D’Obama à Trump

Barack Obama
(Photo AFP)

L’ancien président des États-Unis (2007-2017), Barack Obama poursuit le publication de ses mémoires (La Terre promise)∗. S’il offre peu de révélations, il expose une philosophie à des années-lumière des expériences parfois douloureuses du monde d’aujourd’hui.

L’OUVRAGE est sévère pour quelques-uns des chefs d’État ou de gouvernement qu’il a rencontrés, par exemple M. Sarkozy ou David Cameron (Premier ministre britannique) ou plus élogieux, par exemple Angela Merkel. Ce qui compte, en réalité, ce sont les circonstances familiales et historiques qui ont conduit le jeune Barack à faire carrière dans la politique malgré les objections de son épouse Michelle, à être élu sénateur, puis battre Hillary Clinton aux primaires de 2006 et être élu président des États-Unis.

C’était, pour  les Noirs américains, une revanche bienvenue après l’esclavagisme, puis la ségrégation et le racisme. Le président Obama a été réélu à un second mandat, ce qui laissait penser en 2012 que la société américaine avait surmonté durablement sa longue crise raciale et que le rêve américain devenait possible pour n’importe quelle minorité. Le double triomphe d’Obama cachait pourtant une rage, une colère, un ressentiment enfouis jusqu’alors dans le tréfonds de la société et qui a donné lieu à une éruption volcanique. Le passage direct d’Obama à Trump démontre que, si le choix d’un président noir avait été un immense progrès, celui d’un président xénophobe et raciste incapable d’exciper d’autre chose que ses terribles défauts,  était, pour la moitié des Américains, le remède à la pilule Obama qu’elle n’avait toujours pas digérée.

Le legs d’Obama.

L’ex-président a donné un entretien à François Busnel,  chroniqueur littéraire à la télévision, ce qui aura suffi à apaiser la nostalgie de nombre de Français qui ont gardé de ce président américain, encore jeune et élégant, un souvenir ébloui. Sans doute aurait-il pu faire, pendant ces huit années au pouvoir, plus et mieux. Mais nul ne saurait lui nier sa classe, sa démarche souple et fluide héritée du basket, sa distinction et son charisme (qui nous changent de la grossièreté et de la sémantique vulgaire de Trump) ni la force d’une vision du monde qui, si elle avait été mieux mise à contribution, aurait pu ébranler quelques montagnes.

Personne n’a oublié les hésitations, souvent catastrophiques, d’Obama, par exemple quand il a refusé d’engager en Syrie les troupes américaines, amorçant de la sorte une série d’abandons au Proche-Orient et livrant François Hollande à la pire des solitudes. Personne n’ignore qu’il s’est lancé dans une campagne de séduction du monde arabo-musulman, ce qui n’a eu aucune influence sur le terrorisme mondial. Et personne, dans son propre parti, n’a vu venir le cataclysme que représentaient la candidature et la victoire de Trump.

Pourquoi Trump a-t-il failli être réélu ?

Aussi est-on en droit de formuler sur Barack Obama des jugements mitigés. Mais on ne reste pas insensible au charme de l’homme d’État qui parle en philosophe et n’a jamais été aussi libre de s’exprimer que depuis qu’il a quitté la Maison Blanche. On ne le regrette pas uniquement pour ce qu’il est, à mon avis un honnête homme, mais à cause du successeur qu’il a eu, une sorte d’antithèse d’Obama qui a tout fait pour éradiquer l’influence qu’il a laissée, par exemple le système d’assurance-maladie, comme s’il réglait un compte personnel.

On est donc saisi par le doute : pourquoi les Américains, qui ont accepté un président noir pendant deux mandats, n’ont-ils pas voulu d’une femme blanche au même poste ? Pourquoi, après un bond en avant pour l’affranchissement des minorités, pour la lutte contre les inégalités et pour  l’environnement, cette incroyable régression, comme l’Amérique n’en avait pas connu auparavant ? Et pourquoi le courant réactionnaire s’est-il tellement renforcé au point d’être totalement aveugle aux bouffonneries d’un clown qui a soumis la plus grande puissance mondiale à ses caprices infantiles et à son narcissisme ?

