Birmanie : répression à tout va

Une victime parmi tant d’autres
(Photo AFP)

Quand des généraux prennent le pouvoir, ils ne connaissent que le langage de la force. La crise birmane, avec la dislocation du pays et la répression aveugle de la junte militaire qui tire sur tout ce qui bouge, n’est que le théâtre routinier d’une insurrection proche de la guerre civile.

COMME NOUS SOMMES meurtris par un virus tenace qui sème la peur sinon l’épouvante, la disponibilité de notre esprit pour la compassion envers un peuple lointain mais en proie à une crise historique est à peu près nulle. Pourtant, on ne peut pas rester silencieux devant les méthodes de la junte, qui a le comportement d’individus totalement hostiles au partage du pouvoir avec des civils. L’un des avocats d’Aung San Suu Kyi, prix Nobel de la paix, qui a tenté de faire un bout de chemin avec les militaires, mais s’est retrouvée en prison sous un prétexte fallacieux, nous informe qu’elle va bien, Dieu merci. Mais son pays va très mal.

Deux atouts.

La junte a en effet sous-estimé la confiance ardente du peuple envers la démocratie. Les Birmans ont cru dans le scrutin qui a fait gagner le parti d’Aung San Suu Kyi à une très large majorité et ils étaient prêts à être gouvernés par des civils. Les généraux birmans ont traité le vote par ce mépris pour la démocratie parlementaire qui les caractérise. Ils ont rejeté les résultats du vote et mis Aung San Suu Kyi dans une cellule. Elle paie ainsi une forme de naïveté qui l’a conduite à tenter de miner de l’intérieur l’organisation de la junte. Il n’existe pas de meilleure preuve de la faiblesse intrinsèque des généraux que le tir à vue sur la foule à balles réelles. Qui se ressemble s’assemble. La dictature militaire dispose de deux atouts, la Chine et la Russie qui ne cessent pas de lui vendre des armes, indifférentes qu’elles sont aux conséquences d’une répression atroce.

Tuer le peuple pour gouverner.

Il y a des centaines de morts, des civils, des femmes et des enfants. On a pu voir les images de ces massacres sur les videos retransmises par les chaînes de la télévision. C’est le syndrome autocratique qui dicte la répression : d’abord tuer le peuple. Mais quel peuple ?  Les Birmans sont divisés en plusieurs ethnies qui, chacune, a ses propres revendications dans une société pleine d’inégalités et de préjugés. La simple vérité est que la junte a déclenché une crise qui a mis le pays en miettes et, dans chaque région, les dissidents organisent des milices armées. Pour les militaires, il ne suffit pas de tenir Rangoun, ville assiégée et plongée dans le chaos. La maîtrise du pays leur échappe complètement.

Une épidémie anti-démocratique.

C’est la preuve que le recours à la force n’est jamais la panacée. Il a réussi à la Chine contre Hong Kong et contre les Ouigours parce que l’empire du Milieu est immense et qu’il a d’énormes ressources en militaires et en matériels. Ce que l’on voit de la Birmanie actuelle, c’est que le contrôle du pays échappe à la fois à la dictature militaire et aux forces démocratiques : pendant qu’elles s’affrontent, le pays se brise en plusieurs morceaux.

Big brother.

Mais il est à peu près certain que les militaires n’auraient aucun espoir de retour à la normale s’ils n’étaient pas aidés en sous-main par Pékin et Moscou. Lesquels continuent à insister sur la qualité de leur modèle, à leurs yeux bien supérieur à la démocratie parlementaire, alors qu’il ne s’impose que par le martyre du peuple : sans même parler des cas particuliers des minorités réprimées, il ne fait pas bon d’être chinois en Chine quand on est constamment observé, fiché, enregistré par Big brother. Ne feignons pas de découvrir un problème nouveau dans le pays le plus peuplé du monde et dans le continent le plus actif économiquement, le plus retardé politiquement. George Orwell nous avait tout dit des régimes rendus implacables par quelque désarroi populaire, ou par la corruption, ou par l’indolence des démocrates. La crise birmane est objectivement horrible, elle n’en relève pas moins d’une épidémie anti-démocratique dont le monde, après la chute du bloc soviétique, se croyait guéri.

RICHARD LISCIA

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3 réponses à Birmanie : répression à tout va

  1. Laurent Liscia dit :

    Bien vu, hélas, et merci de nous rappeler que les manifestants birmans, comme ceux de Hong Kong naguère, font preuve d’un courage inouï et sont prêts à mourir pour un système que nous nous complaisons à vilipender. Chaque fois qu’on est tenté, comme les islamo-gauchistes, les partisans du FN, ou ces « intellectuels » français qui considèrent le confinement comme une atteinte aux libertés, de se repandre en injures sur un système qui est le seul à préserver nos droits, il suffirait de prononcer quelques paroles magiques: Birmanie, Hong-Kong, Navalny.
    L’Occident est en proie à un cynisme corrosif qui permet des aberrations comme Trump, ou la possibilité d’une présidence Le Pen. A ceux qui trouvent ça bien normal, je propose un stage en Birmanie, quelques jours de travaux forcés dans les camps de concentration réservés aux Ouigours, et cerise sur le gâteau fasciste, un passage en prison à Moscou. Les islamo-gauchistes, quant à eux peuvent prendre un aller simple pour la destination Daech de leur choix. J’espère sincèrement que nous n’avons pas collectivement perdu la tête. En attendant, difficile de voir ce qui arrive aux Birmans sans en avoir le coeur brisé.

    Réponse
    Je salue ce commentaire remarquable.
    R. L.

  2. Doriel Pebin dit :

    Triste de constater qu’en France, nombre de jeunes et moins jeunes croient manifester pour « la liberté » quand d’autres jeunes risquent leur vie et leur liberté à Hong Kong et en Birmanie.
    Triste de ne pas constater, chez nos critiqueurs français professionnels, les mêmes « scrupules » contre cette attaque objective de la démocratie.
    Triste de voir que la Russie et la Chine dévoilent de jour en jour leur antidémocratisme assumé. Il est vrai que certains dirigeants français et européens s’en accommodent sans réserve (facile à trouver).
    Albert Einstein rappelait que « le monde (démocratique en l’occurrence) ne sera pas détruit par ceux qui font le mal mais par ceux qui regardent faire sans rien dire ».

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