Poutine tient sa victoire

Frédéric Leclerc-Imhoff
(Photo AFP-BFM-TV)

Les forces russes ont pénétré dans Severodonetsk, place stratégique du Donbass, ce qui représente la première victoire de Vladimir Poutine en Ukraine et ne laisse guère présager la négociation d’un cessez-le-feu.

À KIEV, le président Volodymyr Zelensky enrage. Il demande aux pays de l’Union européenne de cesser leurs querelles. Il voudrait qu’ils se concentrent sur l’aide à l’Ukraine en armes modernes plutôt qu’au débat entre partisans d’une négociation avec Moscou et ceux qui préfèrent que les Ukrainiens se battent jusqu’au dernier. Emmanuel Macron refuse de couper le contact avec le Kremlin. Avec les gouvernements italien et allemand, il propose une solution négociée. Les Italiens ont même présenté à Poutine un plan de paix qu’il a rejeté. Le dictateur russe est intraitable quand il perd et encore plus intraitable quand il gagne.

La guerre du blé.

De la même manière, il est peu probable qu’il mette à exécution l’hypothèse d’une levée du blocus de la Mer Noire qui permettrait aux Ukrainiens d’exporte quelque 20 millions de tonnes de blé par voie maritime. Il n’y a aucune raison pour qu’il contribue à écarter la menace d’une famine dans les pays pauvres. Tout ce qui participe au chaos mondial lui convient, sert ses intérêts cyniques, augmente l’affaiblissement de l’Ukraine et de l’Europe. Le moment diplomatique, celui qui épargnerait des vies humaines, qui établirait un cessez-le-feu, n’est pas arrivé et n’arrivera sans doute pas avant longtemps. L’Ukraine a fait des sacrifices qui resteront dans l’histoire. Elle ne consentira pas à lâcher un tiers de son territoire pour un compromis probablement éphémère. La Russie est tentée de donner à son ennemie le coup de grâce.

La faute de Poutine.

Un élément de réflexion n’a pas changé depuis le début des hostilités, le 24 février dernier : la notion de lignes rouges. Elles ont été franchies par la Russie qui s’efforce, par des démonstrations de ses missiles plus récents, de terroriser l’Occident. Un cameraman français de BFM-TV, Frédéric Leclerc-Imhoff, a été tué par un tir russe sur un convoi humanitaire, ce qui est fréquent. La Russie, non sans désinvolture et mépris pour l’humanité, a assassiné des civils. Il n’y a aucune raison pour que la seule réponse de l’Europe se limite à lancer des plans de paix suivis par un « niet » russe. La bonne riposte, c’est de livrer des armes de plus en plus sophistiquées à l’Ukraine en faisant remarquer à Poutine qu’il est responsable de ce durcissement européen. Il en va non seulement de l’avenir de l’Ukraine mais de celui de notre continent.

Terrorisme nucléaire.

Politique du bord de l’abîme ? Elle est pratiquée par le Kremlin. Ses mises en garde à l’Europe ne sont que des messages de propagande uniquement destinés à épouvanter l’opinion européenne. Si, de son côté, M. Zelensky écarte de son discours les formules qu’il devrait réserver aux Russes, il est juste de lui livrer les armes dont il a besoin. Il ne demande pas que l’Union fasse la guerre à sa place ; nous ne devons pas imaginer le Kremlin habité par un paranoïaque prêt à utiliser l’arme nucléaire ; nous ne devons pas avoir peur. À plusieurs reprises, Poutine a communiqué sur des missiles « prodigieux », hypersoniques,  capables de se promener pendant la recherche de leur cible. Mais la force de dissuasion dont disposent l’Amérique et l’Europe est suffisante pour vitrifier l’ouest de la Fédération de Russie. Les meilleurs généraux de Poutine ne le laisseraient pas faire.

In fine, gagner la guerre.

Il faut donc envisager que, en dépit de leurs revers, les Ukrainiens finissent par gagner cette guerre. Poutine veut éviter à tout prix une mobilisation générale ; il finira par épuiser son stock d’obus et de bombes ; c’est une course de vitesse des réassorts : plus vite nous livrons des armes aux Ukrainiens, plus vite nous obtiendrons une défaite russe. Il est vrai que les forces de Poutine n’ont quitté Kiev et Kharkiv que pour se réorganiser dans l’est de l’Ukraine. Mais elles étaient trop dispersées sur le territoire pour résister à la percée ukrainienne. Pour arrêter net la progression russe, il faut des armes dévastatrices, comme le canon français César.

