Une Chine déchaînée

Lu Shaye
(Photo AFP)

Un incident diplomatique vient d’opposer la Chine continentale à la France qui risque de laisser des traces. Les relations entre les deux pays n’ont jamais été aussi tendues, depuis que l’ambassadeur chinois à Paris a tenu des propos peu amènes contre un chercheur français.

IL S’AGIT de Lu Shaye, 56 ans, déjà connu pour les discours virulents qu’il prononce là où il est en poste, notamment au Canada en 2019 : il s’en est pris à la presse canadienne qu’il a accusée d' »égotisme occidental et de défendre la suprématie de la race blanche ». Ses débordements calculés n’ont jamais indisposé son gouvernement qui l’a nommé ensuite en France, où des journalistes avisés ont aussitôt lancé l’alerte et affirmé qu’il n’avait pas sa place à l’ambassade de Chine. Manifestement, le gouvernement français, qui pouvait le récuser, lui a accordé ses lettres de créance, ce qui lui a permis de chanter de nouveau, chez nous, l’air de la xénophobie.

« Petite frappe ».

Il s’en est pris à un chercheur français, Antoine Bondaz, qui travaille pour la Fondation de la recherche stratégique, et a évoqué le sort de Taïwan dans ses études. Lu Shaye l’a traité de « petite frappe » et de « hyène folle, troll idéologique ».  On est confondu par une telle imagination sémantique. Ainsi le Parti communiste chinois en est-il revenu à l’époque des insultes, celle où les accusations de « tigre de papier », description singulière  des États-Unis, étaient monnaie courante. En France, Lu a affirmé que les soignants des EHPAD avaient laissé leurs patients mourir de faim et de maladie. Il a écrit au sénateur Alain Richard, ancien ministre socialiste, pour exiger de lui qu’il ne se rende pas en délégation sénatoriale à Taiwan.

Le soutien de Pékin.

Convoqué au Quai d’Orsay, il a d’abord refusé de s’y rendre en prenant pour prétexte son agenda chargé. Mardi, il a fini par céder, et un diplomate français de haut rang, Bernard Lortholary, a fait savoir que les « méthodes de l’ambassadeur de Chine étaient inacceptables », ce qui ne semble pas l’impressionner. En mars 2020, il justifiait le travail forcé en Chine et le comparait aux travaux agricoles des ouvriers intermittents en France. On peut se demander à quoi rime ce comportement fort peu diplomatique et si M. Lu en devine les conséquences sur les relations entre les deux pays et sur la recherche d’un modus vivendi entre Paris et Pékin. Mais le fait que Lu n’ait pas été limogé dans un pays où le gouvernement fait un sort rapide à n’importe quel individu qui ne respecterait pas l’ordre communiste, montre que Lu bénéficie de l’aval de ses dirigeants.

Inquiétudes chinoises.

On notera qu’il est très facile de franchir la ligne jaune chaque fois que l’on en a envie et que, au fond, Lu Shaye a pour mission d’empoisonner les rapports de son pays  avec la France. Ses excès contrôlés traduisent une inquiétude sur la possibilité, pour Pékin, de perdre des parts de marché en Europe et en Amérique. Car le projet du dictateur à vie Xi Jinping de  « routes de la soie », instrument privilégié de l’indispensable expansion de la Chine en Europe, est compromis par la résistance des pays concernés. En outre, le contexte international a profondément changé depuis l’élection de Joe Biden qui, contrairement à Trump, tient la dragée haute à Pékin et à Moscou, recharge les batteries de l’OTAN et reprend le leadership occidental sans vouloir faire de cadeau aux pays qui insultent  l’Occident, la démocratie parlementaire et la bienséance diplomatique à longueur de journée.

Le sentier de la guerre.

Certains observateurs craignent que les tensions voulues par la Chine préparent quelque action militaire contre Taïwan. Les États-Unis, certes, ne souhaitent pas entrer en guerre, mais sont en train d’organiser, avec l’Inde, un front de résistance aux menées politiques et territoriales chinoises. C’est une option sage. Néanmoins, elle présente l’inconvénient de minimiser l’agressivité de la Chine ; pour le moment, cette fureur chinoise n’est que verbale, mais la conquête du Pacifique sud par sa flotte ressemble fort à des préparatifs de guerre qui inquiètent beaucoup des pays comme l’Australie et les Philippines. Il ne fait pas de doute que la fermeté de Washington augmente l’irritation des autorités chinoises, qui redoutent d’aller plus loin dans l’affrontement mais qui, sous la houlette de Xi, ivre du pouvoir immense qu’il a accumulé, pourrait commettre un grave faux-pas.

RICHARD LISCIA

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2 réponses à Une Chine déchaînée

  1. Laurent Liscia dit :

    On rejoint le sujet d’hier: la dérive idéologique. Les propos de M. Lu, qu’il se garderait bien de tenir s’il n’avait l’aval complet de ses patrons, en disent long sur la Chine de Xi. Je me souviens d’une conversation avec un ami chinois, à Pékin, juste après l’arrivée au pouvoir de Xi. « C’est notre dirigeant le plus réactionnaire depuis des décennies, » me disait-il, « et la fin du mouvement vers la liberté. » « Allons, allons, laissons-lui le temps de mettre en place son programme. » J’avais tort à 100 %, comme le démontre l’épopée de Hong-Kong, et le resserrement totalitaire d’une Chine qui joue le jeu capitaliste en matière d’économie tout en renouant avec le culte maoïste de la personnalité. Cela dit, l’irrédentisme chinois ne date pas d’hier : le Tibet en a subi les conséquences. Taiwan et le Pacifique Sud sont sur la liste de Xi, sans nul doute.

  2. Doriel Pebin dit :

    Une constante, les autocrates type Poutine et Xi Jiping ne cherchent qu’à alimenter les divisions entre Européens. Cela prouve bien que l’Union européenne les interpelle et qu’ils veulent diviser pour régner. La conclusion est simple : une Europe désunie sera le vassal.

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