Séismes et fatalité

En Syrie, on veille les morts
(Photo AFP)

Le tremblement de terre et ses répliques qui ont ravagé une partie de la Syrie et de la Turquie ne sont pas que le résultat de la fatalité géologique. Les régimes politiques des deux pays ne se sont guère souciés de bâtir des immeubles aux normes anti-sismiques.

LA PREUVE de cette incurie est fournie par les tours qu’ont construites de grandes entreprises : elles ont résisté, tandis que les immeubles résidentiels tombaient comme des châteaux de cartes. Certes, l’heure du séisme, le milieu de la nuit, a joué contre les populations endormies. Mais le bilan aurait pu être moins désastreux (des milliers de morts et de disparus, une dizaine de milliers de blessés au moins) si Bachar El Assad et Recep Tayyip Erdogan avaient fait de la sécurité leur priorité numéro un.

Un désastre humanitaire.

On remarquera à ce sujet que la réaction de solidarité mondiale a été spontanée et complètement apolitique, alors que, d’habitude, l’aide spécifique à un pays soumis à la dictature fait l’objet de réflexions intenses. En Syrie, le régime est à bout de souffle : avant même que le malheur ait frappé à sa porte, le chaos révolutionnaire, un début de famine, la misère induite depuis l’absence de paix qui y règne depuis 12 ans expliquent que le tremblement de terre y ait produit un désastre humanitaire.

Gouverner, c’est prévoir.

La Turquie était sans doute mieux armée que la Syrie contre le séisme, elle n’en a pas moins subi des pertes humaines et infrastructurelles particulièrement élevées. En d’autres termes, il vaut mieux qu’un pays soit libre et prospère s’il veut lutter  contre les conséquences des secousses sismiques. Le fatalisme n’est pas lié à l’impuissance naturelle des peuples, mais à la responsabilité de leurs dirigeants qui ne savent pas que gouverner, c’est prévoir.

L’erreur d’Ankara.

En Turquie, où des élections générales doivent avoir lieu l’année prochaine, M. Erdogan est de moins en moins bien placé pour les remporter en dépit des mesures qu’il prend pour étouffer l’opposition. Il aura beaucoup de mal à attribuer le séisme à autre chose que la volonté divine et l’impréparation des Turcs à autre chose que les dépenses excessives qu’il consacre à la Libye, à la Syrie ou encore à la guerre contre les Arméniens. Les gouvernances illibérales ou à tendance dictatoriale ont ceci de particulier qu’elles recherchent la grandeur nationale par des conquêtes que le droit international réprouve. Elles finissent par se rendre compte qu’elle n’atteignent pas nécessairement leurs objectifs ou que, si elles les atteignent, elles y parviennent exsangues.

Bachar, prince chez lui.

La Syrie n’en est même pas là. Voilà un territoire soumis à l’influence des Turcs, des Russes, des Kurdes et des Américains, un dictateur qui ne règne que sur son palais, un peuple divisé en ethnies en guerre les unes contre les autres et auquel Bachar n’a apporté que sa propre férocité, pendant son déclin personnel et sa descente aux enfers. Il aurait pu et dû partir il y a longtemps. Il a préféré rester prince chez lui plutôt qu’exilé ailleurs. Il faudra que les Syriens versent leur dernière goutte de sang pour se débarrasser de sa présence.

RICHARD LISCIA

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2 réponses à Séismes et fatalité

  1. Lefrançois Jérôme dit :

    Et merci pour la pertinence et l’esprit de synthèse de votre article.
    Une remarque (qui ne retire rien à la véracité que vous soulignez de l’impréparation des gouvernements concernés par ce tremblement de terre), consécutive à des informations que j’ai entendues de la bouche d’une journaliste de LCI ce mardi matin:
    en France, nous avons (au moins) deux zones à haut risque sismique, les Alpes, et la partie orientale de la Côte d’Azur; les constructions n’y sont absolument pas non plus anti-sismiques, et la population n’est absolument pas formée aux conduites à tenir en cas d’alerte (à un tremblement de terre majeur)…A la grande différence, par exemple, du Japon.
    Je crains fort, donc, que, une fois encore en France, les « autorités de l’Etat » ne commencent à réagir et à réfléchir que APRES la catastrophe, ce qui est une façon bien particulière de faire de la prévention…alors que « gouverner c’est prévoir », et alors que les spécialistes des tremblements de terre s’expriment extrêmement clairement sur les risques encourus dans ces régions de notre pays.
    Bien à vous,
    Jérôme Lefrançois

  2. Laurent Liscia dit :

    En dehors du Japon et de la Californie, qui ont aussi fait de la prévention « après-coup », mais à l’échelle de la société tout entière, il me semble qu’il n’y a guere de lieu/pays qui aient pris des précautions suffisantes contre les séismes. Tout bâtiment antérieur à 2000 est fort susceptible de s’effondrer en cas de séisme prolonge. (Ce n’est pas seulement la violence du séisme, mais sa durée qui pose problème. Un 4.5 qui dure une minute fera plus de dégâts qu’un 6.5 de quelques secondes.)
    Espérons que les secours aient un effet immédiat.

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