Le duel du destin

Marine Le Pen
(Photo S. Toubon)

On attend plus du débat de demain entre les deux candidats au second tour qu’il ne peut apporter. L’expérience de 2017 exclut toute surprise cette année.

EMMANUEL Macron et Marine Le Pen seront sur leur garde. Elle fera en sorte de ne pas tomber dans la parodie d’elle-même qu’elle a offerte au public il y a cinq ans. Le président sortant le sait et elle sait qu’il le sait. Le débat devrait donc se présenter comme un combat dans la nuit avec deux candidats plutôt sur la défensive, attachés à ne commettre aucune erreur de communication. Il sera sérieux, mais peut-être ennuyeux. Technique, mais avec des mots simples pour ne pas interloquer le public. Minutieux : on va s’attarder sur certains dossiers, pas forcément les plus importants. La seule probabilité à vérifier, c’est l’agressivité de Mme Le Pen, qui a tout à y perdre : le téléspectateur n’aime pas les personnages offensifs.

La nature du choix.

L’issue du scrutin ne devrait donc pas dépendre d’un débat au terme duquel il est difficile de l’emporter et où les duellistes risquent d’être renvoyés dos-à-dos. M. Macron a une certaine avance sur Marine Le Pen dans les intentions de vote. Sa tâche consistera à ne pas la perdre alors que son adversaire doit impérativement gagner des points. Elle est bel et bien le challenger. Mais elle a enfin réussi à banaliser le Rassemblement national, balayant les attaques sur la nature même de son mouvement, de sorte que ce que disent les sondages ne résulte pas de la honte de naguère de voter Le Pen. Le vrai sujet est là : le RN est l’ami de la Pologne et de la Hongrie, dirigées par des autocrates et de la Russie de Poutine. Le RN ne verrait aucun inconvénient à ce que l’Ukraine soit rasée par les barbares russes. Le choix n’est plus entre deux candidats, il est entre la démocratie et la lutte contre le totalitarisme.

Avec Marine, c’est l’aventure.

Il faut le répéter jusqu’à samedi prochain. Les « hésitants » se sont placés dans une situation bien inconfortable, celle de l’irresponsabilité, des justifications les plus fausses, de l’argumentation la plus fallacieuse. Lorsque l’on fait une comparaison entre 2017 et 2022, on explique avec un soupir que la politique offre le même choix à la société française, qu’il n’y a pas d’espace pour les autres partis, ni pour des personnages qui méritent peut-être d’exercer le pouvoir. Mais nous n’en sommes plus à finasser, à jouer sur les nuances et surtout à un choix entre deux valeurs égales. Avec Macron, c’est, quoi que vous en pensiez, une victoire des démocrates du monde entier. Avec Marine Le Pen, c’est l’aventure, le choix d’une République qui n’en aurait que le nom, pas le goût ni la consistance, l’entrée dans le triangle des Bermudes, le risque de ne jamais en ressortir, le remplacement de la représentation nationale par la démocratie directe à coups de référendums.

Le chemin du totalitarisme.

Les électeurs prêts à voter Le Pen ou à s’abstenir, pour ne plus voir la tête de Macron, devraient au contraire faire une cure de désintoxication. L’observer à la télévision, dans des entretiens qu’il a accordés à diverses chaînes, apprécier son éloquence, sa fraîcheur, son érudition. Constater qu’il sait rire et qu’il ne cherche pas à être blessant ou agressif, mais qu’il n’a pas l’intention de se laisser faire. Il est certes important qu’il ne commette pas de nouveau les erreurs, surtout de communication, qu’il a commises au cours de son mandat, mais un électeur sérieux a-t-il vraiment le choix, peut-il placer Marine Le Pen et Emmanuel Macron dans la même case ? Avec le président, il ne s’agit que d’un mandat de cinq ans. Avec Mme Le Pen, c’est l’avènement d’un pouvoir qui fera tout pour gouverner sans contre-pouvoirs. Le mensonge, le voilà : Macron est diffamé tous les jours sous le prétexte de son autoritarisme, mais ce qui se prépare est infiniment plus grave.

