Tapie : le bon grain et l’ivraie

Tapie en 2018
(Photo AFP)

La mort de Bernard Tapie à la suite d’un cancer de l’œsophage et de l’estomac bouleverse d’autant plus les Français qu’ils l’ont vu se battre contre la maladie avec un courage exceptionnel.

ANCIEN ministre, hommes d’affaires, artiste, comédien, acteur de la télévision, Bernard Tapie semblait s’arracher en toute circonstance aux conventions sociales, aux parcours académiques, aux labyrinthes de toutes les carrières professionnelles. Il surprenait toujours : il ne tombait de son cheval que pour se remettre en selle aussitôt ; il n’entrait qu’en conquérant dans n’importe quelle discipline ; il avait en outre un optimisme, une gaieté, un allant qui abattait toutes les haies et tous les obstacles. S’il est vrai que sa mort éteint l’action de la justice et qu’on ne tire pas sur un homme dont le passé fut aussi libre et solaire, il laisse perplexes quelques-uns d’entre nous : faut-il faire son éloge funèbre ou rappeler au contraire quelques-une de ses turpitudes ?

Une rédemption.

Sa maladie et sa mort seront perçues comme une rédemption. N’a-t-il pas payé des joueurs de football pour qu’ils perdent face à l’OM, son équipe qu’il adorait et qui le lui rendait bien ? Ceux qui se souviennent de la scène rocambolesque au cours de laquelle des policiers ont déterré une cassette contenant le prix de la trahison ont du mal à décrire Tapie comme l’ange Gabriel qui aurait étendu d’un geste, sur la société française, l’apaisement qu’elle a si souvent recherché. N’a-t-il pas fait de la prison ? N’était-il pas un populiste à sa manière ? Il faut lui rendre ce qui lui appartient, la bataille permanente qu’il a livrée contre l’extrême droite en écartant d’une pichenette la thèse en vertu de laquelle moins on parle des Le Pen et moins ils seront populaires. Mais il n’était pas fort (imbattable) que dans le débat télévisé. Il défendait les immigrés, il était ce qu’il y a de mieux à gauche, la compassion, assortie d’une discours tonitruant qu’il valait mieux écouter si l’on souhaitait aux socialistes de briser leurs tabous.

Il n’a joué qu’un rôle.

Il a épousé un si grand nombre de carrières, vite accomplies et oubliées, qu’il n’a cessé de donner l’impression d’une extraordinaire ubiquité, assortie à l’idée qu’il n’existait pas de métier qu’il ne fût capable d’exercer. Comme tous les grands acteurs, il ne jouait qu’un rôle, le sien. Tapie chanteur, Tapie féroce businessman, Tapie ministre, Tapie commissaire de police. Cette disponibilité était aussi une forme de générosité, une façon de se livrer aux gens sans la moindre manipulation, sans la moindre feinte, sans le moindre artifice. Ce fut le ludion inventé de toutes pièces par François Mitterrand, le patron de presse qui a revitalisé un groupe en perdition, le ministre qui apprenait vite et parlait en Conseil des ministres alors que, traditionnellement, seul le président de la République a la parole. D’une certaine manière, il n’a jamais été un has been. Il a harcelé Nicolas Sarkozy pour que celui-ci ordonnât le remboursement du manque à gagner dans la vente d’Adidas. Sombre affaire qui a mal tourné pour Tapie (et pour Sarkozy aussi) puisqu’il a dû rendre au Crédit Lyonnais, donc à l’État, les 400 millions d’euros d’indemnités qui lui avaient été versés.

Un anti-raciste.

Peut-on garder une dent contre un homme de cette trempe ? On s’appesantira d’autant moins sur son sort tragique qu’il n’a jamais cherché à nous faire verser une larme, et on préfèrera se souvenir de ce tempérament radieux, positif, plein d’espoir. Un réaliste qu’aucun revers ne pouvait écarter de son périple dans la vie ; un ennemi du racisme et des inégalités dont les fascistes ont fait leur épouvantail ; un homme à la fois riche et ruiné, honnête et malhonnête, joyeux et parfois rongé par le doute, l’ami de tous ceux qui vénéraient ce destructeur des conventions tout en l’avertissant parfois des dangers qu’il courait, un très mauvais exemple du respect de l’éthique mais en même temps un chef paré de toutes les victoires. Il y a quelque chose de très vrai dans ce qu’il disait au terme de sa vie : il ne regrettait rien, ni ses exploits ni ses déboires.

RICHARD LISCIA

 

Ce contenu a été publié dans Non classé. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Une réponse à Tapie : le bon grain et l’ivraie

  1. Laurent Liscia dit :

    Un homme dont l’appetit de vie a fini par lui nuire. Mais un homme de coeur, sans aucun doute.

Répondre à Laurent Liscia Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.