Le Royaume-Uni perd sa reine

Elizabeth avec Macron et Johnson en 2021
(Photo AFP)

La reine Elizabeth II est morte hier huit septembre après un règne de 70 ans dont la durée a dépassé celle de la reine Victoria. Sa disparition est ressentie comme une tragédie planétaire car elle était immensément populaire.

ON SE POSAIT des questions sur sa longévité, mais son décès nous a tous pris par surprise, car son état de santé s’est dégradé en 48 heures sans que nous eussions le temps de nous habituer à l’idée de sa mort. Ainsi s’est-elle évité une douloureuse agonie et est-elle partie avec une dignité qui fut sa marque de fabrique pendant toute sa vie. Un mort sereine, dont nous rêvons tous, après une vie exceptionnelle. Elizabeth avait un incroyable talent pour vivre et régner, elle en a eu au moment de disparaître, un peu comme quelqu’un qui nous fait une blague inattendue.

Courage et résilience.

Elle a fait de la monarchie une valeur solide alors qu’un monde en colère s’efforce en vain, depuis des décennies, de se débarrasser de ses oripeaux inégalitaires. Elle n’avait pas son pareil pour se faire aimer si intensément qu’elle se rendait indispensable à la vie d’un peuple. Reine à 26 ans, elle avait déjà, à un tout jeune âge, fait la preuve de son courage et de sa résilience, comme ambulancière qui cherchait inlassablement les survivants des bombardements nazis.

Un moment médiocre.

Tout au plus se souvient-on, dans ce parcours étincelant, d’un moment médiocre, quand, lors de la mort tragique de Diana, la reine, toujours au nom de l’institution, n’a pas su pleurer avec le peuple et partager son chagrin. Son indifférence apparente résultait du péché originel : sa complaisance pour un mesquin complot de palais à la faveur duquel Charles épousait Diana sans quitter Camilla, sa maîtresse.

Le rôle de Tony Blair.

Le tout, bien entendu, sans en informer la naïve Diana. Mais le Premier ministre, Tony Blair, plus lucide qu’elle, exerça sur Sa Majesté sa force de persuasion. Il la força littéralement à sortir, à aller à la rencontre des petites gens qui avaient déposé devant le portail de Buckingham des monceaux de fleurs en l’honneur de la princesse disparue. Elle n’était pas en compétition avec Diana, sous l’effet de quelque jalousie. Et elle fit amende honorable.

Une royauté affectionnée.

C’est alors que les Britanniques ont découvert la femme exceptionnelle qu’ils s’étaient donnée comme souveraine. Tandis que le monde se lançait dans la chasse aux privilèges, elle a gagné l’amour de ses sujets en allant les voir ; on pourrait dire qu’en 70 ans, elle les a presque tous vus. Un tour de force de patience et de compassion pour un peuple qui n’a pas été épargné par les guerres et par les crises. Elizabeth a inventé la royauté compatissante : elle hissait ses interlocuteurs à son niveau au lieu de s’abaisser au leur. C’était sa façon de lutter contre les inégalités.

Une influence planétaire.

Un roi ou une reine britanniques n’ont pas accès au pouvoir politique. C’est donc par le rayonnement de sa personnalité, de sa grâce et de sa dignité qu’elle a exercé son influence non seulement sur la Grande-Bretagne mais sur le Commonwealth et, au-delà, sur une grande partie de ce monde tellement tourmenté. Je ne sais pas de quelle manière elle a influencé ses interlocuteurs, ni comment elle a transformé sa neutralité institutionnelle en un activisme peut-être humanitaire. Le régime monarchique n’a pas en France une excellente réputation, même si nous chérissons les trésors culturels qu’il nous a laissés, mais je ne vois personne qui serait capable de dire un mot de travers sur la reine. Le protocole aidant, mais surtout la grâce de la souveraine et son exemplaire dignité, elle aurait cloué son bec au plus enragé des révolutionnaires.

Une âme forgée par la guerre.

