Mort d’une enfant

Le site du crime
(Photo AFP)

L’assassinat d’une adolescente de 14 ans, à Argenteuil, dans le Val d’Oise, par deux autres collégiens de 15 ans, représente un désastre qui traduit l’extrême confusion de la jeunesse dans une société de plus en plus marquée par la violence.

CE QU’ON A VU d’Alisha sur les images fugitives récupérées par la presse, c’est qu’elle ressemblait plus à une petite fille, avec ses drôles de grosses lunettes, qu’à une adulte. Le procureur de Pontoise estime que le crime a été prémédité. Elle a été d’abord frappée à plusieurs reprises par le garçon, qui l’a ensuite jetée consciente dans l’eau de la Seine où elle est morte noyée. On se demande bien à quoi il pensait en commettant cet acte, à quoi pensait son amie qui a assisté à ces faits d’une brutalité incroyable. Le pire, c’est qu’il a dit aux enquêteurs qu’en jetant Alisha à l’eau, il voulait seulement « effacer les traces » de son forfait, comme dans un film policier.

Trois vies perdues.

Le plus intolérable, dans cette affaire, c’est que le personnel politique a un point de vue à exprimer publiquement, comme si le monde des adultes comprenait vraiment celui des enfants, comme s’il n’y avait pas, dans la conjoncture, des éléments qui nous dépassent tous, sexualité précoce, querelles entre élèves, et la disparition totale du sens de la discrimination : il n’y a plus de différence entre la haine absolue et meurtrière et la colère d’un moment, soulevée par un incident minime. Une quantité affolante d’éléments dérisoires a poussé le trio vers le drame. Car il y a trois vies perdues, celle d’Alisha, et aussi celle de ses deux bourreaux, qui risquent de passer une vingtaine d’années en prison.

Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a cru bon de se demander ce que l’État pouvait bien faire, face à cette consternante violence, que les parents des trois victimes n’ont pas été capables de faire. La décence, la retenue, l’effroi personnel auraient dû lui commander de se taire, car les faits dépassent les mots qui, à force d’être répétés, deviennent sinistres. De même que sont insupportables les idées philosophiques que l’on est amené à exprimer sur la violence en général quand il s’agit d’un cas précis, unique, circonscrit à trois acteurs, des adolescents qui, comme on dit, avaient toute la vie devant eux et une vie, en l’occurrence, qui eût été bien meilleure s’ils avaient mesuré la dimension ridicule du conflit qui les opposait à Alisha et ne préjugeait guère d’une fin aussi tragique.

Indispensable expiation.

L’assassin et sa compagne se sont alors réfugiés chez la mère du garçon, dont la gestion du fils a été indirectement critiquée par le ministre. Mais la maman, loin de vouloir protéger son enfant à tout prix par le silence ou par quelque trucage des faits, n’a eu qu’une réaction : remettre l’enfant à la police et à la justice. Ce n’est pas un acte facile à accomplir, pour une mère aimante et chacun d’entre nous se demandera s’il en aurait fait autant, s’il n’aurait pas été saisi de panique, s’il n’aurait pas, dans le plus grand affolement, tenter d’arracher les deux criminels à la justice par je ne sais quelle fuite vers l’étranger.

En apprenant les faits de la bouche des deux misérables, la mère éplorée, écœurée, bouleversée, anéantie, n’a pas vu d’autre issue que le recours à la loi. Elle l’a dit : l’amour qu’elle nourrit pour son fils ne l’a pas empêchée de penser à la victime, à la douleur indescriptible de ses parents, à l’horreur du crime commis et qui appelle une indispensable expiation. Une mère courage, un personnage de roman, une cornélienne déchirée plutôt qu’une racinienne fataliste. Ainsi deux enfants irresponsables ont-ils été renvoyés à une réalité qu’ils n’ont pas perçue en y participant.

Il m’aurait été facile de ne traiter que l’aspect d’une société en pleine déréliction, comme si l’État pouvait être partout, dans les foyers et dans les alcôves. D’une part, la violence est si répandue qu’un faits-divers de plus ne nécessite pas une étude sociologique supplémentaire. D’autre part, entre la froide analyse et l’émotion, je choisis la seconde. Ce qui est arrivé pouvait arriver à n’importe quel adolescent, victime ou bourreau, à n’importe quel parent, père ou mère, lesquels ne peuvent signaler cette affaire à leurs enfants que pour mieux les mettre en garde contre tout recours à la violence.

RICHARD LISCIA

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Une réponse à Mort d’une enfant

  1. Laurent Liscia dit :

    On reste sans voix. Cela aurait pu, en effet, arriver n’importe où. Trois vies détruites par la victoire de la rage et de la cruauté sur la compassion. La mère du bourreau est d’un héroïsme rare. La solitude absolue de la victime dans son supplice est insoutenable. On repense à l’affaire Halimi.

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