Retraites : réforme ajournée

Laurent Berger
(Photo AFP)

Le président de la République a reçu hier les représentants des syndicats, sans leur dire si l’examen de la réforme des retraites, brutalement interrompu lors du début de la pandémie, serait reprise cette année ou lors du prochain mandat présidentiel.

IL SEMBLE BIEN qu’Emmanuel Macron se soit rendu aux arguments invoqués par ses meilleurs amis, de Richard Ferrand à François Bayrou ou de François Patriat à ses conseillers de l’Élysée. Il ne va certainement pas sacrifier l’embellie économique et sociale à une réforme périlleuse susceptible de soulever la colère populaire, même si celle à laquelle il entend préparer l’opinion est très édulcorée par rapport à celle dont le début a été arraché au moyen de l’article 49/3 de la Constitution. Seul le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire continue d’insister pour que le chantier des retraites soit rouvert dès aujourd’hui. Il est influent mais minoritaire.

Non au conflit social.

La théorie d’une réforme immédiate ne correspond pas à la naïve illusion d’une poignée de marcheurs. Le retour à l’équilibre des comptes des 42 régimes devient indispensable, l’épidémie ayant diminué les fonds disponibles. M. Macron souhaitait démontrer qu’il gouvernerait jusqu’au dernier jour de son mandat : boucler une réforme de cette ampleur en aurait apporté la preuve. Enfin, confirmer que la campagne électorale ne le distrait pas des tâches qu’il n’a pas terminées pouvait apparaître comme un argument en sa faveur. Cependant, le risque était immense, même si la réforme n’est plus ce qu’elle était : il suffit que les Français en entendent le nom pour qu’ils cèdent à une colère explosive. Or plus personne n’est prêt en France pour un nouveau conflit social.

Politiquement inapplicable.

Nous savons déjà que le système universel de retraites, axé sur l’accumulation de points au cours d’une carrière est abandonné. M. Macron lui-même a reconnu que ce modèle était beaucoup trop complexe et pratiquement incompréhensible, de sorte que nos concitoyens l’auraient boudé sans même savoir ce qu’il contiendrait. En revanche, on peut être certain qu’il y aura une mesure d’âge, c’est-à-dire que toute carrière professionnelle sera prolongée de deux ans, de 62 à 64 ans (alors que, dans son programme, Marine Le Pen, avec un sens économique exceptionnel, propose le retour à la retraite à 60 ans, celle de Mitterrand : quel progrès !). Je l’écris ici avec une conviction absolue : aucune réforme des régimes de retraite ne réussira si les carrières ne sont pas prolongées d’au moins deux ans. Un an de plus de travail, c’est un citoyen qui ne dépense pas l’argent du fonds de retraite et cotise encore au même fonds. Il s’agit donc d’une méthode de financement double. Et ce serait folie d’y renoncer. Mais combien sont-ils dans le pays ceux qui soutiennent un tel projet ? Il est superbe dans l’absolu, inapplicable politiquement.

La querelle Macron-Berger.

Même Laurent Berger, chef de la CFDT et réformiste notoire, est violemment opposé à toute mesure d’âge. Il s’ensuit un conflit entre lui et Emmanuel Macron alors qu’ils étaient faits pour s’entendre. En réalité, ils se sont déçus réciproquement au point de ne plus pouvoir dialoguer. C’est un crève-cœur, mais de ceux qui relèvent presque de la fatalité. Il n’est pas impossible que le chef de l’État ait prolongé à dessein le débat sur les retraites. On n’a jamais autant parlé de la mesure d’âge pour la critiquer, certes, mais aussi pour qu’elle devienne une notion familière. D’ailleurs, la date de la réforme a remplacé son contenu dans le débat public. Le peuple exige que l’élection présidentielle précède la réforme. Mais lorsqu’on y sera, elle contiendra une mesure d’âge. Sujet extrêmement important (du point de vue des finances publiques), la durée des carrières rejoint la crise de la productivité en France : nous allons devoir travailler plus, pendant la semaine, le mois, l’année, et même la vie.

RICHARD LISCIA

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2 réponses à Retraites : réforme ajournée

  1. BUYCK Daniel dit :

    Les mesures mises en place par la Loi Touraine ont déjà conduit à accroître le nombre de trimestres requis pour prendre sa retraite, en fonction de votre année de naissance. Ce qui revient actuellement à devoir travailler jusqu’à…63 ans et demi. On peut bien sûr demander sa retraite à partir de 62 ans, mais on subit alors une décote. Où est le danger pour le gouvernement de passer  » l’âge légal » à 64 ans ? Un coup d’épée dans l’eau…

  2. Laurent Liscia dit :

    Même si les mesures de ré-équilibrage ne représentent pas une diminution massive des « acquis sociaux », tout est affaire de symboles. Il faudra louvoyer entre âge, trimestres et points. La réforme se fera en catimini, la France ne supporte que les micro-suppositoires.
    Notons quand meme le curieux exemple de l’Islande, sur un sujet un peu différent, la reforme des 35 heures : la productivite des islandais n’a pas baissé.

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