Faible Russie.

Étant entendu que cette guerre nous a révélé davantage de faiblesses que de forces chez la Russie. Les jeunes gens que Poutine a envoyés à la bataille sans leur dire qu’ils avait déclenché une guerre ne sont pas motivés comme les Ukrainiens, transformés du jour au lendemain en patriotes unis et prêts à payer de leur vie la moindre victoire. En Russie, la dissidence montre le bout du nez. Des citoyens courageux dénoncent les mensonges de Poutine comme les horreurs d’une guerre totale, vaine et inutile. L’inflation mine l’économie russe. Le Donbass n’est pas l’Ukraine et la bataille de Severodonetsk cache les contours d’un conflit plus large, dont l’issue favorable est encore à la portée de Zelensky.

RICHARD LISCIA 

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4 réponses à Poutine tient sa victoire

  1. Michel de Guibert dit :

    Le début des hostilités dans le Donbass ne date pas du 24 février dernier, mais de 2014.
    Réponse
    Raison de plus d’en dénoncer la durée et la férocité.
    R. L.

  2. Jean Wolga dit :

    Exact, et en 2014 nous avons laissé faire Poutine alors qu’il violait les engagements précédents de l’Union soviétique et de la Russie, ainsi que ses propres engagements (sommet de Rome du 28 mai 2002, prolongation du mémorandum de Budapest en 2009).
    Lors des accords de Minsk I de 2014 et Minsk II “format Normandie” de 2015 l’Ukraine a été contrainte d’accepter un statut de neutralité, l’annexion de la Crimée et l’autonomie des régions indépendantistes du Donbass, mais cela n’a pas suffi à Poutine.
    La reprise du dialogue « format Normandie » en décembre 2019 à la suite de l’élection du président Zelensky n’a pas suffi non plus.
    Il est temps pour les occidentaux d’aider plus efficacement l’Ukraine sans craindre d’ « humilier » Poutine. Le « dialogue » et les négociations avec Poutine ne servent malheureusement à rien, puisqu’il ne respecte pas ses engagements.

  3. Picot dit :

    Il est peu probable que les Russes perdent cette guerre, malgré leurs erreurs, au point où ils sont arrivés, il ne faut pas rêver. Un renversement de situation devient de moins en moins possible. A noter que seuls 150 000 militaires russes ont été engagés au début des hostilités et il en resterait, selon certains commentateurs, encore 700 000, sur le territoire russe. Sur d’autres sujets il ne faut pas rêver non plus : Poutine a 20 % d’opposants mais 80 % de la population est derrière lui, dirait-on. L’économie russe, disent quelques Français qui vivent en Russie, a quelques difficultés mais ne se porte pas si mal que ça. Sinon comment expliquer la montée actuelle du rouble ? On peut penser ce qu’on veut de Poutine mais seuls les faits sont révélateurs. Les Russes gagneront probablement la guerre mais cela leur donnera-t-il la victoire sur le plan politique par la suite ? Là c’est une autre histoire. Qui vivra verra.

    Réponse
    C’est tout vu. Poutine est un criminel de guerre. La Russie est ruinée par ses dépenses, la hausse du rouble est seulement liée à la vente en roubles de l’énergie, gaz et pétrole. On ne peut pas penser ce qu’on veut de Poutine, c’est un immonde dictateur. Il a déjà perdu la guerre, peut-être pas sur le plan stratégique, mais sur le plan moral. Le « dénazificateur » se conduit comme un nazi.
    R. L.

    • Picot dit :

      Un criminel de guerre. Soit. Dans ce cas bienvenue au club. Avec Truman qui a lancé deux bombes nucléaire sur des civils japonais, une « utilité » stratégique fortement contestée par nombre d’historiens. Et avec Bush qui a tué 500.000 Irakiens.
      Réponse
      Mais pourquoi n’allez-vous pas vivre à Moscou ? Vous y seriez très heureux, et pourrez acheter des roubles à bon marché. Vous ne savez pas que depuis Truman le monde a changé ?
      R. L.

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