L’affaire Doughine

Poutine, mystère non élucidé
(Photo AFP)

Daria Doughina, fille de l’ultra-nationaliste Alexandre Doughine, âgée de 30 ans, est morte samedi dans l’explosion de la voiture de son père, à quelque cent kilomètres de Moscou, dans ce qui ressemble fort à un attentat terroriste.

NON SEULEMENT le crime reste entouré de mystère mais il donne lieu à des spéculations sur les suites que Vladimir Poutine compte donner à l’affaire. Il accuse, bien sûr, les services secrets ukrainiens, qui nient fermement être les auteurs de l’attentat. Il affirme que la bombe a été posée par une femme, identifiée comme Natalia Volk, née en 1979 et qui se serait réfugiée avec sa fille, née en 2010, en Estonie. Elle avait loué un appartement dans l’immeuble où vivait Doughina.

Des prétextes.

Tels qu’ils sont exposés, les éléments partiels fournis par le maître du Kremlin sont autant de prétextes à une action d’envergure contre l’Ukraine ou à une invasion des pays baltes. Rien n’empêche, pour les moment, les « kremlinologues » d’imaginer un complot ourdi par Poutine lui-même et destiné à disqualifier le président ukrainien, Volodymyr Zelenski. La semaine dernier, Zelenski lui-même avait déclaré que l’Ukraine devait s’attendre à un « acte particulièrement cruel » des Russes, sans plus de précision.

La douleur d’un père.

L’exécution de Daria Doughina ressemble fort à ces attentats qui détruisirent des immeubles à Moscou à la fin des années 90 et furent attribués à des Tchétchènes séparatistes. Le terrorisme en Russie est souvent le signe avant-coureur d’une répression impitoyable. Poutine nous a habitués à créer de faux attentats pour ensuite avoir les mains libres et éliminer des adversaires. Peut-être faut-il en premier lieu exprimer un peu de compassion pour la douleur d’un père qui, bien entendu, ne méritait pas la mort prématurée de sa fille, en dépit de son engagement politique. Elle-même partageait publiquement les points de vue d’Alexandre.

Une armée décimée.

L’événement n’est donc pas circonscrit à une erreur des assassins ou à un règlement de comptes entre Russes. Il s’inscrit dans un contexte politique que la guerre en Ukraine a profondément dégradé. Les observateurs occidentaux les plus sérieux estiment que la Russie a perdu quelque 50 000 hommes de troupes, tués au combat ou mis hors de combat. Les jeunes gens russes ne se bousculent pas aux portillons du recrutement, et les sanctions ont lourdement taxé l’économie russe.

Des armements efficaces.

Poutine bout de l’envie de se venger d’un crime qu’il a peut-être organisé lui-même. Il observe avec colère les menées de l’armée ukrainienne en Crimée, la stagnation du front, qui n’a pas bougé depuis quelques semaines, et le développement des moyens militaires exceptionnels dont bénéficie Kiev grâce aux livraisons d’armes précises et complexes que lui livrent, entre autres, les Américains, lesquels, à ce jour, ont dépensé 8 milliards de dollars pour armer et former l’armée ukrainienne.

Le cas de Zaporijia.

Il n’est donc pas présomptueux de dire que celle-ci est en mesure de reconquérir tout ou partie des territoires occupés par l’armée russe. Poutine a besoin d’une carte-maîtresse qui lui permettrait de progresser au-delà du Donbass, vers Kharkiv et Kiev. La polémique sur la centrale nucléaire de Zaporijia est à cet égard édifiante. Les Russes tirent contre les Ukrainiens à partir du site de cette centrale, mais les Ukrainiens ne peuvent pas riposter et mettre en danger les populations civiles.

Un accord ?

Les parties engagées semblent d’accord pour une « neutralisation » de la centrale sous l’égide de l’Agence atomique internationale. Il y a un précédent : l’accord sur l’exportation des céréales ukrainiennes. Mais Poutine pourrait renoncer à cette solution diplomatique pour administrer une trempée aux Ukrainiens. Il n’en est pas à une férocité près. Le décès de la malheureuse Doughina risque de lui servir de tremplin pour une action militaire aux conséquences catastrophiques.

Reste le peuple.

Le peuple russe ne peut pas prétendre qu’il n’est pas au courant. La propagande absurde du Kremlin est contredite tous les jours par les funérailles de soldats tués au combat et par l’accroissement des difficultés de la vie quotidienne qu’entraînent les sanctions occidentales.  La sérénité de façade de Vladimir Poutine ne trompe personne. Il est habité par une haine que ses échecs militaires et sa stratégie auto-destructrice ne fait que renforcer, dans une forme de cycle infernal qu’il alimente mais dont il n’a plus le contrôle. Le fait qu’il serait malade ne joue pas non plus en sa faveur.

Il faut un peuple pour un soulèvement. Un peuple que le poutinisme n’a pas complètement anesthésié.

RICHARD LISCIA

 

 

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2 réponses à L’affaire Doughine

  1. Laurent Liscia dit :

    Très largement anesthésié cependant.

  2. Doriel Pebin dit :

    Depuis Trump, le complotisme fait florès. On peut avancer différentes hypothèses: les Ukrainiens (peu probable), les opposants à Poutine (possible) ou une manipulation du pouvoir (possible, car déjà fait). Objectivement, cet attentat peut viser ou contribuer à resserrer la population autour de Poutine. Le problème avec les dictatures, c’est que toutes les hypothèses sont possibles (il n’y a plus de contre-pouvoirs indépendants). L’espoir est qu’elles finissent par tomber et on saura alors qui sont les commanditaires (comme pour l’URSS). Le peuple russe savait aussi pas mal de choses à l’époque mais il se taisait car c’est une conséquence et la volonté de toute dictature. Espérons que le peuple russe prenne conscience que le dictateur semble perdre de plus en plus la main et subir les évènements à la différence d’avant (vœu pieux peut-être).

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