Le courage de Navalny

Navalny hier à l’aéroport de Cheremetyevo
(Photo AFP)

Après cinq mois de convalescence en Allemagne où il a été soigné à la suite d’un empoisonnement, le dissident russe Alexei Navalny a été arrêté dans un aéroport de Moscou immédiatement après son arrivée.

ON SAIT BIEN pourquoi Navalny a tenu à rentrer en Russie. Il n’ignorait pas le sort que lui infligerait le régime de Vladimir Poutine : une nouvelle incarcération. Les services secrets russes, déjà soupçonnés d’avoir imbibé les vêtements de Navalny avec un poison qui leur est familier et a servi à tuer ou rendre malades d’autres dissidents russes, le Novi-Tchok, ont fait atterrir son avion dans un aéroport différent de celui qui était prévu et ont escamoté le dissident à l’abri de ses partisans, réunis en vain dans le premier aéroport. Sa conduite est-elle suicidaire ? Il a expliqué qu’en tant qu’exilé, il ne servait à rien. Il ne peut agir qu’en Russie, en énonçant les atteintes aux libertés généreusement prodiguées par Poutine, qu’en expliquant à un peuple excessivement docile qu’il est en réalité asservi, en attirant à bon escient les foudres du Kremlin pour mieux démontrer qu’il y a quelque chose de pourri dans l’empire du tzar.

Le retour au glacis soviétique.

L’Europe et les États-Unis ont aussitôt dénoncé la répression contre un homme pacifiste qui ne lutte qu’au moyen de la parole. À quoi Poutine a répondu « qu’ils feraient mieux de s’occuper de leurs affaires ». Il joue une partie où il est toujours gagnant : il n’existe pas de sanction, morale ou commerciale, qui puisse faire reculer le maître du Kremlin; il associe le mensonge (il continue à affirmer que ses services ne sont pour rien dans l’empoisonnement criminel de Navalny) à un rapport de forces en sa faveur, l’Europe et l’Amérique étant affaiblies par la pandémie et par leurs propres divisions. Mais il est toujours resté insensible aux critiques qui pleuvent sur lui et sur son régime ; il a fait emprisonner et tuer de nombreux dissidents et journalistes ; il a muselé la presse ;  il a lentement mais sûrement reconstitué le glacis soviétique sans avoir reconstruit l’URSS ; il étend son influence en Géorgie, en Ukraine, au Bélarus ; il est plus proche des dictateurs que des démocrates : il poursuit son action militaire en Syrie, en Libye, en Arménie et ailleurs, souvent en se rendant complice d’un autre échantillon de la dictature internationale, le Turc Recep Tayyip Erdogan, les deux hommes jouant au jeu de la manipulation réciproque.

La collusion Trump-Poutine.

Poutine est aussi celui qui a fait adopter des lois qui font de lui un président à vie. Au début des années 2000, il cachait son pouvoir en déléguant ses fonctions de président à Dmitri Medvedev. Aujourd’hui, il ne prend plus de gants avec ses ambitions, clairement affichées : il est le boss, le patron, le tzar. Il a même inscrit dans la Constitution l’impossibilité de le poursuivre après sa retraite. C’est donc un modèle pour Donald Trump, qui a toujours rêvé d’abolir la Constitution américaine pour asseoir définitivement son règne sur les États-Unis. Si Trump a un faible coupable pour Poutine, c’est parce que, comme lui, il méprise les régimes démocratiques. Navalny se dresse contre cette forme de pouvoir inébranlable et totalement dépourvue de scrupules. Le dissident considère le régime russe comme un cauchemar et fait le rêve d’une Russie libérée, dotée d’institutions reposant sur le suffrage universel et des élections libres. Il tente, mais en vain, de secouer le peuple russe, immobile, comme s’il était victime d’une fatalité historique.

La tâche insurmontable de Navalny.

La tâche de tous les dissidents dans des pays sous le joug est compliquée par l’affaiblissement de l’Europe et des États-Unis. Poutine et d’autres se moquent des difficultés de l’Union européenne et de la « plus puissante des démocraties ». Il les menace en faisant voler ses avions de guerre en rase-mottes au-dessus de la flotte de l’Otan en Mer Baltique ; il soutient en Europe les régimes qui souhaitent s’affranchir de la règle de droit. Bien entendu, on ne sait rien des effets de la pandémie sur la santé des Russes ; on sait en revanche que le budget russe est lourdement grevé par une crise économique qui n’a guère augmenté le pouvoir du Russe moyen. Il demeure que tout ce qui peut arriver de mal aux Européens ou aux Américains est pain bénit pour Poutine. La présidence de Trump a disparu en partie à cause de ses liens avec le Kremlin. Mais Poutine ne peut que se réjouir de la régression des États-Unis pendant les quatre années écoulées. Navalny, seul, peut-il vaincre Poutine ? Rien ne se fera en Russie sans le soulèvement du peuple. On en est loin.

RICHARD LISCIA

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Une réponse à Le courage de Navalny

  1. Laurent Liscia dit :

    Je ne sais pas trop comment un tel courage nait et fleurit. Navalny sait qu’il est voué à un affreux destin. Et pourtant, son amour du peuple russe, amour qu’est censé montrer Poutine, est tel que même la peur de la mort passe au second plan. Un personnage inoui. Merci d’en avoir fait l’apologie, en ces temps ou c’est la tendance criminelle Trump/Poutine/Duterte/Bolsonaro qui semble séduire les foules.

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