Le devoir d’ingérence ?

Des talibans à Kaboul il y a deux jours
(Photo AFP)

Il y a deux jours, on célébrait, non sans contrition, le départ de Kaboul des forces américaines et de l’OTAN. Et l’on déplorait le chaos engendré par cette fuite humiliante. Aujourd’hui, on mesure la douleur du peuple afghan, principalement celle des femmes et filles.  

LES TALIBANS ont prouvé leur constance et leur résilience. Ils ont réussi à vaincre la plus grande puissance militaire du monde, ce qui souligne le danger, pour les pays occidentaux, de s’engager dans une guerre « asymétrique ». Les États-Unis avaient pourtant, en la matière, une expérience solide, après les guerres du Vietnam et d’Irak. Ils ont pris tout leur temps pour s’installer en Afghanistan, ils avaient tout le temps de s’en aller selon un protocole plus digne.

Femmes et filles esclaves.

La crise des « boat people » du Vietnam, il y a plus de 45 ans, a contribué à forger la doctrine  non pas du droit, mais du devoir d’ingérence, défendu principalement par Bernard Kouchner. L’humanisme le plus élémentaire forçait les pays démocratiques à intervenir dans les crises nées de l’incapacité des dictateurs à gérer leur pays. C’est bien ce qui se passe avec les talibans, qui ont reconquis l’Afghanistan d’une manière fulgurante mais se sont montrés incapables de le ramener à l’ordre. Ils n’ont réussi qu’à renvoyer les femmes et les filles à la condition d’esclaves, mais ils n’ont même pas les moyens de nourrir la population.

Ils demandent la charité.

Sans faire la moindre concession sur l’application de la charia, ils ont donc demandé à leurs ennemis de leur rendre les avoirs gelés de l’Afghanistan ou de leur donner ou prêter des fonds pour relancer l’économie afghane. Bien entendu, les États-Unis et l’Europe ne risquaient pas de voler au secours d’un pouvoir arbitraire : l’argent n’aurait pas été consacré à la construction d’écoles pour filles, il aurait seulement servi la pérennité du régime. Il demeure que là ou le djihadisme progresse, les populations autochtones sont en danger, qu’il s’agisse du Sahel africain, de la Syrie, ou de l’Afghanistan. Jamais les « envahisseurs » occidentaux n’ont menacé les peuples, ils s’en prenaient uniquement à ceux qui détenaient le pouvoir.

La palme de la violence.

On y a vu une forme de colonialisme. Mais en violence et en atrocités, les talibans ont gagné la palme. De la même manière, les militaires qui seront emparés du pouvoir à Bamako n’ont justifié leurs deux coups d’État que par le prétexte du « néo-colonialisme ». Ils se sont tournés vers la Russie, favorisant sa présence au Mali, et ont exigé et obtenu le départ de la force française Barkhane, qui s’est installée au Niger. Macron a juré que l’armée française continuerait à lutter contre les djihadistes, mais le seul fait qu’elle n’a plus le droit d’entrer au Mali rend sa tâche encore plus complexe.

Le doigt dans l’engrenage.

Le raisonnement des officiers maliens n’est fondé sur aucun argument solide. Personne ne croit que la France veut occuper le Mali. Elle y a envoyé ses troupes à la demande d’un gouvernement démocratique. Elle a levé la menace djihadiste. La référence au colonialisme, qu’applaudit la jeunesse malienne, n’a aucun sens : l’invitation adressée à Moscou pour qu’elle envoie au Mali les milices de Wagner correspond à une alternative périlleuse dictée par un réflexe imbécile. La junte au pouvoir à Bamako a mis le doigt dans l’engrenage de l’influence russe. On souhaite bonne chance à Wagner qui ne manquera pas de rencontrer des difficultés au Sahel.

Peuples trompés.

Les peuples africains sont tout autant dupés que ceux de Syrie, d’Irak ou d’Afghanistan. Le niveau de culture dans le monde musulman étant supérieur à celui de l’Afrique, la prise de conscience d’un déclin rapide et durable, uniquement maintenu par la force, noie les Afghans, et surtout les Afghanes, dans la détresse. Comment les Américains et l’OTAN ont-ils pu faillir dans de telles proportions ? Comment ont-ils pu littéralement livrer tout un peuple à une force aveugle et inepte ?

Le prix de l’humanisme.

Les Occidentaux n’abandonnent leurs devoirs que parce qu’ils sont épuisés par des guerres qu’ils ont perdues. Mais l’humanisme n’a pas de prix. Le peuple afghan ne mérite pas son sort, pas plus que le peuple iranien, sous le joug et bâillonné, pas plus que le peuple syrien, pas plus que le Sahel où les points d’ancrage de la démocratie sont en train de disparaître. Américains et Européens doivent s’accorder sur une ligne diplomatique ferme à l’égard de tous les dirigeants autoritaires qui ne doivent pas insulter leurs anciens partenaires, ceux-là même qui les ont délivrés d’une menace et avec lesquels ils ont récrit l’histoire de leurs relations.

RICHARD LISCIA

 

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Une réponse à Le devoir d’ingérence ?

  1. Laurent Liscia dit :

    Il arrive qu’un gouvernement demande une intervention. Et qu’il change d’avis, comme au Mali. Le « devoir d’ingérence » aboutit au mieux à une navigation en eaux troubles. Exemples d’ingérence ratée: les casques bleus au Rwanda ; les États-Unis en Irak. D’ingérence réussie: pendant quelque temps, les Américains en Afghanistan et la France au Mali. Les exemples historiques ne sont guère convaincants au total. Nous n’avons pas appris à donner aux peuples les outils et la pratique de la démocratie.

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