La guerre menace

Retour au glacis soviétique
(Photo AFP)

Diverses raisons, qui seront énumérées ci-dessous, nous interdisent de considérer avec optimisme la crise actuelle entre Moscou et les capitales occidentales.

COMME une jeune fille inaccessible, Vladimir Poutine garde sa part de mystère. On ne sait pas jusqu’où il veut aller, ce qui oblige à envisager le pire, c’est-à-dire une guerre conventionnelle en Ukraine et même dans les États baltes. Ce serait le désastre que la dissuasion nucléaire a empêché pendant quelque soixante-dix ans. De toute façon, il ne donne pas l’impression de jouer seulement une partie de poker. Il a massé 100 000 hommes à la frontière russe de l’Ukraine et acheminé dans la région des armes lourdes. Il a adopté publiquement des positions qui font de l’Ukraine, de la Géorgie, de la Biélorussie, le pré-carré de Moscou et il pose des conditions inacceptables à une détente : interdiction faite à l’Ukraine d’entrer dans l’Otan, repli, loin des frontières russes, des forces occidentales et autres diktats qui ne sont pas posés en tant que principes mais accompagnés par des gestes menaçants.

Empêcher une invasion.

L’unité occidentale n’a pas fait défaut. Malgré un Joe Biden peu explicite, le chef de la diplomatie, Anthony Blinken, prend l’affaire très au sérieux. Il a promis d’adresser à la diplomatie russe un memorandum écrit qui dira ce que les États-Unis sont prêts à faire ou ne sont pas prêts à faire. Or on sait déjà que la politique américaine ne fera aucun cadeau à la Russie, pour une raison simple : Washington sait que le moindre signe de faiblesse sera interprété par Poutine comme un feu vert à l’invasion de l’Ukraine. La mobilisation des forces occidentales et la menace de sanctions économiques nouvelles n’ont d’ailleurs pour objectif que d’empêcher le projet d’invasion.

Biden ne fait pas le poids.

Jusqu’à présent, la cohésion euro-américaine n’a pas manqué, même si l’Allemagne, après avoir annoncé la suspension du gazoduc Nord Stream, refuse de livrer des armes à l’Ukraine, ce qui a fait bondir le président Zelensky.  Certes, le maître du Kremlin ne désespère pas d’enfoncer un coin dans cette belle unité. Il ne faudrait pas la lui offrir. En tant que président intérimaire de l’Union européenne, Emmanuel Macron a l’intention d’ouvrir un dialogue avec Poutine afin de calmer le jeu. Le président Biden n’a pas désavoué cette initiative, mais le danger serait de faire aux Russes des concessions, fussent-elles minimes, qui leur serviraient ensuite de tremplin pour se jeter sur l’Ukraine. Européens et Américains ne devraient parler que d’une voix, pour autant que la voix américaine soit assez forte. Elle ne l’est pas. Joe Biden est visiblement affaibli, très critiqué pour sa politique intérieure et sa popularité continue à décroître.

Deux révolutions.

Poutine le sait et c’est probablement ce qui l’encourage à défier l’Amérique. Il constate toutefois qu’il ne peut pas jouer à la marelle dans le coin de jardin que reste à ses yeux le glacis soviétique. En Biélorussie et au Kazakhstan, il a fallu mater dans le sang deux révolutions. Les régimes de ces deux pays, clos pour le reste du monde, n’ont survécu que grâce au soutien militaire de Poutine. Logiquement, celui-ci devrait comprendre que réinstaller l’ordre russe en Ukraine et ailleurs, c’est tirer sur l’élastique du système de sécurité de Moscou, qui pourrait lâcher et revenir comme un boomerang sur le nez du dictateur.

Pire que Poutine ?

La seule note positive que l’on entende au milieu des bruits de bottes, c’est l’inanité du projet de Poutine, sa nostalgie de l’URSS et sa vision d’un monde où il pourrait continuer à régner en s’appuyant sur la force. Mais ce genre de rêve éveillé ne se termine que dans la défaite ;  un homme autoritaire ne change pas  d’expérience et ne réforme pas son programme. En général, il attend d’avoir épuisé toutes ses cartouches avant d’être brûlé de l’intérieur. Il a fallu soixante-dix ans pour que le régime soviétique se décompose. Peut-être faudra-t-il moins de temps pour que le poutinisme  se rende à la réalité contemporaine. Mais la Russie n’est pas un pays comme les autres : l’expérience a montré qu’après le communisme, les Russes ont eu droit à pire.

