Une femme moderne

Sanna Marin se justifie
(Photo AFP)

Les Finlandais sont partagés sur le comportement de leur Première ministre, Sanna Marin, qui est jeune, belle et aime la fête. Les gens âgés la critiquent, les générations récentes l’admirent.

LA FINLANDE devrait avoir d’autres préoccupations. Avec la Suède, elle a demandé son adhésion à l’OTAN, ce qui a fait d’elle l’ennemie de Vladimir Poutine, qui dirige un pays partageant avec elle 1000 kms de frontière.  Mme Marin, 36 ans, est complètement soutenue par son peuple quand elle exprime sa solidarité avec l’Ukraine. Elle ne l’est plus quand sont diffusées des videos la montrant en train de danser. Elle a été harcelée au point de devoir prouver, avec un test, qu’elle n’est pas une toxicomane et elle a fini par s’adresser à ses concitoyens pour leur démontrer que ses distractions ne l’empêchent pas de travailler.

Un rempart contre le pessimisme.

Ce sujet est sans nul doute l’instrument d’une observation politique quelque peu oiseuse. J’entends tous ceux qui vont me reprocher de l’aborder, alors que l’actualité fourmille de thèmes essentiels, vitaux, historiques. Justement, la conduite personnelle d’une Première ministre n’est-elle pas l’occasion d’examiner les relations sociales quand elle sont mises à mal par une crise violente ? Dans la défense de ses habitudes festives, Sanna Marin apporte un pierre au rempart qu’il faut dresser contre le pessimisme. On n’a aucun moyen d’associer ses danses et ses rires à de l’insouciance ou à un manque de maturité à 36 ans.

Le temps passe.

D’autant que les Premiers ministres au-dessous de la quarantaine ne sont plus exceptionnels. Ils seraient même recommandés pour créer un lien entre le chef du gouvernement et la jeunesse de son pays. Ce ne sont pas des écervelés, ce sont des personnes qui, pour avoir eu une carrière fulgurante, ne sont pas disposés à lui sacrifier  une période de leur vie qu’ils ne retrouveront pas quand ils auront blanchi sous le harnais.

Un contre-exemple.

Vous me direz, et vous aurez raison, qu’il y a des Premiers ou Premières ministres qui ont plus d’abattage.  Jeunes ou pas, ils ou elles ont marqué leur temps : Margaret Thatcher, Indira Gandhi, Theresa May (qui a quand même esquissé un pas de danse au congrès de son parti) ou encore Jacinda Ardern, 42 ans, une femme elle aussi jeune et belle qui est un modèle de compassion, comme elle l’a démontré en prenant dans ses bras les épouses ou mères de victimes d’un attentat contre une mosquée. Son approche, presque exclusivement humaniste, ainsi qu’elle l’a dit en lui consacrant un livre, est à l’opposé du désir de s’amuser de Sanna Marin. Mais les deux femmes se connaissent et échangent beaucoup. En tout cas, Hillary Clinton elle-même, qui a connu son lot de sévices de tous ordres aux mains de Trump, encourage Mme Marin et lui suggère de continuer à être ce qu’elle est. Si elle feignait d’être une autre Première ministre,  elle serait vite désavouée.

La résistance conservatrice.

Ce qui est amusant, c’est que les Finlandais sont perplexes et qu’ils ne parviennent pas à surmonter leur malaise. Le conservatisme ne demande qu’à s’exprimer devant la « provocation » qui n’en est une que si, au final, elle en triomphe. Les Finlandais qui ont avalé un parapluie n’ont pas le pouvoir de se débarrasser de Mme Marin car ils n’ont pas une bonne raison de la mettre en difficulté. Qui sait ce qui adviendrait de la Finlande si un homme âgé, costume, cravate, prenait en mains les affaires finlandaises et annonçait des temps difficiles, ce que tout le monde sait par ailleurs. Là, on peut redouter l’irruption sur la scène politique finlandaise d’un clone de Mélenchon qui, comme lui, dénoncerait à grand fracas les avertissements pourtant réalistes du pouvoir.

RICHARD LISCIA

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Une réponse à Une femme moderne

  1. Laurent Liscia dit :

    Bien vu ! Rien d’oiseux la-dedans. Ce sont les Finlandais eux-mêmes qui ont déplacé le debat. Sanna Marin a autant, sinon plus d’abattage que ses contreparties. Elle est certainement plus miséricordieuse et progressiste que Mme Thatcher; elle a toute l’intelligence et la froideur analytique de Golda Meir; et de Mme Ardern, elle admire et pratique l’extrême tolerance. Tout pays serait chanceux de l’avoir comme dirigeante. Soyons clairs : la barre est beaucoup plus basse pour les hommes, surtout les vieux hommes blancs. Qu’ils soient avinés, comme Yeltsin, coureurs de jupons, comme Clinton, Kennedy, et Trump, menteurs ou soudoyés, on ne leur en veut pas trop. Pourtant, on pourrait se poser de légitimes questions sur leur capacité à diriger le pays quand ils sont en train de boire, déjeunent cordialement avec nos ennemis, et se livrent à leurs turpitudes entre les draps.
    C’est ça le vrai sujet: la misogynie. On retrouve du coup les enjeux véritables: ce qui se dresse en face de la Finlande, à quelques kilomètres, c’est un rempart d’homophobie, de racisme, de misogynie, tout cela embobiné de fascisme ordinaire. C’est leur rigidité intérieure que les Finlandais examinent. Cette crise va passer, et l’avenir l’emportera. Mais la leçon est difficile et bonne pour nous tous : la tentation de la crispation réactionnaire est forte partout en Occident.

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