Monarchie et libération

Meghan et Harry
(Photo AFP)

Les « révélations » faites par le prince Harry et son épouse Meghan Markle à une chaîne de télévision américaine dans la nuit d’hier à aujourd’hui sont à la fois surprenantes et prévisibles. Il s’agit d’un conflit de générations, celui qui oppose la reine Elizabeth à ses petits enfants, d’une rébellion contre l’ordre royal et d’une « libération » des jeunes époux par rapport à cet ordre, mais qui présente l’inconvénient de ne rien démontrer, ni l’affranchissement des jeunes gens, ni la remise en cause du régime monarchique. 

LA MORT de Diana dans un accident survenu à Paris en 1997 avait été accueilli par la reine et par sa famille avec un silence et une froideur qui leur furent amèrement reprochés par le peuple britannique, lequel adorait la princesse fauchée à 37 ans et la vénère encore. Au delà des contraintes auxquelles un deuil familial expose les dignitaires de la royauté, la distance prise par la souveraine avec le malheur aurait peut-être menacé son trône si Tony Blair, alors Premier ministre, ne l’avait suppliée de montrer enfin un peu de compassion pour Diana. L’épisode a été largement raconté et documenté par des livres, des films et des articles. Ce qui embarrassait Elizabeth, c’est que sa bru ne l’était plus vraiment puisqu’elle voulait épouser un autre homme, mort lui aussi dans l’accident. La reine en avait conclu qu’elle devait réprimer tout témoignage de douleur à l’égard d’un décès qui avait littéralement surpris Diana dans les bras de son amant.

Protocole et émotions.

Mais l’idée que les personnages royaux sont au-dessus des calembredaines contient une arrogance insupportable pour les Britanniques qui voyaient dans le désarroi de Diana, ulcérée par la liaison adultérine du prince Charles, une femme qui leur ressemblait et avait d’ailleurs sans cesse exprimé son amour pour les pauvres et les démunis. La souveraine découvrit alors que l’échafaudage monarchique était sérieusement ébranlé, qu’il menaçait de s’effondrer, qu’elle ne pouvait pas mettre le protocole, garant de son statut d’exception, au-dessus des émotions humaines. Le tragique épisode de 1997 avait révélé les contradictions géantes de la monarchie et, surtout, son anachronisme. Elizabeth fit amende honorable, pleura publiquement sa belle-file, mais pour rien au monde n’aurait « démocratisé » son règne. Diana morte, la vie reprit son cours à Buckingham et la souveraine continua d’appliquer les règles très anciennes qu’elle considère comme utiles à ses fonctions.

Le prix du statut royal.

Le prince Harry est le second fils de Diana. Il a un peu de son caractère fantasque et n’a jamais été à l’aise dans le rôle de l’enfant royal astreint à une forte discipline. Il est tombé amoureux de Meghan Markle, une ravissante métisse américaine, actrice de son métier et divorcée. Pas vraiment le genre d’épouse que l’on réserve à un prince susceptible un jour de devenir roi. En réalité, Harry n’a fait que suivre l’exemple de son lointain ancêtre qui, lui aussi, il y a presque un siècle, avait préféré au trône le mariage avec une Américaine divorcée. C’est assez dire que cette puissante monarchie, sans doute la plus vigoureuse du monde, a commencé à s’effriter depuis longtemps. Hier, les deux jeunes époux ont fait des révélations ahurissantes, par exemple que la Cour s’inquiétait de la couleur qu’aurait l’enfant de Meghan après sa naissance ; les rivalités entre princes ; le jugement négatif de Harry sur son père. Il ne s’agit pas seulement d’un sujet inépuisable pour les magazines populaires. Il s’agit aussi de personnages qui finissent par se demander de quel prix ils doivent payer leur fabuleux statut.

Le choix du grand large.

On ne versera pas une seule larme sur leur terrible destin. Mais on ne peut pas ignorer que la monarchie britannique commence à se désagréger de l’intérieur au moment même où le choix du Brexit affaiblit le Royaume-Uni et, plus particulièrement, les liens avec l’Irlande et l’Écosse qui commencent à se distendre. C’est le fond de l’affaire, le reste n’étant qu’anecdotes pour midinettes. Non que Harry et Meghan n’aient pas eu le courage de s’affranchir de la monarchie à laquelle ils appartenaient de plein droit, mais parce qu’ils ont réussi à concilier la « vie de rêve »  (je cite Meghan) qu’ils ont aux États-Unis depuis leur « libération » avec leur évasion d’une autre vie somptueuse. On peut dire que, même chez les riches et les princes, il y a une bataille pour la liberté à livrer ; mais on peut dire aussi que ces personnes qui n’ont qu’une célébrité artificielle, celle que confèrent les liens familiaux, ne sont pas non plus des desperados confrontés à une dictature.  La vraie question porte finalement sur la réelle unité de la monarchie du royaume dit uni : des femmes et des hommes lui sont extraordinairement dévoués, d’autres ont jeté leur dévolu sur le grand large.

RICHARD LISCIA

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2 réponses à Monarchie et libération

  1. D.S. dit :

    J’avoue que « l’évasion » du Prince Harry m’a fait le plus grand plaisir. Les membres de la famille royale ne sont pas célèbres à cause de leurs réussites professionnelles, mais simplement par ce qu’ils font partie du même arbre généalogique que leurs ancêtres. Quelle tristesse! Comment peut on vivre cette vie, écrite à l’avance. Bien sûr, certains détails restent en suspens (au fait, à quelle date le prince Charles sera-t-il roi d’Angleterre?), Harry a décidé de dire non à cette monotonie. Bravo! J’admire beaucoup cette rébellion. Et je m’intéresse enfin régulièrement à tout ce que raconte la presse people.

  2. Laurent Liscia dit :

    C’est bien d’avoir mis l’accent sur la manière dont cette entrevue reflète les sujets de societe plus larges: nouveauté contre tradition, ouverture contre crispation autour, changement contre ordre etabli. Oprah en a fait toute une affaire … Mais on s’étonne aussi de l’ampleur du phénomène. Personnellement, le sort de Meghan et Harry ne m’émeut pas plus, et sans doute moins que celui des réfugiés qui se noient régulièrement en Méditerranée ou qui sont parqués dans des camps à la frontière américaine. Ce couple est rebelle, certes, peut-être même attachant, et symbolique du changement sans doute, mais il bénéficiera du privilège et de la fortune qui viennent de la notoriété. D’autant que Meghan est une star de la télé américaine. Disons qu’il y a des cas sociaux un peu plus urgents que le leur. Et qu’on peut aussi aller chercher ses symboles ailleurs, non ?
    Réponse
    On ne saurait mieux dire.
    R. L.

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