RICHARD LISCIA

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6 réponses à La guerre menace

  1. Sphynge dit :

    Cette crise est une crise européenne. L’Europe s’étend de l’Atlantique à l’Oural (et même à Vladivostok) qu’on le veuille ou non (i.e. que les USA le veuillent ou non). Elle doit être réglée par les Européens, Poutine inclus (puisque il est le président en exercice de la Russie). Une guerre n’aurait d’avantage que pour les USA dont l’intérêt est de maintenir l’Europe divisée : la survie de leur commerce et de leur colonisation vaut bien une guerre (hors de leur territoire). Nul doute que De Gaulle les eût maintenus hors de cette nouvelle crise et l’expérience a montré le justesse de ses vues (bien qu’ils aient poursuivi leur colonisation de l’Europe sous une autre forme – commerciale et culturelle). Poutine ne gouvernera pas toujours la Russie, il est encore temps de ne rien entreprendre d’irréparable (pour l’Europe).

    Réponse
    J’admire votre sens historique : c’est la Russie qui est sur le point d’envahir un pays, ce sont les États-Unis qui sont coupables. Pactisons avec l’agresseur et préférons le colonialisme militaire au colonialisme commercial.
    R. L.

    • Sphynge dit :

      Nous ne disons pas que les USA sont coupables, mais que cette crise n’aurait pas dû les concerner, ni avant ni maintenant. Et il n’est pas question de pactiser avec la Russie, mais de négocier fermement avec elle : la France et la Grande Bretagne possèdent des forces de dissuasion nucléaire qui permettent de le faire, hors de l’impérialisme des colons américains.

      • Laurent Liscia dit :

        OTAN en emporte le vent, alors? Si les Ukrainiens devaient compter sur l’Europe et l’immense amitie entre Boris Johnson et l’UE, je crois qu’ils iraient se jeter tout de suite dans la Dniepr.
        Idéalement, je souhaiterais comme vous que l’Europe puisse tenir tête a la Russie sans appui extérieur, mais cela ne parait guère réaliste.
        Moi qui vis en Amérique, et qui suis donc colon chez les Américains, je vois cette crise « européenne » d’un très mauvais oeil, parce qu’elle est moins un test des relations historiques entre la Russie et l’Europe occidentale (qui elle, ne s’étend pas jusqu’à l’Oural), mais entre fascistes et démocrates. (Je vous laisse deviner qui est qui). Xi regarde tout ca avec grand intérêt, puisque si l’Ukraine peut être envahie sans réaction américaine (il sait très bien que l’Europe sera parfaitement impuissante), il peut à son tour envahir Taiwan. C’est le scénario que je crains le plus et qui conduira inevitablement a une guerre mondiale entre regimes totalitaires et Occident. Avec arsenal nucléaire à l’appui, ce qui ne presage rien de bon. Je ne partage guère l’optimisme de Richard Liscia: le poutinisme durera aussi longtemps que Poutine et son regime policier brutal. Mais je prie pour que Biden s’oppose avec fermeté à l’invasion de l’Ukraine.

  2. Num dit :

    « L’expérience a montré qu’après le communisme, les Russes ont eu droit à pire. »
    Le communisme a provoqué des dizaines de millions de morts ce qui en fait le régime le plus meurtrier de l’histoire de l’humanité. Poutine, malgré son autoritarisme, n’a pas autant de sang sur les mais. Sachons mesure garder.

    Réponse
    La belle formule « sachons mesure garder » n’est pas applicable aux dictateurs sanguinaires, aux voyous au pouvoir et à la répression des libertés. Raison garder, c’est s’opposer de toutes ses forces à un pouvoir illégitime.
    R. L.

  3. mathieu dit :

    La fascination des droites « dures », toutes confondues (Fillon, Zemmour, Le Pen, ajoutons-y pour le « fun », le truculent Depardieu), mais aussi de la gauche « radicale » (Mélenchon), pour ce dictateur sanguinaire incontrôlable reste un mystère… un dictateur qui, rappelons-le, a poussé en un printemps sur l’engrais fertile de l’abdication criminelle d’Obama sur tous les fronts internationaux (Syrie, Crimée, Ukraine), véritable rampe de lancement pour le Poutine nouveau, Attila des temps modernes qui s’est vu, sans trop y croire au début, pousser des ailes!
    Rassurons-nous donc, l’impérialisme yankee, menace vitale pour la sainte Russie, est bien bien loin!..

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