Rwanda : lucidité de Macron

Macron et Kagamé
(Photo AFP)

Sans présenter les excuses que d’aucuns, en France et en Rwanda, réclamaient à propos des responsabilités de la France dans le génocide d’il y a quelque trente ans, Emmanuel Macron, en visite à Kigali, a saisi la main tendue par le président Paul Kagamé et renoué les relations diplomatiques entre les deux pays.

LE CHEF DE L’ÉTAT avait le choix : ignorer, à la manière de Mitterrand, le rôle de l’armée française lors du génocide rwandais, soit l’admettre une bonne fois pour toutes, comme l’a fait Jacques Chirac à propos de la contribution de notre pays au génocide des juifs européens. Il a choisi la seconde solution et il lui a fallu du courage pour le faire. Il a été aidé par le rapport Duclert qui lui a dicté sa voie en soulignant les manquements de la France mais sans l’accuser de complicité du génocide. Et par le président Kagamé, qui a compris le changement d’orientation adopté par le gouvernement français actuel.

L’erreur de Marine.

Il s’est trouvé aussitôt un nombre excessif de détracteurs professionnels, qui se moquent du passé, sont tout entiers impliqués dans les campagnes électorales, et pour qui le mot responsabilité fait partie du vocabulaire des gouvernants qu’ils ne sont pas. Aussi bien, Marine Le Pen, d’ailleurs sans trop grande conviction, s’est dite lassée par la manie de la repentance, qu’elle voit comme une forme d’abaissement de notre pays. Ce en quoi elle se trompe lourdement. Derrière les débats, se profile un sujet sérieux, celui de l’innocence des nations. Il n’y en a pas. Que le pouvoir en place soit démocratique ou autoritaire, il y a fort peu de cas de construction nationale qui ne se soit pas édifié sur la violence, notamment parmi les plus grandes puissances, soit qu’elles ont conquis le territoire sur lequel vivaient d’autres peuples, soit qu’elles y ont installé des régimes totalitaires, soit qu’elles ont inscrit l’inégalité dans l’ordre des choses.

Les ressorts d’une conquête.

M. Macron n’est pas homme à se dérober quand il s’agit de qualifier les crimes : il est même allé un peu loin quand il a dit que la conquête de l’Algérie était un crime contre l’humanité. Mais au moins a-t-il dit la vérité sur un point précis : l’armée française n’a pas occupé l’Algérie pour délivrer et éduquer les masses populaires, elle l’a fait parce que le pouvoir français avait des objectifs mercantiles. Au XIXè siècle, rappelez-vous, la France, la Grande-Bretagne et d’autres cherchaient à étendre leur empire. La guerre, ce jeu sinistre, était livrée hors d’Europe, au détriment des peuples asservis. Comment pourrait-on croire le contraire, comment dire que nous avons volé au secours de peuples ignorants, comment imaginer que nous n’avons été guidés que par notre générosité ?

Vérité historique.

De sorte que, la vérité historique dominant toute autre théorie artificiellement fabriquée, l’énoncé des certitudes fonctionne à la façon d’une thérapie. On s’est senti guéri de la culpabilité liée au génocide des juifs et la repentance, systématique ou non, loin d’affaiblir la France, la renforce au contraire. Il est même possible d’ouvrir le livre de nos conquêtes et de nos crimes et de les expurger en les reconnaissant. Nous n’en serons pas moins forts, que les États-Unis par exemple, dont la puissance résulte du génocide indien et de l’esclavage (ou encore d’une guerre civile déclenchée par des Blancs, dont la statue du Commandeur actuel est Donald Trump) , ou que le Royaume-Uni dont l’empire a été construit par des expéditions militaires lointaines à l’étranger. Dans tous ces exemples, la parole est libératrice, voilà c’est dit et on se sent mieux. Vivre avec quelques squelettes dans son placard n’est pas une situation enviable. Et il est probable que la recherche de nos culpabilités passées n’est pas finie. Un ange diplomatique est passé enfin sur les relations franco-rwandaises, il est absent des rapports franco-algériens.

Le cas de l’Algérie.

Mais l’Algérie est un autre cas. Certes, nous y sommes allés sans invitation. Cependant, à la violence de la conquête, a succédé la violence du terrorisme, avec cette épouvantable surenchère dans la bataille, attentats contre des innocents, torture des terroristes ou exécution des ennemis à la faveur des « corvées de bois ». La repentance, si décriée par Mme Le Pen, n’est pas à sens unique. L’usage que les Algériens ont ensuite fait de leur indépendance, avec les horreurs commises par le djihadisme islamiste, a montré une spirale suicidaire dont le peuplea été la première victime. Nous en sommes à dire au gouvernement d’Alger : « Vous voulez en parler ? Mettons tout sur la table ». Un dialogue n’est pas un soliloque. Mais il serait bon qu’avec l’Algérie aussi nous nous délivrions de cette hypocrisie qui suinte de toutes les relations diplomatiques et que nous reconnaissions les exactions que nous avons commises. Macron a ouvert la voie.

RICHARD LISCIA

Ce contenu a été publié dans Non classé. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

2 réponses à Rwanda : lucidité de Macron

  1. TAPAS92 dit :

    LA « vérité historique » fluctue avec le temps et les convictions (et les intérêts ?) du moment. A l’école, j’ai appris que mes ancêtres étaient des Gaulois. Il parait que cela n’est plus vrai aujourd’hui. D’ailleurs, mes enfants ne savent plus qui sont leurs ancêtres … mais ça, c’est un autre problème. Dans quelques années, notre président (de cette époque-là) ne fera-t-il pas un discours à Bamako, pour reconnaitre les « erreurs » que nos soldats (sur ordre de nos politiques) sont en train de faire aujourd’hui au Mali ?

  2. Laurent Liscia dit :

    Point de peuple sans exactions. Le repentir ne peut venir que d’une démocratie, et le dialogue (plutôt que le soliloque) ne peut se faire qu’entre démocraties.

Répondre à Laurent Liscia Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.