La justice et le cœur

Manif’ au Trocadéro
(Photo AFP)

Les manifestations importantes qui ont eu lieu hier (quelque 20000 personnes à Paris) pour demander que l’assassin de Sarah Halimi fasse l’objet d’un procès en dépit de la décision de la Cour de cassation de le juger incapable de discernement, ont fait entrer en collision l’opinion  publique et l’appareil judiciaire.

CE QUI a conduit François Molins, procureur de la Cour de cassation à critiquer, non sans vigueur, des réactions populaires qu’il estime ignorantes des modes d’application du droit. Dans le comportement de M. Molins, il y a l’idée que la Cour ne pouvait, en l’occurrence, ignorer le contenu de la loi et qu’elle devait s’y soumettre. Cette explication n’a pas convaincu grand monde : une forme de déni de justice a été dénoncée car il s’agit d’une victime sans défense, livrée à la barbarie d’un homme qui, sous l’influence du cannabis, l’a battue à mort et défenestrée. Le pire, dans l’esprit de l’opinion, est que l’assassin a été considéré comme quelqu’un sous l’emprise de la drogue, circonstance qui, aux yeux de tous, sauf des juristes, aurait dû être aggravante, mais a ordonné aux membres de la Cour de le diriger vers l’asile psychiatrique plutôt que vers un procès d’assises. Il semble clair, pour toute personne sensée, que le cannabis a eu pour effet de faire remonter  à la surface l’antisémitisme du meurtrier, qui ne s’est pas privé de crier : « Allah akbar ! »

Bourreau antisémite.

La démonstration de M. Molins ne souffre d’aucun défaut. À n’en pas douter, un renvoi devant les assises aurait constitué un abus de droit. Mais, bien entendu, le peuple voit dans sa décision quelque chose qui ressemble à beaucoup de laxisme face aux crimes commis par le djihadisme ou l’islamisme radical, au nom de critères non républicains, comme la charia et la haine des juifs. Le paradoxe établi par la Cour revient à dire que le bourreau, dont elle a reconnu l’antisémitisme, ne pouvait qu’échapper à la justice alors que la victime, décédée dans des conditions atroces, n’avait pas le droit d’obtenir de la République la rétribution qui aurait dû être infligée à l’assassin.

La justice est passée.

Le cas est maintenant une affaire classée. Il n’y aura pas de procès de Kobili Traoré pour le crime qu’il a commis le 4 avril 2017. De sorte que la sœur de Sarah Halimi envisage de faire ouvrir un procès en Israël, au terme duquel Traoré serait condamné in abstentia, ce qui, de toute façon lui permettrait d’échapper à la sentence. Ce n’est pas non plus une bonne idée. Le judaïsme de Mme Halimi n’est pas une nationalité. C’est en France qu’a été commis le crime, c’est en France qu’il doit être jugé et, d’un certain point de vue, il l’a été et la justice est passée. Il demeure que rien n’est moins supportable que d’assister à la conduite d’une institution qui se drape dans le droit comme dans une armure sans failles. Il n’est pas question ici de critiquer M. Molins qui a toujours été un procureur sobre, informé, travailleur, s’exprimant toujours pour énoncer les faits sans la moindre passion. Cette fois encore, il ne s’est pas départi des qualités qui font la force de son discours.

Il ne s’agit pas d’un cours de droit.

Mais le monde, la société et le pays ne se résument pas à un cours de droit. Le crime gratuit, le deuil et le chagrin prennent parfois une ampleur nationale. Il n’aurait pas été inutile de laisser la foule des honnêtes gens s’indigner sans que le procureur vole  au secours de la Cour de cassation qui, pour avoir toujours raison quoi qu’il arrive, ne risque pas d’être endommagée par quelques commentaires. De ce point de vue, il a perdu une occasion de se taire. Car si l’affaire est de cette manière enterrée, un consensus national exige qu’une loi soit adoptée pour prévoir les cas de folie transitoire qui ne mettront plus à l’abri des criminels particulièrement impitoyables et dont la toxicomanie servira d’argument à charge plutôt que d’instrument de leur exonération. En tout état de cause, le gouvernement fera adopter, avant la fin de l’été,  une loi allant dans ce sens. C’est une démarche d’autant plus rationnelle qu’on ne répètera jamais assez que l’antisémitisme est d’abord le problème des antisémites et que ce qui fait hurler un juif d’indignation doit faire hurler tous nos concitoyens.

