Une campagne sans sondage ?

La rédaction d’Ouest France
(Photo AFP)

Le quotidien Ouest France, le plus lu du pays, a décidé de ne plus publier de sondages. Un geste qui fait réfléchir sur leur usage, leur pertinence et leur performance.

C’EST la meilleure et la pire des choses. Du côté négatif, des prévisions parfois démenties par les faits et qui figurent au lourd passif des instituts d’opinion. Une méthode qui tend à hystériser la campagne et qui conduit le public, notamment celui des réseaux sociaux, à voir le dénouement six mois à l’avance, alors que l’expérience a montré que, très souvent, des événements se produisent qui changent le résultat de l’élection en profondeur. Une façon de compliquer le paysage politique, les stars d’un jour se transformant, avec le temps, en perdants de demain. Un encouragement à voter pour celui ou celle qui semble avoir le plus de chances de l’emporter, donc à fausser le résultat.

Un instrument.

Mais aussi un instrument d’analyse, un moyen de savoir ce qui se passe : si nous ignorions la percée d’Éric Zemmour, nous croirions dur comme fer à la présence de Marine Le Pen au second tour. Si nous jugions la position d’Emmanuel Macron avec, pour tout indicateur, le torrent de critiques qui est déversé sur lui, il nous ferait seulement pitié. Nous ne saurions pas qui est le candidat LR le mieux placé. Nous penserions que les extrêmes, de Le Pen à Mélenchon, pourraient accéder à la magistrature suprême, et les démocrates seraient prématurément consternés.

Un service.

Je veux bien qu’il y ait trop de sondages, de sorte que la modernité politique a débouché sur l’hégémonie des instituts, dont la carrière est parsemée d’échecs et que l’opinion risque de ne pas aller aux urnes sous le prétexte qu’elle croit déjà savoir qui a gagné et qui a perdu. En grande partie, l’abstention serait la conséquence néfaste des sondages considérés pratiquement comme des élections intermédiaires. Cependant, il me semble difficile de faire de la manie des sondages un comportement national vénéneux. Et d’attribuer aux journaux qui souhaitent se dispenser des enquêtes d’opinion une médaille de vertu qui les distinguerait des autres. Il n’est pas impossible, pour les lecteurs d’Ouest France, de s’enquérir ailleurs du rythme de la campagne et des chances comparées des candidats. Le sondage est un service, au même titre que la météo ou les sorties de films.

Personne n’a honte de voter Le Pen.

C’est aussi une question de dosage. Les intentions de participation au scrutin présidentiel sont élevées: autour de 70 %. Cela signifie que le point de saturation n’est pas encore atteint. J’ai entendu un commentateur affirmer que les gens mentent quand les sondeurs leur posent leurs questions, mais ce n’est pas vrai. Plus personne n’a honte de voter Le Pen, Zemmour ou Dupont-Aignan. Aucun média ne leur ferme la porte au nez. Il me semble qu’ils sont plus invités que les représentants des autres partis. Il ne fait pas de doute que les sondages sont devenus une actualité à part entière et qu’un Zemmour a changé la course sans même annoncer sa candidature. C’est un peu comme si la présidentielle se jouait sur une autre planète ou dans un théâtre en tant que répétition.

Je propose donc que, pour le moment, on ne soigne pas la fièvre sondagière. On peut craindre en effet que les enquêtes soient d’autant plus contestées qu’elles apportent de mauvaises nouvelles à tel camp, et pas à un autre. On critique les sondages parce qu’ils ne disent pas la vérité, mais s’ils n’étaient pas publiés, beaucoup de vérités seraient cachées.

RICHARD LISCIA

 

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Une réponse à Une campagne sans sondage ?

  1. Laurent Liscia dit :

    Étonnante conclusion – mais en effet, mieux vaut souffrir d’un surcroît d’informations que du secret d’État.

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