La honte et l’honneur.

Bien entendu, des études ont déjà été faites sur les reports de voix, sur ce que feront les électeurs de Jean-Luc Mélenchon, le troisième homme de la compétition. En réalité, il n’existe pas un électeur honnête, de droite ou de gauche qui ne sache déjà que Macron est l’honneur quand Le Pen est la honte. Si c’est une affaire d’émotion, alors pas de doute : on ne vote pas, cette année, contre les inégalités et contre la réforme du système des retraites. On vote pour épargner au pays la plus terrible des expériences.

Je lisais hier les propos de l’excellent Enrico Letta, ancien Premier ministre italien, qui nous raillait, nous Français, parce que nous avons si peur de l’extrême droite. Il est vrai que l’Italie s’est offert une coalition rassemblant deux mouvements populistes qui, au bout de quelque temps, a fini par se déliter. Il oublie les institutions de la Vè République. Il oublie la concentration de pouvoirs qu’elle accorde au président. En cinq ans, Marine Le Pen aurait la capacité de modifier les institutions, par exemple le recours au scrutin complètement proportionnel, de telle manière qu’elle obtiendrait un second mandat. Vous en voulez pour dix ans ?

RICHARD LISCIA

 

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7 réponses à Le duel du destin

  1. GRJEBINE andré dit :

    Excellent article qui montre clairement que, quoiqu’on pense de Macron, le choix dimanche est entre la démocratie et un premier pas vers un système non démocratique. L’expérience historique enseigne que ce premier pas est souvent sans recours. Une fois le processus engagé, il est très difficile de revenir en arrière. Il faut que ceux qui s’abstiendront parce qu’ils reprochent à Macron tel ou tel fait ou plus souvent parce qu’ils lui prêtent tel ou tel trait de caractère (« il est arrogant ») devront tout le reste de leur vie être conscients que le jour où il a fallu choisir entre la démocratie et son rejet, se sont abstenus. Il ne servira à rien de manifester en criant « le fascisme ne passera pas », etc…Dans un ouvrage publié en 1950, mais qui reprenait des nouvelles écrites dans les années trente, Les Irresponsables, Hermann Broch décrit la situation qui a conduit à l’instauration du nazisme.
    Les personnages flottent dans le vague et le nébuleux. Leurs valeurs vacillent et s’effacent. Ils deviennent indifférents à tout, si ce n’est aux règles du milieu ambiant. Ils s’acharnent à les suivre, sans jamais les remettre en question, même au fond d’eux-mêmes. Ils ne s’indignent plus que des opinions ou des actes pour lesquels il faut s’indigner dans leur communauté. Aucun d’eux n’est directement responsable de la catastrophe hitlérienne. C’est, malgré tout, dans cet état d’âme que le nazisme a puisé sa vraie force.
    Les situations ne sont évidemment pas comparables avec celles que nous connaissons actuellement. C’est sur l’engrenage qui conduit à une situation critique et sur la responsabilité de chacun dans ce processus qu’il convient de méditer.
    Avant de ne pas voter, ils devraient méditer ce que Hermann Broch écrivait dans « les irresponsables ».

  2. GRJEBINE André dit :

    Dans un ouvrage publié en 1950, mais qui reprenait des nouvelles écrites dans les années trente, Les Irresponsables, Hermann Broch décrit la situation qui a conduit à l’instauration du nazisme.
    Les personnages flottent dans le vague et le nébuleux. Leurs valeurs vacillent et s’effacent. Ils deviennent indifférents à tout, si ce n’est aux règles du milieu ambiant. Ils s’acharnent à les suivre, sans jamais les remettre en question, même au fond d’eux-mêmes. Ils ne s’indignent plus que des opinions ou des actes pour lesquels il faut s’indigner dans leur communauté. « Aucun d’eux n’est directement responsable de la catastrophe hitlérienne. C’est, malgré tout, dans cet état d’âme que le nazisme a puisé sa vraie force.»
    Les situations ne sont évidemment pas comparables avec celles que nous connaissons actuellement. C’est sur l’engrenage qui conduit à une situation critique et sur la responsabilité de chacun dans ce processus qu’il convient de méditer.

