L’Ukraine debout

Une poupée appelée Amal incarne les enfants réfugiés
(Photo AFP)

Il est à la fois surprenant et admirable que l’Ukraine, agressée sans ménagements par la Russie, résiste avec tant de vigueur et qu’au moment présent, ses troupes ont même franchi la frontière avec la Russie, menaçant une ville de garnison d’où partent les renforts russes.

IL N’EST PAS question, ici, de se livrer à un chant triomphal pour saluer l’héroïsme ukrainien. La situation n’est pas encore désespérée pour M. Poutine : ses forces ont rasé Marioupol et avancent vers Odessa. Il a révisé ses objectifs et c’est depuis Kiev, au nord-ouest de l’Ukraine, que les Russes ont reculé jusqu’à leur propre frontière. Là où les Russes sont passés ne règnent que la mort, la destruction et la dévastation. Il faudra un siècle, dit-on, pour reconstruire l’Ukraine.

Ils ont une chance raisonnable de gagner.

Il est tout de même remarquable que les militaires ukrainiens aient pu tenir tête et même battre en certains endroits les soldats de Poutine. Certes, ils ont été aidés par des livraisons d’armements venus des États-Unis et de l’Europe, certes, l’armée russe donne des signes de faiblesse et de désorganisation. Mais le président ukrainien ne s’est laissé impressionner ni par la taille de son ennemi, ni par sa bestialité, ni par une violence dénuée de toute valeur stratégique. De sorte qu’on en vient à imaginer que les Ukrainiens peuvent gagner cette guerre. Non pas que Poutine ne l’ait pas déjà perdue puisqu’il a fait moralement autant de mal à son propre pays qu’il en fait physiquement à l’Ukraine. En revanche, on ne s’attendait pas à ce que la Russie reculât devant les forces ukrainiennes au point de perdre un peu de son territoire.

La répétition afghane.

Cette guerre « asymétrique » montre, une fois de plus, que l’intervention armée sur le sol d’un pays considéré comme plus faible que l’agresseur n’est pas payante et qu’elle risque de se traduire par une décomposition de l’assaillant. On écrira des livres touffus sur la guerre d’Ukraine et sur sa signification et on en tirera la leçon que si un État puissant n’a pas de bonnes raisons d’envahir un autre, il s’expose à de terribles déboires. Les Russes, d’une certaine façon, revivent leur expérience afghane. Ils y ont combattu vingt ans et ont fini par s’en aller face à des soldats afghans armés par les États-Unis. C’était la répétition du drame ukrainien.

Poutine devra rendre des comptes.

Assurément, les Ukrainiens n’auront gagné cette guerre que lorsqu’ils auront débarrassé leur territoire de l’occupant russe. Il sera fort difficile de le contraindre à quitter la Crimée et le Donbass. Mais il sera tout aussi difficile pour Poutine de se maintenir dans des zones où se poursuivrait une guérilla permanente et meurtrière. Une tension prolongée finira par poser au maître du Kremlin un sérieux problème politique. Il procède pour le moment par arrestations, interdictions, désinformation, mais jusqu’à quand et pour combien de temps ? Ses revers militaires accentuent un peu plus la fragilité du trône sur lequel il est assis. On peut être tout-puissant dans son pays, mais on finit toujours par rendre des comptes à l’opinion publique, même si les élections sont truquées.

Un peuple deux fois martyr.

La note discordante, dans ce concert harmonieux, c’est le caractère de Poutine. Il s’entête et il prend prétexte de ses échecs pour se montrer encore plus féroce ; comme il n’a pas le droit de perdre, il se venge de chacune de ses défaites sur le terrain. De ce point de vue, les Ukrainiens sont doublement un peuple martyr parce qu’ils souffrent quand ils sont exterminés et doivent souffrir encore quand ils remportent ne fussent que de petits succès.  On n’évaluera jamais le juste prix de cette guerre anachronique et parfaitement inutile : le prix en vies humaines, en familles décomposées, en destructions (tout est à reconstruire). C’est un coup inattendu que Moscou a porté à l’Europe, c’est un crime contre l’humanité et contre la liberté. Il n’y pas de mal à se réjouir d’une défaite de la Russie : les Ukrainiens se battent aussi pour nous.

RICHARD LISCIA 

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5 réponses à L’Ukraine debout

  1. Michel de Guibert dit :

    Je nuancerai votre propos juste sur un point : la Crimée a été rattachée artificiellement à l’Ukraine en 1954 par Nikita Khrouchtchev.
    Réponse
    Est-ce que cet argument diminue la culpabilité de Poutine ? Et ce mot artificiellement, que veut-il dire ? Croyez-vous que les tsars et les potentats communistes n’ont pas pris des décisions artificielles ?
    R. L.

    • Michel de Guibert dit :

      Non, bien sûr, cela n’excuse en rien l’invasion de l’Ukraine par Poutine !
      Je n’ai jamais dit ni pensé une chose pareille, mais les réalités géopolitiques demeurent et les nier ne fait pas avancer la résolution des conflits.
      En l’occurrence le mot « artificiellement » signifie que la Crimée a toujours été russe depuis au moins le XVIIIème siècle et que le rattachement à l’Ukraine par Khrouchtchev en 1954 ne reposait sur aucune réalité géopolitique.

  2. Laurent Liscia dit :

    « Les Ukrainiens se battent aussi pour nous »: le savons-nous seulement?

  3. Michel de Guibert dit :

    Le président Macron a pourtant sagement déclaré à Strasbourg au grand dam de Zelensky que pour mettre fin à la guerre menée en Ukraine par l’armée russe, le paix devra se construire sans “humilier” la Russie.
    « Nous aurons demain une paix à bâtir, ne l’oublions jamais. Nous aurons à le faire avec autour de la table l’Ukraine et la Russie (…) Mais cela ne se fera ni dans la négation, ni dans l’exclusion de l’un l’autre, ni même dans l’humiliation.
    Quand la paix reviendra sur le sol européen, nous devrons en construire les nouveaux équilibres de sécurité sans jamais céder à la tentation ni de l’humiliation, ni de l’esprit de revanche ».
    « Car ils ont déjà trop, par le passé, ravagé les chemins de la paix », a-t-il ajouté, en faisant le parallèle avec le traité de Versailles conclu après la Première Guerre mondiale, marqué par « l’humiliation » de l’Allemagne.

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