Sentiment d’abandon.

La justice est indépendante, mais elle ne peut pas ignorer le contexte social et politique où elle s’exerce. La Cour devait, dans son jugement, commencer par tendre la main à la famille de la victime et partager son chagrin, exprimer son regret de ne pouvoir en faire plus et souhaiter publiquement la rédaction d’une nouvelle loi. Mettre son nez en permanence dans des textes longs, compliqués et rédhibitoires n’empêche pas nos meilleurs juristes d’assister à cette vaste tragédie qu’est notre pays aujourd’hui, d’y constater la résurgence d’un antisémitisme presque aussi mortel que celui des nazis, d’évaluer la consternation, la peur et le sentiment d’abandon des Français juifs, cette minorité infime qui souffre à la fois de sa petite taille et de son adhésion sans la moindre réserve aux principes républicains. Pendant ce temps, les islamistes se réjouissent d’avoir remporté une victoire, ce que la Cour de cassation ne peut contester, et incite certains à se demander s’il vaut mieux, dans ce monde actuel, être votre ennemi et porter un couteau entre les dents, que votre ami intime et affectionné.

RICHARD LISCIA

 

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8 réponses à La justice et le cœur

  1. Pierre Leroy dit :

    Je me permets de vous adresser le commentaire d’un ami psychiatre qui complète votre excellente analyse, comme d’habitude.
    Cordialement

    Les deux faits gravissimes que nous déplorons cette semaine (meurtre d’une policière, jugement du meurtrier évoqué par RL) mettent en lumière, une fois de plus, la question de l’irresponsabilité pénale. Je conseille la lecture du texte http://www.cdmf-avocats.fr/abolition-du-discernement-responsabilite-penale/ qui fait très bien le point depuis une modification de 2008 sur la question.

    Les personnes non familières de la psychiatrie sont toujours choquées dès qu’une décision d’irresponsabilité (qui est totale) intervient, privant la victime d’un procès en bonne et due forme (ce qui n’est pas le cas de l’atténuation). En l’occurrence depuis 2008 il y a quand même une procédure qui reconnaît que les faits ont bien été commis par untel, alors qu’auparavant il y avait non-lieu. Pour avoir moi-même en tant qu’expert été confronté à la difficulté du diagnostic et de la décision au sein d’un collège de trois experts, je suis sûr que les experts du procès Halimi ont répondu en leur âme et conscience dans le respect de la loi, c’est-à-dire en diagnostiquant un état délirant au moment des faits.

    Mais ce qui choque l’opinion est que l’usage de cannabis semble une circonstance atténuante alors que l’usage de l’alcool est toujours une circonstance aggravante. En effet l’usage de l’alcool entrainant un état d’ivresse est toujours une circonstance aggravante dès lors qu’on estime que le sujet décide en conscience de s’adonner à la boisson. Pourquoi ne serait-ce pas le cas pour le cannabis ? Tout simplement (en fait ce n’est pas si simple justement) parce que l’on a affaire à des mode de consommation et des effets très divers. Le raisonnement simplex est de dire : il a décidé de fumer, il est donc responsable de sa décision, et c’est facile de jouer le « comme fou » selon l’expression du président de la République pour être déclaré irresponsable.

    Or nous voyons aux deux extrémités du spectre des pratiques, d’une part des sujets qui décident de fumer consciemment et se plantent ou tuent quelqu’un en voiture par exemple, à l’identique de l’état d’ivresse du samedi soir (et c’et dépisté dorénavant et sanctionné comme aggravant comme pour l’alcool), et d’autre part des sujets déjà malades, psychotiques, qui intègrent leur usage de drogues dans une multitude de troubles du comportement visant à se donner l’illusion de la maîtrise sur leur délire. Ce sont ces sujets psychotiques, schizophrènes en devenir, en rupture de soin, qui sont particulièrement exposés à des bouffées délirantes, des états de fureur maniaque, parfois inauguraux, entrant dans le développement d’un délire de persécution ou de haine aboutissant à un passage à l’acte. Sont-ils vraiment conscients de ce qu’il font en fumant de manière totalement anarchique n’importe quel produit, mélangé à de l’alcool, entretenant et alimentant leur délire qui évolue déjà à bas bruit depuis des mois, ce qui semble le cas du meurtrier de la policière? Ce sont d’ailleurs ceux-là qui sont les cibles toutes désignées de manipulateurs sectaires islamistes, et qui sont très difficiles à dépister par les services de renseignement, comme le disait Bernard Nunez ce matin.
    En matière d’irresponsabilité, certains pays vont jusqu’au procès, quelle que soit la décision des experts, et c’est à l’issue du procès seulement, dans lequel les victimes ou les parties civiles sont présentes, l’accusé leur faisant face, la justice faisant son œuvre sereinement et non en temps réel, que l’irresponsabilité est actée et le sujet hospitalisé (en service fermé et pout longtemps… en général). Ce serait probablement mieux accepté.

