La nostalgie de Belmondo

Belmondo à Cannes en 2011
(Photo AFP)

Cette chronique est bien rarement utilisée pour les éloges funèbres et le cinéma ne relève pas de son domaine. Mais je ne pouvais ignorer la disparition de Jean-Paul Belmondo.

PARTAGEANT à peu près tous les commentaires enflammés jaillis de toutes parts, je ne me livrerai pas à une glorification déjà en marche (une cérémonie officielle, une panthéonisation). Jean-Paul Belmondo n’est pas un héros national, mais un excellent acteur parfaitement représentatif du demi-siècle qu’il a accompagné. Il reflétait un optimisme, une invulnérabilité, la joie de défendre une éthique qui ont délecté ses spectateurs. Il n’y a pas ici la place pour recenser sa cinématographie, mais, si l’on excepte quelques œuvres parfois grotesques, il a fait des films remarquables parce que, dans l’invention, ils ignoraient toutes limites. Si le public n’était pas indifférent, c’est parce qu’il a cru Belmondo, il a couru et même galopé avec lui, s’est projeté avec lui dans les mêmes cascades, a affronté les mêmes dangers avec le bonheur d’en réchapper.

Le cascadeur.

Chacun sait que, dans la vie privée, celle que nous ne connaissons pas, Belmondo était ce que l’on appelle un « brave type », ce qui se voyait dans son regard et dans des rôles où, pour avoir joué les bienfaiteurs, il obtenait la gratitude non pas des autres acteurs, mais celles du spectateur qui se sentait concerné. Le courage des héros qu’il incarnait était tout simplement le sien, dès lors qu’il accomplissait lui-même, et non sans virtuosité, ses cascades et qu’il rendait vraisemblables, par ses bonds, ses envols et ses parcours périlleux au-dessus des précipices, des exploits qui, s’ils n’avaient pas été mimés par lui, n’auraient pas eu l’accent de vérité qu’on lui accordait sans réserves.

Un homme tendre.

Belmondo, au cinéma comme au théâtre, était un immense acteur, l’alter ego de Gabin, sans la gravité mais avec l’humour, qui avait le chic pour démonter tous les dogmes. Il fracassait les conventions, ce qu’admirait un public qui ne peut pas se réjouir s’il n’y a pas dans l’histoire un bris-de-glace, une auto dans le canal et deux ou trois voyous mis rapidement à terre par un Jean-Paul herculéen. Sa longue gamme de rôles a rendu formidables ses prestations, comme s’il lui importait plus de démontrer qu’il était un cascadeur ou un boxeur plutôt qu’il n’était à la recherche de médailles qui, d’ailleurs, lui ont été décernées chichement (il n’a eu qu’un César). Mais sous son courage ou plus exactement sa témérité, perçait invariablement sa tendresse, sans doute par reconnaissance pour le monde qui l’acclamait : il n’aurait jamais cru atteindre un tel degré de popularité. Il aimait les femmes, et il aimait aussi les enfants et s’entendait parfaitement avec elles et eux, créant de la sorte des scènes d’un naturel impressionnant.

Une convention sociale.

Il n’est pas question de relation de cause à effet, mais quand Belmondo a eu son AVC, il s’est retiré, et au même moment, au début de ce millénaire, la France changeait d’époque. Je suis sûr qu’au fond de lui-même, il n’a pas aimé cette période de réseaux sociaux et d’expansion nationale de la haine et que, tout en se battant stoïquement contre la maladie, il pestait contre ce que devenaient la France et le monde.  Il n’était plus là pour nous distraire car nous ne le méritions plus. Ce qui est significatif de la société où nous vivons, c’est que les critiques cinématographiques, des monstres d’intelligence, n’ont pas manqué de signaler quelques films qui ne leur semblaient pas de très bon niveau. Mais voilà que le jour où il meurt, ils ont déjà oublié ce qu’ils disaient de lui. C’est une convention sociale : on ne dit jamais du mal d’un mort.

RICHARD LISCIA

 

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7 réponses à La nostalgie de Belmondo

  1. Dominique S dit :

    Deux excellentes images de Bebel me restent en mémoire : la scène où il est attaqué par des voyous dans un parking. Il leur tient tête fièrement, en laissant bien sûr apparaitre un énorme pistolet derrière le revers de sa veste. Et aussi la scène où il lance au président africain : « Ce n’est pas pour rien qu’on dit malin comme un singe! ». C’était une plaisanterie sympathique. Aujourd’hui, ce serait un discours raciste.

    • Dunoeud dit :

      Très étranges vos références.

      • Dominique S dit :

        Je suis très souvent contesté sur les forum. Et en tout cas, mes commentaires ne laissent pas indifférents. A-t-on le droit de vouloir sortir de la pensée unique ? Est-ce possible d’aimer la transparence? A l’occasion d’une soirée entre confrères la semaine dernière, j’ai eu l’outrecuidance de soutenir Macron. Les réponses furent cinglantes ! Et pourtant, ne va-t-il pas être réélu, en principe sans trop de difficultés ? Oui,j’ai beaucoup de plaisir à m’imaginer à la place de Belmondo ridiculisant ses agresseurs (le cinéma, c’est bien fait pour cela, n’est ce pas ?). Et sa remarque pseudoraciste, n’est-elle pas plus sympathique que les caricatures de Mahomet qui, elles, ne m’ont jamais fait rire?

  2. mathieu dit :

    On peut regretter que ce monument national n’ait pu trouver son « deuxième souffle » dans la maturité, où il aurait peut-être rencontré ses meilleurs rôles de cinéma. Mais contrairement à Gabin, Ventura, Montand ou De Funès, le public l’a injustement délaissé passés la cinquantaine et le temps des cascades… ce qui lui aura permis, tout de même, le retour vers ses premières amours: le Théâtre, même si c’était du théâtre à « effets », un peu surjoué…

  3. Ocell dit :

    Triste nouvelle. Nous avons le cœur déchiré. Il va nous manquer terriblement. Bon voyage, mon ami, et merci pour tout.

  4. Laurent Liscia dit :

    Intéressante remarque de Dunoeud qui nous rappelle le racisme ordinaire d’il y a une trentaine d’années. La société était raciste « bon enfant », mais le bon enfant peut conduire au pétainisme … comme il l’a fait en France et ailleurs. A part ça, Borsalino, quand meme genial 😉

    • Dominique S dit :

      Désolé, j’ai 69 ans et quand j’étais petit, je lisais Tintin au Congo. Je mangeais du riz Uncle Ben et aussi du Banania. Les mentalités ont changé et c’est évidemment un bien. Mais faut-il interdire les multiples rediffusions du « Professionnel ? » Par ailleurs, le hasard de notre échange fait que je dine ce soir chez un ami guadeloupéen. Je l’ai connu également tout petit. Son père ORL était un grand ami de mon père, généraliste. Il est évident que si nous parlons de Belmondo, je n’évoquerai pas avec lui cette réplique. Mais au fait, Rabbi Jacob est-il un film raciste? Pour moi, non. Le plus important n’est pas, « les choses qui sont dites » mais « la façon dont elles sont dites ».

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