens, et le problème, maintenant crucial, posé par le coup d’État militaire au Mali.

LA RÉVOLTE de l’arme malienne n’est pas la première, mais elle s’inscrit dans un contexte particulièrement dangereux. Elle, qui est sortie de ses casernes, est incapable de combattre sérieusement les insurgés terroristes, lesquels occupent littéralement les deux tiers du pays ; et si Bamako est encore protégée, c’est grâce aux soldats français (plus de 5 000) qui repoussent inlassablement les djihadistes venus d’ailleurs (principalement de Libye) et qui sévissent au Niger, au Tchad, au Burkina Faso. À plusieurs reprises, le président de la République a tenté de démontrer à ses partenaires européens que la charge accablante de la sécurité au Sahel devait être partagée entre États européens disposant d’une armée forte et agile, capable, comme la nôtre, de se projeter en dehors de ses frontières. La solidarité européenne  s’est arrêtée là, les partenaires de la France ne souhaitant nullement voler à son secours. M. Macron répètera donc à la chancelière, probablement sans succès, que le déploiement des forces françaises à travers le monde (47 de nos soldats sont morts sur le champ de bataille au Sahel) devient insupportable et même dangereux.

L’œuvre de la corruption.

Le président de la République a bien tenté de former une armée africaine susceptible de prendre le relais des militaires français mais sans succès jusqu’à présent. La raison de son échec est simple : la corruption qui, au Mali s’est terminée par un coup d’État, est la même qui mine les pays du Sahel, parvenus à un degré de faiblesse économique et éthique si bas que la constitution d’une armée crédible est au-dessus de leurs forces. La vérité est que le Mali est au bord de la désagrégation et que le désordre politique instauré par une fraction d’une armée étrange (celle qui ne combat pas l’ennemi, mais détruit les institutions) rend très compliquée la poursuite des opérations Barkhane. Il n’y a plus un seul Malien qui protège la population du Mali. C’est devenu l’affaire unique du corps expéditionnaire français. Tout le monde sait pourquoi nous sommes au Mali : parce que, si ce verrou saute, les terroristes viendront en France et en Europe. La destitution d’Ibrahim Boubacar Keïta (appelé aussi IBK) chasse sans doute un régime corrompu. Mais la présence de nos militaires, d’abord perçue comme une protection et saluée, à son arrivée il y a quelques années, comme un miracle par la population malienne (rappelez-vous la joie de François Hollande qui disait : « C’est le plus beau jour de ma vie ! »), est aujourd’hui contestée politiquement, ce qui ne facilite guère sa tâche. Toutefois, le danger d’un nouveau pouvoir réclamant la fin de Barkhane est peu probable : les djihadistes ne feraient qu’une bouchée des militaires maliens.

« Occupé », le Mali ?

M. Macron n’a pas d’autre choix que de poursuivre sur sa lancée. Il ne retirera pas ses troupes tant qu’un pouvoir légitime ne le lui demandera pas. Il a vivement critiqué le coup d’État, moins pour soutenir IBK que pour dénoncer un désordre politique qui crée un contexte défavorable à l’action de Barkhane. Il n’est peut-être pas inutile que de nouvelles élections organisées par des civils et surveillées par l’ONU donnent au Mali un gouvernement honnête et actif. Mais la procédure législative sera lente dans un pays qui a perdu son gouvernement, ce qui, en définitive, conduirait nos militaires à demander leurs instructions aux officiers de la junte malienne. Pas sûr qu’un tel système fonctionne. Pas sûr que nos généraux l’acceptent et encore moins sûr que le chef de l’État s’en contente. Il est donc probable que l’armée française continuera ses opérations en prenant ses ordres à Paris. Ce qui risque d’aggraver le malaise de la population qui, paradoxalement, se croit « occupée ».

RICHARD LISCIA

 

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Une réponse à Sahel : la France menacée

  1. Laurent Liscia dit :

    Le parallèle entre l’Europe qui se bâtit interminablement entre Francais et Allemands, et l’embourbement français au Sahel est fulgurant. L’Histoire ne lâche jamais prise. Elle avance lentement, quels que soient les progrès technologiques et la vitesse du changement social ; et l’épaisseur géologique de ses strates ne se dément jamais. Il y a des milliers d’années que nomades et fermiers sédentaires s’affrontent au Sahel, et la version djihadiste n’est qu’une redite sous de nouvelles couleurs. La plupart des conflits mondiaux sont vieux … comme le monde. Dans cette exacte lignée, la France continue de payer son passé colonial. En effet, « Macron n’a pas d’autre choix que de poursuivre sur sa lancée. »

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