Le dessein de Poutine

Larrons en foire
(Photo AFP)

Sans oublier de décrire le cynisme et la férocité d’Alexandre Loukachenko, président illégitime de la Biélorussie, qui transfère des migrants à la frontière polonaise pour déstabiliser non seulement le gouvernement de Varsovie mais tous ceux de l’Union européenne, il faut s’interroger sur ses motivations et se demander pourquoi Vladimir Poutine le soutient. 

D’ABORD, ce n’est pas la première fois qu’un pouvoir autoritaire, pour ne pas dire une dictature, exerce un chantage migratoire sur l’Europe : le président turc, Recep Yassip Erdogan, l’a déjà fait, à la différence près qu’il n’a pas « importé » des immigrés pour tenter de les transférer ailleurs mais qu’il se fait payer par l’Union européenne pour les garder en Turquie. Loukachenko n’a donc même pas le mérite de l’imagination. Il a celui du machiavélisme puisqu’il a réussi à déclencher une crise sérieuse qui inquiète énormément les Européens, certes décidés à lui infliger des sanctions économiques, mais assez prudents pour éviter tout conflit militaire qui serait désastreux.

Vol d’une élection.

Il n’est pas faux de dire que, dans cet acte aux mille épithètes, il exprime davantage sa peur que son mépris total de l’humanisme. Plus il poursuit sa politique cruelle et répressive et plus il se sent seul. Il sait qu’il a falsifié les élections pour rester au pouvoir, qu’il est détesté par son peuple et que, sans le parapluie russe, il n’est rien. Moscou le protège militairement, mais ne peut pas corriger une crise économique et sociale qui résulte de la déstabilisation politique qu’entraîne nécessairement le vol de statut auquel il vient de se livrer. Dans sa hargne, il y a principalement une méthode de survie. Il est en mesure d’épouvanter l’Union européenne, mais, dans son quitte ou double, il n’est pas sûr de l’emporter.

Un compromis est-il possible ?

L’UE peut au moins le rassurer sur ce point si elle parvient à le persuader qu’elle ne cherche pas pour le moment à obtenir sa démission et l’instauration d’un pouvoir démocratique après de nouvelles élections. C’est l’évolution qu’exigent les opposants biélorusses. C’est bien sûr un vœu de l’Europe. Loukachenko a poussé la crise à son point extrême dans l’espoir d’obtenir un compromis. Les déclarations de Poutine, qui demande à l’Union de s’adresser uniquement au gouvernement biélorusse indiquent certes qu’il se lave les mains de cette nouvelle crise, mais ouvrent la voie à un donnant-donnant. Les deux dirigeants voudraient que, à la faveur de cette crise, d’autres sanctions, notamment contre la Russie, soient levées et ils ne savent négocier qu’à partir d’une position de force. C’est à l’Union de leur signifier les limites à ne pas franchir et à réclamer un retour des migrants à leur point de départ, assorti d’un traitement humain, avant de commencer à discuter.

Poutine teste l’Europe.

Ce qui est grave et dangereux, c’est que, comme pour la Chine, l’aire de négociation est tellement étroite que l’on peut craindre une guerre dont l’immense inconvénient serait d’énormes dommages et l’absence de victoire pour chacun des deux camps. Il n’est pas question, ici, de nier le narcissisme de Poutine et de Loukachenko, mais ile sont pas fous et s’ils reprennent à leur compte les méthodes du président turc, c’est parce que Poutine cherche toujours à tester le degré de résistance et de sang-froid du camp occidental. Tout cela est d’autant plus rédhibitoire que la Russie ou la Chine, si attachées à la prospérité, paieraient cher un conflit, même s’il est bref. Aussi les Européens ne doivent-ils pas céder à la panique, et surtout,  ne doivent-ils pas craindre la menace de Loukachenko d’interrompre les livraisons de gaz russe qui passent par son territoire. C’est Moscou et Minsk qui ont besoin de monnaie sonnante et trébuchante, pas les Européens.

S’ils poussent le bluff jusqu’au point où il leur devient nuisible, ils deviendront rapidement les victimes de leurs plans compliqués et malhonnêtes. On le leur répètera sans cesse : essayez le pacifisme. Loukachenko est une bête aux abois et sera bientôt un fardeau pour Poutine. Assurément, le maître du Kremlin ne peut pas s’offrir le luxe d’une démocratie flambant neuve en Biélorussie. Ce qui détermine le contour de l’objectif à atteindre mais risque de contribuer à la longévité politique de Loukachenko.

RICHARD LISCIA

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2 réponses à Le dessein de Poutine

  1. FRANCOIS CHATENOUD dit :

    Il me semble que Poutine n’a qu’un objectif important à moyen terme : l’annexion (ou disons le retour) de la Biélorussie dans le giron russe. Pour l’instant, la marionnette Loukachenko lui sert encore mais plus pour longtemps. L’avénement d’une démocratie à l’occidentale dans un ancien membre du glacis soviétique n’est qu’un rêve évanescent. Si en plus le Maitre du Kremlin peut mettre un caillou dans la chaussure européeene, il ne va pas s’en priver. Restons fermes sur nos principes et, comme vous le dites fort justement,nous sommes les clients et nous payons.

  2. Laurent Liscia dit :

    Les potentats sont fatigants à la fin. On rêve de les mettre tous autant qu’ils sont dans une fusée Elon Musk à destination de Mars. Sans billet de retour.

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