    • Laurent Liscia dit :

      Exactement, cher André. Content de vous lire ! Je me demande cependant si, avec deux-tiers des bulletins de vote pour un candidat populiste, on n’est pas déjà dans la situation de Weimar (et ce, globalement, puisque Trump). Il suffit de lire d’autres commentaires en contrebas, ou certains lecteurs se disent « exaspérés » par les parallèles avec le nazisme. C’est vrai que la France sera pétainiste avant d’être nazie, puisqu’elle l’a déjà été.

      • mathieu dit :

        Un de ces lecteurs « exaspérés » (sic) et au demeurant, bien pacifiste, a fait un constat de coups et blessures, la semaine dernière, infligés au sein d’un centre de rétention, non par un milicien facho… mais par un « collectif » de retenus administratifs à l’encontre d’un voisin de chambrée… qui n’observait pas le ramadan! Sortons un peu de nos cocons de confort intellectuel, et acceptons de tout voir, même ce qui ne conforte pas nos certitudes!
        Signé: un exaspéré… qui ne votera pas Le Pen dimanche!

  3. mathieu dit :

    Le nazisme en France en 2022…je n’y aurais pas pensé! Autodafés, parti unique, presse d’Etat, suppression de la liberté d’expression, peut-être même incendie provoqué de l’Assemblée Nationale! Il est vrai que notre cher Poutine voit aussi l’Ukraine sous la coupe des néo-nazis!
    il est vraisemblable que ces jugements excessifs exaspèrent au fil des ans, des décennies, une grande part de l’électorat.
    Plus convaincants sont, à mon sens, les arguments d’incompétence, d’absence de vision et de carrure internationale, d’incohérence économique, de populisme et de compromission douteuse avec le nouveau « Petit Père des Peuples » de Russie… autant d’arguments heureusement pertinemment exprimés sur ce blog…

  4. François Bretegnier dit :

    Cet article est, à mes yeux, de simple pertinence et je ne me vois pas ne pas voter et ne pas voter contre Marine Le Pen. Mon bulletin Emmanuel Macron sera volontaire et sans hésitation . Mais… Mais je crains « simplement » qu’Emmanuel Macron, élu, « n’oublie » ce qu’il y a aussi de solidement démocratique, humaniste, futuriste et pertinent dans les programmes de Jean Luc Mélanchon et de Yannick Jadot. S’il les « oublie », des catastrophes ne sont pas à exclure dont l’autorité ou l’autoritarisme ne seront pas la solution.

  5. Hauteville dit :

    Que pensez-vous des deux millions d’immigrés supplémentaires (la plupart musulmans) qui s’annoncent avec un deuxième mandat d’Emmanuel Macron ? N’est-ce pas la poursuite du « grand remplacement » ?. Faut-il continuer à l’ignorer après les massacres que nous avons connu au Bataclan, à Nice et ailleurs ?
    C’est là la question essentielle qui n’est évidemment pas abordée.
    J’ajoute que j’ai beaucoup d’amis musulmans.

    Réponse
    Tous les gens qui veulent un coup d’arrêt à l’immigration ont des amis musulmans. Personne n’est dupe du grand amour que les Français leur portent. Quant à la sécurité, faux problème.C’est le renseignement qui doit prévenir les attentats. Je vous signale que, pour le Bataclan, les djihadistes venaient de Belgique, dont Macron n’est pas le souverain.
    R. L.

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