Des ambitions impériales

Manif’ sud-africaine en faveur de l’Ukraine
(Photo AFP)

On mesure les changements géopolitiques intervenus depuis le début de ce siècle en énumérant les États qui sont brutalement passés de la démocratie, ou d’une démocratie contrôlée, à la dictature. Le tableau n’est guère réjouissant parce qu’il résulte d’un esprit de concurrence entre les idéologies, chacun nourrissant des ambitions impériales, à l’image des États-Unis du siècle dernier.

AU MOINS dans les têtes, la guerre froide subsiste. Les relations russo-américaines sont pires qu’à l’époque de la guerre froide : au moins pouvait-on envisager des accords stratégiques empêchant tout affrontement. Aujourd’hui, Poutine refuse de laisser les experts américains visiter ses sites nucléaires. Le risque d’un conflit, compte tenu du bellicisme du maître du Kremlin, est donc aggravé par la surabondance d’ogives nucléaires dont personne n’a besoin. Cependant, la Russie de Poutine se comporte comme si elle était encore communiste. Le retour du pays de Poutine à la guerre froide a donc été relativement rapide. Il pose un problème à la sécurité européenne.

L’impéralisme a changé de camp.

Ceux qui en sont restés à la configuration du vingtième siècle, Est, Ouest, Tiers-Monde, ont besoin de nouveaux instruments d’analyse. Nombre de pays africains ont rompu les liens avec l’Ouest pour entamer une copération avec Moscou. Prenez une démocratie africaine, faites-y un coup d’État et demandez de l’aide à la Russie, elle sera très serviable. Pourtant, dans la réalité,  la balance idéologique a changé de côté. L’impérialisme n’est plus aux États-Unis, il se situe en Russie et peut-être en Chine. On décèle à l’occasion de ce grand chamboulement la permanence des attitudes. Pas besoin de communistes ou d’anti-communistes pour payer cash les régimes africains issus d’un coup d’État militaire.

N’importe quel satrape ambitieux.

En conséquence, il suffirait de dire qu’il faut seulement de l’argent (et des armes) pour s’implanter sur une terre africaine, inutile de faire de la géopolitique. On  peut toujours espérer que Poutine rencontre, dans son épopée africaine, les obstacles qu’y ont trouvés les Français. Mais ce n’est plus la vague communiste que craint l’Occident, c’est n’importe quel satrape ambitieux qui possèderait assez d’argent pour en arroser les juntes. Le problème ne se pose pas en termes de morale. Il accompagne une forme d’accélération de l’histoire. Il a fallu un siècle pour que la France et la Grande-Bretagne renoncent à leurs « possessions », mais seulement quelques années pour que Wagner s’installe dans nos casernes.

Poutine libérateur ?

Conquête lente et lent recul, du côté occidental. La vitesse avec laquelle les Russes se sont emparés de quelques points-clés africains laisse prévoir un départ pas lointain et précipité.  Ces changements ne profitent guère aux peuples africains, mais ils sont éphémères parce qu’ils sont conçus de manière démagogique. Toute l’idée des putschistes est d’abattre ce qu’ils prennent pour des résidus du colonialisme. Résultat : on a chassé les descendants des anciens colonialistes pour en placer d’autres, beaucoup plus virulents, injustes, et incapables. Poutine se présente partout en libérateur, mais il suffit d’observer la guerre en Ukraine pour savoir qu’il ne connaît que la force, quitte à se brûler les doigts.

À noter que la Chine aussi a des visées sur le continent africain où elle est déjà présente, mais uniquement sous la forme économique. L’Afrique livrée aux dictatures ? Pour le moment, c’est le beau fixe entre Pékin et Moscou. Le genre de relations qui se dégrade aisément.

RICHARD LISCIA

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2 réponses à Des ambitions impériales

  1. Laurent Liscia dit :

    Commentaire très clair: les armes et l’argent sont les nouveaux vecteurs de l’impérialisme, pour ne pas dire du colonialisme. La Chine, perçue faussement comme une puissance irrédentiste qui cherche seulement a recuperer des territoires d’origine, comme Taiwan, le Tibet (déjà annexé), et quelques cailloux dans l’océan, est aujourd’hui le pays le mieux implanté économiquement en Afrique, certes, mais aussi en Amerique du Sud. Plus subtile que les colons d’autrefois, et plus discréte que les impérialistes de naguère, elle suborne les pouvoirs en place à coup de matériel minier, de grands projets infra-structurels, de réalisations touristiques qui à l’arrivée font travailler des équipes chinoises et sont financés avec les excédents obtenus aux États-Unis et en Europe. Un système très bien rodé ou l’Ouest a déjà perdu la mise. Comme tu le montres, la Russie est aussi brutale que les colons d’antan, et sa présence est vouée a l’implosion. La Chine est bien mieux implantée, comme une sangsue. Sur la scéne internationale, elle soutiendra son allié, dont le fascisme correspond mieux au sien, jusqu’a ce que Poutine s’écroule.
    Et l’Inde, dont on parle peu, continuera à jouer un jeu dangereux aux côtés de la Russie. Les indiens nationalistes ont eu une récente poussée d’anti-sémitisme, se plaignant des commentaires de Georges Soros sur la corruption du groupe Adani et celle, concomitante, de son acolyte Narendra Modi. « L’inde est une démocratie, mais Modi n’est pas un démocrate, » ce banquier follement cosmopolite s’est-il permis de dire. Et Modi de lui donner raison illico en allant serrer la pince à son camarade Poutine. On sous-estime le réservoir de rage et de superbe des indous Janatta, mais ce problème-là sera celui des Chinois et des Pakistanais à terme, plutôt que le nôtre. En attendant l’imbécilité triomphe sous couvert de cynisme.

  2. Doriel Pebin dit :

    Bonjour, excellente analyse. Ce n’est plus l’Occident qui inclurait donc pour tous ces nouveaux sachants (nouveauté géographique le Japon, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, la Corée du sud, etc…) contre le reste du monde, comme veulent nous faire croire et malheureusement, réussissent à faire croire Poutine et consorts. C’est la démocratie contre les despotes. L’Afrique, ou plutôt nombre de leurs populations manipulées sont en train de tomber dans ce piège grossier. Cela signifie que nous ne sommes toujours mauvais en communication face à cette propagande. Mais, le principe de réalité les fera revenir ou… plutôt, pleurer plus ou moins tôt. Un impérialiste russe ou chinois reste un impérialiste. Encore une fois, constat d’une défaite de l’intelligence. Merci de défendre nos valeurs.

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