La nouvelle Marine

Une Marine rassurante
(Photo AFP)

Interrogée ce matin par France Info, Marine Le Pen a, cette fois encore, livré une prestation remarquable, qui laisse présager un meilleur face-à-face entre les deux tours de la présidentielle que celui de 2017.

SI L’ON S’EN TIENT à ses dires, la cheffe du Rassemblement national n’a absolument rien d’inquiétant. Elle s’en est parfaitement expliquée : elle est pour l’Europe et pour l’euro, elle est anti-islamiste mais respecte profondément la religion musulmane, elle a un plan pour la réforme des retraites qui n’est pas pire que les autres, et elle est toute en modération. En outre, si le RN ne gagne aucune région dimanche, ce n’est pas son affaire : elle continuera son irrésistible marche en avant, comme Macron. Dans la surenchère enfin, elle a été largement dépassée par Nicolas Dupont-Aignan, qui vient d’annoncer qu’il voterait Valérie Pécresse, et par Éric Zemmour dont elle ne craint pas l’éventuelle concurrence. Un monument de bon sens et pas un mot agressif, sauf contre le pouvoir.

Alors, de quoi est-elle le nom ?

Il serait facile de prétendre que Mme Le Pen ment pour se faire élire et que, une fois élue, elle s’empressera de faire le contraire de ce qu’elle a annoncé. Mais personne n’a la preuve de cette forfaiture, qui ne sera vérifiable qu’après coup. Il est infiniment plus difficile de découvrir de quoi elle est le nom : si elle a modifié ses convictions au point d’adopter celles de la droite, pourquoi sont-ce les électeurs de droite qui se jettent dans ses bras et pas le contraire ? En matière d’insécurité et d’immigration, elle n’est pas plus radicale qu’un Éric Ciotti, par exemple. (Au passage, celui-ci déclare qu’il votera Pécresse au second tour, encore heureux !) Sa reconversion au centre droit lui a en tout cas pleinement réussi : elle a acquis en quatre ans toute la crédibilité qu’elle a perdue en 2017. Ce qui la rend encore plus dangereuse car elle s’est créé un alibi accablant pour ses accusateurs. Contrairement à l’extrême gauche incarnée par LFI et les Verts, elle ne chamboulera pas le pays une fois à l’Élysée. Elle a même eu l’occasion de dire que la dette due à la pandémie était remboursable : quelle sagesse !

Sortie de son ghetto.

Autre question essentielle : s’il faut la croire sur parole, pourquoi combattre celle qui a enfin obtenu les lettres de créance de la légitimité, l’implantation territoriale, le nombre d’adhérents qui feraient du RN un parti comme les autres ? C’est le propre des candidats à la présidence de ratisser large. Elle est donc sortie de son ghetto. Elle est aussi calme et aussi digne qu’une Pécresse ou un Bertrand. Elle joue maintenant dans la cour des grands. Ce qu’elle sait néanmoins et dont elle se désole peut-être sincèrement, c’est que les gens qui l’entourent ont souvent des convictions racistes, antisémites, intolérantes. Une foule de xénophobes et de haineux qui n’ont pas d’autre débouché que le Rassemblement national. Or il y a le programme et il y a la pression exercée par les adhérents. Même à contrecœur, Mme Le Pen risque d’être incitée à prendre des mesures répressives bien plus tôt qu’elle ne le croit.

Le même parcours que celui des soixante-huitards.

Elle ne peut pas davantage ignorer son passé, les opinions de son père, ce que le Front national a représenté même s’il a changé de nom. En gros, son message est : « J’ai changé, je suis une bonne fille ». Peut-être. Mais elle n’a pu construire sa carrière que sur une dalle d’intolérance, que sur des concepts réfléchissant les vieilles idées de l’extrême droite, terme qu’elle rejette avec vigueur mais qui lui colle à la peau. Elle est le produit réhabilité du pétainisme, des Croix de Feu, et de la guerre d’Algérie. Elle n’est pas la première à avoir successivement incarné deux tendances idéologiques différentes. Les soixante-huitards ont fait exactement la même chose : ils se sont dressés contre l’ordre établi,  ont failli le renverser et aussitôt après avoir échoué, ils se sont coulés avec un soupir de plaisir dans les habits de la modération et abandonné l’extrême gauche à ses délires. Les soixante-huitards sont devenus une classe dirigeante, tandis que la France insoumise réunit des personnages qui veulent rester d’éternels enfants.

RICHARD LISCIA

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4 réponses à La nouvelle Marine

  1. Sphynge dit :

    Que l’on souhaite la voir au pouvoir ou pas, son évolution peut être saluée et les craintes raisonnables sur la frange extrémiste résiduelle de son électorat relativisée dans la mesure où son influence est maintenant insignifiante. Le RN représente un parti conservateur qui pourrait s’assimiler à l’ensemble de la droite s’il existait encore une droite digne de ses principes. Mais la pensée de gauche veille et fait du RN un épouvantail propre à masquer le vrai danger d’aujourd’hui : l’islamo-gauchisme et son antisémitisme forcené, le wokisme, la cancel culture, le racialisme, le genre et les intersectionnalités, en cours d’accaparement de l’Université, d’une partie des médias et, on peut le redouter, de toute la société. S’il faut faire un choix, le RN semble quand même moins risqué qu’une telle catastrophe ?

    Réponse
    A mon avis, c’est aussi risqué.
    R. L.

  2. tapas92 dit :

    Au lendemain des régionales, et du revers du RN, on suivra avec intérêt le congrès national du RN début juillet : est-ce que finalement, la dé-diabolisation du RN n’est pas allée trop loin pour les sympathisants RN qui ne se retrouvent plus dans le discours de MLP. Celui-ci étant devenu trop lisse, mieux vaut alors l’original à la copie et voter pour la « droite républicaine » (je n’aime pas ce terme, car si le RN n’est pas républicain, alors il faut l’interdire). Certains sondages montrent que deux-tiers des sympathisants RN se sont abstenus (on aurait pu penser que la « colère » les aurait déplacés, ce n’est pas le cas)
    Par ailleurs, le vrai message des régionales (et ce n’est pas nouveau) est : deux-tiers d’abstentions, est ce encore une démocratie ? le pouvoir n’est il pas confisqué par une « élite » sourde aux besoin du peuple ?

    • Doriel Pebin dit :

      Curieux raisonnement marqué par l’inversion des valeurs: je m’abstiens de voter et c’est la faute aux « élites ». La vérité est plutôt la suivante: « jamais content, toujours absent » à l’image des gilets jaunes. Si vous êtes anti-élite (mot et concept absurde au fort parfum de ressentiment comme tout bon populiste), votez massivement pour changer. Cela est très simple. Le problème est d’identifier le « peuple ». Lequel : RN, LFI, autres ? Chaque populiste a « son peuple ». Si c’est vrai, il suffit de voter afin que ce « peuple » montre son adhésion massive. La réalité étant toute autre, il est préférable d’accuser les élites (dont vous faites peut-être partie). SVP, prenez le temps de la réflexion et de la nuance. On se sent bien mieux après.

  3. Laurent Liscia dit :

    Intéressante évolution où la pression politique amène Marine Le Pen à parler plus au centre, alors qu’aux Etats-Unis le durcissement trumpien ressemble plus que jamais à de l’autoritarisme.

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