Une crise qui vient de loin

Marine Le Pen croit tenir sa chance
(Photo AFP)

Les Français ne reprochent pas au président la seule réforme des retraites. Ils sont engagés dans un affrontement qui a de nombreuses racines. Ce qui est paradoxal, c’est qu’ils l’ont réélu pour un second mandat, sans doute pour écarter Marine Le Pen du pouvoir. Mais, dans ce cas, pourquoi n’ont-ils pas élu une troisième personnalité au premier tour ?

C’EST ce qui manque à la plupart des analyses. On sait situer Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen, les prétendants de la majorité, ceux de l’opposition, on croit pouvoir prédire de mauvais jours au président de la République, mais il renaît invariablement de ses cendres. Comme s’il était distinct du programme qu’il porte, comme s’il ne désespérait pas de reconquérir sa popularité. Le tableau de cette première journée de mobilisation est pourtant clair : aux abois, M. Macron semble devoir prendre de nouvelles décisions, plus larges, plus politiques, pour diminuer l’intensité de la crise.

Un passage en force ?

Compte tenu de l’agenda mis au point par les syndicats, M. Macron, après avoir laissé Elisabet Borne rappeler du bout des lèvres que la grève est un droit constitutionnel, pourrait être tenté par un passage en force, 49/3 ou, plus grave encore, dissolution de l’Assemblée. En effet, l’entêtement absolutiste des syndicats accroîtra le risque d’affrontement et poussera le mécontentement populaire à son sommet. Des mesures d’ordre institutionnel seraient alors justifiées par le désordre. Ce n’est pas ce que le président a prévu, lui qui a modifié le projet de loi sur les retraites dans l’espoir de le rendre plus acceptable, a fait beaucoup de concessions et pourrait en considérer d’autres. Mais, comme l’a dit le secrétaire de la CGT, Philippe Martinez, la mobilisation est contre l’ensemble de la politique de M. Macron.

Le précédent créé par Chirac.

Contrairement à ceux qui croient que M. Macron, ne pouvant se présenter une troisième fois, est transformé en canard boîteux, il a encore beaucoup de pouvoirs dont il n’a pas fait usage : ceux de la dernière chance, comme les élections anticipées. Elles n’ont pas réussi à Jacques Chirac en 1997 puisqu’elles ont précipité la cohabitation. Mais nous sommes en 2023. Le sort du président n’est pas en jeu. Il risque néanmoins de se retrouver en train de faire la politique de l’opposition, en l’occurrence celle de Marine Le Pen, sinon celle de Mélenchon. Pour la défense de cette hypothèse, il y a le courage et la témérité de Macron. Voilà un homme ultra-contesté après avoir été réélu et qui estime qu’il reste le meilleur candidat à la présidence de la République.

On ne sait pas ce qu’il restera de la réforme des retraites au bout de ce processus. C’est seulement quand la rue sera épuisée que la réforme passera. Pas de changement en France sans grosse galère préalable. Voilà pourquoi toutes les chances sont réunies pour que, en dépit d’un mouvement très large, l’exécutif soit en mesure de tenir bon. Les bouleversements attendus pourraient être salutaires, mais un effondrement du régime ne doit pas non plus être exclu.

RICHARD LISCIA 

 

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Une réponse à Une crise qui vient de loin

  1. Laurent Liscia dit :

    La grogne n’est pas propre à la France, mais elle y trouve son terreau le plus fertile. Ni son intensité, ni sa durée ne prédisent l’issue d’une présidentielle. Les Français sont généralement d’accord pour détester leurs dirigeants (comme les Néo-Zélandais ont détesté Jacinda Ardern tout en l’admirant ou les Américains ont haï Biden, tout en lui donnant une vraie majorité au Senat), mais ils ont un sens silencieux de la compétence. Ils ne trouvent Macron ni dangereux (contrairement à Mme Le Pen ou à M. Melenchon) ni fondamentalement incompétent. Il faut donc lire leur humeur en filigrane, et c’est ce qui explique, à mon sens, l’hallali permanent des oppositions : elles n’arrivent pas à déloger ou défaire cet homme impopulaire. Jusqu’à ce qu’une troisième personnalite, sérieuse et munie d’un projet de société moderne et efficace se manifeste … Mais n’est-ce pas le projet de Macron?

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