Oublier la réforme ?

L’éternelle splendeur de la manif’
(Photo AFP)

Pourquoi l’exécutif ne reconnaît-il pas que la réforme des retraites est une marche trop haute pour lui et que, au lieu de la défendre contre le pays tout entier, il peut y renoncer et apaiser nos concitoyens ? S’il y a quelque chose d’admirable à imposer à un peuple ce qu’il rejette de toutes ses forces, il y ausi un grain de folie à l’entraîner dans ce qui devient une terrible mésaventure.

LES FRANÇAIS pensent que les partis d’opposition et surtout les syndicats vont leur faire vivre une semaine atroce, peuplée d’embouteillages, de grèves, notamment dans les transports en commun, avec une empoignade sans précédent à l’Assemblée. Alors, qu’est-ce qui est le plus insupportable, le projet de réforme ou la guerre que se livrent les pouvoirs publics et leurs administrés ?

18 000 amendements.

Le gouvernement est dans une logique qui aurait paru acceptable dans la plupart des démocraties : Macron a annoncé son projet avant d’être réélu, il n’y a donc pas lieu de faire un référendum, comme l’exige Marine Le Pen. Mais la majorité elle-même vacille et donne le vertige aux partisans de la réforme, les oppositions la vilipendent comme s’il s’agissait d’un instrument de torture, les Républicains font la danse du ventre face au pouvoir pour jouir à n’en plus finir de leur rôle d’arbitres, la gauche et d’autres partis présentent 18 000 amendements au bureau de l’Assemblée nationale, bref on sait par qui le scandale arrive.

Le bord de l’abîme.

Bien sûr : plus les difficultés se multiplient, plus Macron bombe le torse. Il ne peut pas cacher pour autant que l’urgence de la réforme n’est que celle de son second mandat, censé comprendre une action de valeur historique. Oui, c’est triste de perdre, mais en même temps,  la partie est truquée au point que le président ne peut pas gagner. Oui, il risque de se tourner les pouces pendant les quatre ans à venir, encore qu’il ait, avec l’Europe, assez de dossiers pour meubler ses après-midis. Arrivés au point où la société française risque de basculer dans l’abîme, nous devons bien lui signaler les avantages du renoncement. Il gouvernerait ensuite une France plus apaisée, même si sa défaite reste comme une plaie qui ne cicatrise pas.

La dette, on s’en moque.

On peut envisager l’échec, mais on peut aussi imaginer que le président va se cabrer et obtenir la réforme, par exemple en appliquant le 49/3. Mais ce sera la guerre civile : quatre ans de subversion dans un désordre national dont les conséquences sont incalculables ; et on en tiendrait rigueur, comme il se doit, au chef de l’État. À part les ricanements d’usage, il n’y aura rien de tout cela après l’abandon de la réforme.  Macron fera son bout de chemin et s’il n’y a pas de réforme,  seuls en souffriront les comptes de la Nation, conformément à ce qu’a démontré un peuple en colère, qui n’a jamais cessé de se moquer comme d’une guigne de la dette publique.

La veuve et l’orphelin.

Le RN ne parle du référendum que pour embarrasser un peu plus le président. Mais il est évident, tous les sondages le crient sur les toits, que la réforme est très majoritairement impopulaire. Le pouvoir apporterait un  supplément de démocratie au récit actuel de cette réforme s’il consentait à dire qu’elle manque de suffrages. Ce n’est pas pour la couler que j’insiste sur son impopularité, mais pour rappeler que si un homme tient à laisser une trace historique, il faut aussi qu’il ait agi avec une forte majorité. Ce n’est pas le cas aujourd’hui, quand elle soulève des comportements hystériques et conduit les partis à révéler leur bassesse. Au moins aura-t-elle servi à peindre des portraits affreux tandis que ceux ainsi désignés continuent à se présenter, à la manière de Dorian Gray, comme les défenseurs de la veuve et de l’orphelin.

Rien ne consolera le président d’une déception qui semble arriver à grande vitesse. Je ne crois pas néanmoins que l’on gardera de cet épisode le sentiment que le peuple s’est fait justice. On pensera que, décidément, la France est ingouvernable, que l’assassinat du roi y est assez fréquent pour qu’on l’annonce au préalable, avec la certitude qu’il s’agit d’un droit et non d’un crime.

RICHARD LISCIA 

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4 réponses à Oublier la réforme ?

  1. Dominique S dit :

    Et si on posait la vraie question aux Français? Préférez vous que l’âge de la retraite soit porté à 64 ans, où alors que le versement des pensions s’arrête dans quelques années, faute de provisions suffisantes ? Que veut dire l’expression: « Les Français sont contre cette réforme »? Y a-t-il une alternative crédible? Quelle valeur aurait le sondage suivant : « 100 % des Français salariés sont d’accord pour que leur salaire soit doublé ? ». Ou encore celui-ci: « 100 % des patrons sont contre le doublement des salaires ? » Et si on regardait un peu l’âge de la retraite dans les autres pays d’Europe? Macron doit aller jusqu’au bout. C’est pour cela qu’on l’a élu.

  2. mathieu dit :

    Renoncer rangerait Macron au rang de tous ses prédécesseurs, contre l’esprit desquels il se fit élire à deux reprises: mettre la poussière sous le tapis pour la laisser aux générations futures, renoncer aux réformes dès qu’elles deviennent impopulaires ! Rappelons qu’en février 2020, sa réforme « premier modèle » (retraite à points, 1h travaillée = 1h côtisée) était passée grâce au 49/3, avec clause de revoyure en juin pour discuter l’âge-pivot. Tout cela, après 6 semaines de grèves et de paralysie du pays, emporté grâce à la résistance d’Edouard Philippe, fut englouti dans le grand vortex du Covid et le passage à d’autres priorités.
    En sortie de crise sanitaire, faire appliquer la réforme votée devenait trop périlleux pour le « candidat » Macron, trop près de la présidentielle. Il est difficile de rompre avec des pratiques… contre lesquelles on s’est fait élire en 2017 !

  3. Dominique S dit :

    Ce message de mon frère résume tout: « J’ai pris l’autre jour en stop un jeune lycéen qui était opposé à la réforme, mais qui a été incapable de me sortir
    la moindre mesure à laquelle il était opposé … »

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