Pour battre Trump, il a fallu rassembler au sein du même parti toutes les forces de la gauche et du centre. Si Trump, sans gagner, a fait un score aussi impressionnant, c’est qu’une moitié de l’Amérique, loin d’être révulsée par son comportement de psychopathe, s’estime fort bien représentée par lui. On est content de ce qu’Obama soit là, qu’il ait soutenu Biden, qu’il publie des livres pour diffuser ses idées. On est content aussi de ce qu’un membre prestigieux de la communauté noire des États-Unis soit un esprit de haute volée. Mais on est inquiet de ce que, loin d’enthousiasmer tous les Blancs et tous les Noirs à la fois, il ait laissé la place à un individu qui concentre toutes les tares humaines. Ce n’est pas parce que Trump est ce qu’il est que ses compatriotes votent pour lui. Ils l’ont choisi malgré ce qu’il est et même s’il allait les entraîner dans une effroyable mésaventure. Voilà le fonds de l’affaire : le racisme massif et durable d’une moitié du peuple américain.

RICHARD LISCIA

∗  848 pages, Fayard

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4 réponses à D’Obama à Trump

  1. Laurent Liscia dit :

    Barack Oabama l’a emporté à deux reprises, et pour ce faire il faut gagner dans les États « pourpres », ceux qui oscillent entre républicains et démocrates tous les quatre ans. Je ne suis pas certain que le racisme pur et simple soit derrière le succes de Trump, pas plus que la misogynie n’est la seule cause de la défaite de Hillary Clinton. C’est un fait que le DNC, l’organe central du parti démocrate, n’a pas eu une seule idee pour endiguer la montée du Tea Party, dont Trump est au fond le manipulateur. C’est plutôt le populisme qui fait des ravages – vaguement raciste, vaguement misogyne, vaguement xénophobe, mais surtout patriote, teigneux, irrationnel, et affligé d’un déni total de la réalité. Bref, les Gilets Jaunes. Ce phénomène n’est pas proprement américain. Je te rejoins pour dire que la vision d’Obama n’a pas les pieds sur terre, pour ainsi dire. Biden propose un message d’unité, mais autour de quel programme ? Le programme Obama. On ne peut pas avancer si on ne gère pas directement la menace populiste.

  2. mathieu dit :

    Beaucoup de vrai et de lucidité dans ce billet, surtout dans une phrase, qui, je le crains, ne se voulait qu’anecdotique mais qui en fait symbolise et synthétise tout Obama et son héritage pour l’Histoire: « Sa classe, sa démarche souple et fluide, sa distinction et son charisme ». tout cela est incontestable et ne lui sera jamais retiré. Ajoutons un talent éprouvé d’acteur de téléréalité et un expert inégalable dans la com médiatique. Pour le reste, un rôle d’accompagnateur de l’Histoire, un authentique et sincère humaniste, un catalogue de bonnes intentions qui n’auront jamais dépassé le stade du vœu pieux.
    Bilan concret de ces 8 années face à l’Histoire ? Il y a sûrement du positif, souvent d’ailleurs dans une position de suiveur plus que d’impulseur (cf l’accord sur le climat). Mais ce qui saute aux yeux aujourd’hui (les nôtres, car Obama, lui, comme aurait dit un autre président, « regardait ailleurs »: la politique du retrait, du repli, du lâcher en rase campagne de tous les peuples et nations envahis, opprimés ou massacrés, le silence assourdissant et prolongé sur le dossier israélo-palestinien, la mort de l’ONU et de l’OTAN, la génération, sur ce vide politique international, d’une nouvelle race de dictateurs sans vergogne et à l’impunité assurée (Poutine, Erdogan, El Assad) et/ou de populistes manipulateurs de haut vol (au premier rang duquel l’ineffable M. Trump!).
    Sur le plan intérieur, un clivage communautaire et racial qui n’a fait que s’accroître sous Obama. Une présidence d’occasions manquées, un potentiel inouï de progrès et d’avancées inutilisé, un charisme et une cote d’amour exceptionnels mais stériles! « Yes we can! »… nous aurions pu le faire!
    Mais, c’est vrai, une belle gueule! et quel joueur de basket ! Hélas cela ne fait pas forcément un président !