    • Num dit :

      Ce qui est troublant est que ces malades psychotiques pénalement irresponsables commettent toujours leur actes atroces, ignobles et barbares aux cris de « Allah Akhbar » et non de « Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit », de « « Shema Israël Hachem Elokenou, Hachem Ekhad » ou même de « Ni Dieu ni maître ». Coïncidence ? On continue à dire comme M. Núñez que ces barbares sont indétectables ?

    • Alan dit :

      « En service fermé et pour longtemps… en général » : vous le dites justement.
      Un proche psychotique a été récemment hospitalisé en HDT (une dizaine de gens mobilisés entre soignants et police pour le faire). Le lendemain même il avait pris un taxi (sans le payer), convoqué un serrurier (sans le payer) et criait dans son immeuble, terrorisant tout le monde. Il sait parfaitement qu’il est considéré comme « irresponsable ». Quand j’ai appelé l’hôpital, on m’a dit : « Les portes ne ferment pas, si vous jugez que son état nécessite une hospitalisation, appelez la police ». La police est en effet venue, ça a recommencé etc.

      Soit dit en passant. Il y a des problèmes avec le droit mais aussi la psychiatrie.

  2. Num dit :

    Merci M. Liscia pour cette tribune à laquelle je souscris. J’aimerais votre avis sur la question suivante.
    Les affaires récentes semblent montrer qu’il y a un problème avec la justice française. Or celle ci est totalement indépendante et sans contrôle. Elle ne rend de compte à personne – ni au gouvernement ni au peuple – alors qu’elle constitue un véritable pouvoir ; les juges sont cooptés par leur pairs… N’est-ce pas incompatible avec les principes démocratiques (je ne dis pas « républicains » car ce mot est maintenant utilisé à tort et à travers et surtout à contre-emploi) ?
    Ne devraient ils pas être, soit sous le contrôle du gouvernement (et du ministère de la justice), soit sous le contrôle de peuple en étant élus démocratiquement comme aux Etats-Unis ?
    Selon moi, il y a un véritable problème de principe de fonctionnement qui explique les dysfonctionnements actuels ? Qu’en pensez vous ?

    Réponse
    Comme toutes les autres professions, la justice fait l’objet d’un dénigrement populaire qui n’est pas loin du concept de justice de classe. Si les juges étaient élus au même titre que les femmes et les hommes politiques, l’ampleur du phénomène ne diminuerait pas. Il faut noter que la Cour suprême américaine est désignée par les présidents en exercice et que d’autres juges et procureurs sont élus au suffrage universel, ce qui fait de l’ensemble de la justice une institution soumise aux aléas idéologiques. Ce n’est donc pas la bonne solution. Comme la démocratie parlementaire est battue en brèche par le populisme et les démagogues, il me semble plutôt souhaitable que la constitution française soit réformée dans le sens de l’indépendance totale des magistrats à l’égard du pouvoir exécutif.
    R. L.

  3. Laurent Liscia dit :

    Le peuple se soulève contre une décision … hallucinante. C’est un maigre reconfort, mais c’est au moins la démocratie en mouvement. Ce qui ne relève pas du cannabis c’est le fait que ce crime soit antisémite; ça, le meurtrier le sait, avec ou sans &tat second.

  4. Michel de Guibert dit :

    Ne peut-il y avoir un recours devant la Cour européenne des droits de l’homme ?

    Réponse
    Je préfère ce qui est envisagé : une nouvelle loi qui empêchera les errements de la justice.
    R. L.

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