49/3, voie funeste

Unis dans la disgrâce
(Photo AFP)

Peu convaincu que la réforme des retraites serait votée par une majorité absolue, le gouvernement a décidé, en dernier ressort, de recourir à l’article 49/3 de la Constitution, qui permet l’adoption d’une loi sans vote. C’est une catastrophe pour la stabilité politique du pays.

LES PIRES conflits aménagent toujours des espaces qui permettent de trouver des compromis. Au-delà des invectives, des manifestations et des grèves, il y avait l’idée qu la Première ministre, Élisabeth Borne « n’avait pas le droit », en quelque sorte, d’utiliser le 49/3. Et il y avait aussi l’idée que, si la loi trouvait une majorité absolue, la crise, peu ou prou, serait terminée. Mme Borne n’a pas tort qui n’a pas voulu jeter aux orties 175 heures de travail et une réforme dont, quoi qu’on en dise, le pays a besoin. