Une tranche de vie

Jean-Paul Rouland
(Photo AFP)

C’est en effet une période extraordinaire de sa vie d’adolescent que Jean-Paul Rouland raconte dans un gros ouvrage de huit cent pages (« Bon papa, pourquoi tu n’es pas mort à la guerre ? »). Un récit semi-autobiographique que vous ne lâcherez pas sans l’avoir terminé. (1)

Deux frères parisiens sont envoyés en Normandie par leur père, à l’approche de l’été 1944, avec le dessein de les protéger, sans se douter qu’ils assisteront au débarquement des forces alliées. Inutile de présenter Jean-Paul Rouland qui fut, avec son frère Jacques, un formidable animateur à la télévision, notamment avec « La tête et les jambes ». De sa vie professionnelle, il n’a rien voulu dire. De son été près d’Avranches, au cœur de l’Occupation, de ses premiers émois amoureux, de son engagement naturel en faveur de la Résistance, des dangers auxquels il a été exposé et a survécu, il dit tout. Mais son livre est moins le récit d’une tragédie historique, même si son existence fut alors étroitement mêlée aux événements nationaux, que celui d’une adolescence pendant laquelle lui et son frère se sont forgés une âme courageuse.

Tout n’est que rébellion.

Vous pourriez rester perplexe devant le poids du livre, mais commencez par lire les premières pages, et vous changerez d’avis. Car sa saga normande décrit, avec une  précision remarquable, des personnages fiers et téméraires, par exemple l’ami René qui, sous le couvert des bonnes relations avec l’occupant, contribue à son affaiblissement et, inversement, le maréchal-ferrant, Déodat, qui, lui, le combat frontalement. Rouland est le témoin d’une France qui, dans son ensemble résiste sans même avoir conscience du choix qu’elle a fait. Tout n’est que rébellion : l’aide aux pilotes perdus dans la campagne, les rapports prétendument « corrects » avec la Wehrmacht, la haine qu’inspire au peuple français le comportement des collaborateurs, en particulier les policiers français, comme le dénommé Lajoie, Javert du vingtième siècle.

Croix gammée et étoile jaune.

Le tout dans une ambiance bon enfant, pleine de bon sens paysan, racontée partiellement dans le patois du coin, et décrivant des personnages qui, pour être modestes, n’en représentent pas moins le meilleur de ce que nourrit l’humus français. On n’insistera jamais assez sur l’actualité  de ce roman, alors que des symboles comme la croix gammée et  l’étoile jaune sont transformés aujourd’hui en bannières fallacieuses de la liberté. Non seulement ce livre vous fera passer de bonnes heures, mais il remettra en place des idées que certains lecteurs pourraient avoir. Croix gammée et étoile jaune étaient les marques de la tyrannie, elles le sont toujours et ne peuvent en aucun cas avoir d’autre signification qu’une incitation à la révolte.

Les cicatrices de l’âme.

Non, l’auteur n’est pas mort à la guerre et heureusement pour la santé de la télévision, mais il en a gardé des cicatrices dans l’âme. Mais son souci extrême des nuances le conduit à nous montrer des personnages partagés, inquiets du sort qui risque de les attendre et capables en même temps de jouir de ce qu’une vie, même surveillée, peut leur apporter. Une bonne cuisine malgré les restrictions, de bons vins, et surtout une joyeuse solidarité que renforcent les affres de la guerre. De ce point de vue, et en dépit des morts, des blessés, des trahisons, des projets téméraires qui conduisent au désastre, il a écrit un texte optimiste. Et comme il a raison ! Car, il y a eu une vie après le débarquement, et même si les bombardements peu précis de l’aviation anglo-américaine ont causé beaucoup de pertes dans la population française, elle a fini par être libérée et elle s’est attelée à la reconstruction. Ah ! La joie de voir Charles de Gaulle en chair et en os ! La fuite des Allemands, enfin battus, l’arrivée triomphale des Américains !

L’auteur n’a rien caché d’une certaine lâcheté française quand, sur le territoire à peine libéré, l’épuration spontanée a commencé, avec ces malheureuses qui furent tondues, humiliées à jamais par la haine de ceux qui avaient le moins lutté contre l’occupant. ou même tentaient d’oublier qu’ils s’étaient compromis avec lui. Confrontés à l’injustice et aux excès de la répression, les deux frères n’ont eu de cesse que leurs amis emportés par la guerre ne fussent vengés. Après, ils ont fait carrière. C’est mieux que d’avoir été « Mao Spontex » en 1968 pour devenir ensuite P-DG d’une multinationale.

RICHARD LISCIA

(1) les Éditions Le roi lire, 20 euros)

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2 réponses à Une tranche de vie

  1. Michel de Guibert dit :

    Belle recension qui suscite le désir de lire ce livre.
    Merci !
    Une petite remarque sur le passage « même si les bombardements peu précis de l’aviation anglo-américaine ont causé beaucoup de pertes dans la population française ».
    Ma grand-mère, qui habitait Rouen, me disait que les Américains lâchaient leurs bombes de haut, détruisant tout le vieux Rouen proche de la Seine, alors que les Anglais piquaient sur les ponts pour les détruire en faisant le minimum de dégâts collatéraux.

  2. Laurent Liscia dit :

    De très bons souvenirs de Jean-Paul Rouland …

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