  3. JMB dit :

    Comme l’indique le documentaire américain de Michael Kirk, Trump émet, dès 2011, des doutes sur le lieu de naissance d’Obama (devenir président implique d’être né aux États-Unis) et sur sa religion (n’est-il pas musulman ?), et évoque déjà la possibilité que son élection soit une grande arnaque. Obama lui répond nommément et ironiquement lors d’une réunion médiatique et politique de Washington : ce problème étant résolu, Trump va pouvoir s’occuper d’affaires sérieuses comme « avons-nous marché sur la Lune ? ». Il prend des décisions sérieuses lors d’émissions de télévision, dont la gravité empêcherait Obama de dormir. Selon des observateurs interviewés, cette humiliation déclenche chez Trump l’ambition de devenir président des États-Unis.
    Les premiers émigrés anglais débarquent en Amérique du Nord dans la future Virginie en 1607; dès 1619, des Noirs africains sont amenés comme esclaves pour travailler dans les plantations.
    À cette époque, l’esclavage a disparu en Europe (la doctrine du sol libre déclare dès le XVIè siècle que « l’esclave d’un étranger est libre dès qu’il a mis le pied en France »). Il en est de même, au moins en Europe occidentale, du servage qui lui avait succédé.
    Dans l’Antiquité gréco-romaine, les esclaves le sont par naissance, ou comme prisonniers de guerre, captifs de pirateries, ou par suite de dettes. Depuis la colonisation des Amériques, ils sont assimilés à une couleur de peau, un groupe de population définie: les Noirs africains, les descendants de Cham.
    « …et ce n’est pas tant leur liberté (celle des esclaves) qui nous pousse à de telles extrémités que le fait qu’ils soient placés sur un pied d’égalité avec les chrétiens, en contradiction avec les lois de Dieu et les différences naturelles de race et de religion… ». Ces propos d’une afrikaner lors du Grand Trek en 1843 pourraient être ceux de Sudistes avant ou après l’abolition de l’esclavage ou de suprémacistes blancs électeurs de Trump. Si en 2020, Trump est battu, il a recueilli plus de votes populaires qu’en 2016. Loin de favoriser le consensus, l’élection d’Obama a crispé des électeurs sur leurs préjugés.

    Réponse
    Pour que les choses soient claires : Obama est né sur le sol américain et l’a démontré en publiant son acte de naissance entier. Il n’est pas musulman, mais chrétien. Obama n’a jamais déclenché la vague populiste américaine qui a commencé avec le mouvement dit du Tea Party, capté par Trump en 2016. Mais Obama a été réélu pour un second mandat. Il avait donc une majorité que Biden a reconstituée. Certes, le populisme est un courant puissant qui a donné à Trump 70 millions de suffrages (quand Biden en a eu 76 millions). Ce n’est donc pas sur le ressentiment contre les deux mandats d’Obama que les républicains ont voté cette année, mais à cause de la gestion désastreuse de la pandémie par Donald Trump, dont la popularité est certes fondée sur le racisme mais aussi sur les fariboles du président sortant.
    R. L.

  4. JMB dit :

    Dans « Une histoire populaire des États Unis «, l’historien étasunien Howard Zinn explique « Il n’est pas, dans l’histoire, de pays où le racisme ait occupé une place plus importante – et sur une aussi longue durée – qu’aux États-Unis. « (Ch. II)
    Le professeur de droit James Q. Whitman estime dans « Le modèle américain d ‘Hitler » que les nazis ont montré un grand intérêt pour les lois Jim Crow dans l’élaboration de leurs propres lois de discrimination (notamment antijuives). Mais ils estimeront que la « One-Drop Rule » allait trop loin.

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