Elle avait aussi beaucoup d’humour, signe, en général, d’une subtile intelligence. Elle tournait en dérision les propos offensifs, la soumission excessive à son autorité, le monde agité de tous les papillons qui venaient se brûler les ailes en sa présence. Elle était pétrie d’une matière inaltérable, celle qu’on acquiert pendant la guerre. Elle avait partagé les souffrances de son peuple, soumis à des bombardements incessants et, même sur le tard, aux destructions causées par les V-2 d’Hitler. La guerre a forgé son âme. On ne risquait pas de lui raconter des histoires. Elle en avait vu d’autres. A-t-elle jamais pensé que son destin était écrit, qu’elle était choisie pour une longue carrière ? Sa force placide le laisse croire. Tant de crimes ont été commis sous ses yeux qu’elle cherchait son optimisme dans l’exercice de la démocratie et la recherche de la prospérité.

Force d’airain.

Sans doute a-t-elle acquis ses qualités principales aux côtés de Winston Churchill, l’homme qui lui a appris, une fois pour toutes, que les situations ne sont désespérées que pendant un temps donné au delà duquel elles changent de qualité. Je crois davantage à ce qu’elle a appris avant de devenir reine, y compris l’expérience incomparable d’une guerre mondiale, qu’à ce qu’elle a fait pendant l’exercice de son métier unique et qui exprimait la force d’airain qu’elle avait acquise.

RICHARD LISCIA

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2 réponses à Le Royaume-Uni perd sa reine

  1. mathieu dit :

    Hommage touchant, à l’unisson de l’émotion planétaire… à l’égard d’une monarque dont on ne connaît finalement…rien, en profondeur s’entend, sous son éternel chapeau coloré assorti à sa tenue. En 70 ans, trois discours, je crois, en tout et pour tout, à son peuple; pas un seul recueil de mémoires ou pensées (devoir de réserve oblige), pas la moindre décision, n’était l’heure de nourrir ses chiens (neutralité politique oblige)! c’est finalement par la complète (et constitutionnelle) absence de rôle dans l’Histoire… qu’elle y sera entrée statufiée de son vivant, de par la grâce conjuguée d’un mutisme souriant, d’une impuissance obligée face à toutes les crises, et d’une santé de fer lui permettant une longévité, constitutive pour une grande part, de sa légende!
    Contrairement à la monarchie espagnole qui, une fois par siècle (c’et peu, c’est vrai!) peut faire basculer l’Histoire, une seule mission pour la Queen: « Sois belle et tais-toi »!
    Ceci dit, et malgré tout, chapeau! your majesty!

    • Laurent Liscia dit :

      Je partage cette admiration pour une reine qui ne s’est jamais permis la moindre entorse à son rôle d’effigie. Comme le dit Mathieu avec tant d’eloquence, elle a gommé, avec une réserve et une équanimité quasiment bouddhistes, toute référence à son ego, pour habiter un rôle qu’elle n’avait ni choisi ni probablement désiré.
      Et pourtant, dans le concert de louanges, j’entends de nombreux couacs, surtout en provenance des anciennes colonies, où les commentateurs/trices nous rappellent que l’empire fut impitoyable et parfois sauvagement cruel et qu’elle en fut le symbole résolu. Et qu’avant de se renommer Windsor, les monarques anglais, jusqu’à la Première Guerre mondiale, étaient après tout des Saxe-Cobourg.
      Je ne suis pas certain de partager la critique. Elizabeth II a présidé à la décolonisation sans regard en arrière, et eut le génie de transformer l’idée d’empire en celle de Commonwealth, ou chacun(e) adhère volontairement. Ce qui assura au Royaume-Uni un rayonnement d’une vingtaine d’années après la décolonisation, alors que la France s’enlisait en Algérie sans idées neuves. Certes, au total, ça n’a rien changé au rétrécissement de la sphère d’influence anglaise, mais on note que même dans les anciennes colonies, les peuples accueillent la nouvelle de son décès avec une sincère tristesse.
      Plus largement, je suis stupéfait par la continuite de la monarchie parlementaire. Même symbolique, la monarchie a-t-elle une place dans la modernité ? Quel avantage voient les peuples à preserver une institution qui existe en dehors du système électoral démocratique ? Ce ne sont pas les larmes des Anglais qui me surprennent, mais leur attachement à une institution féodale.

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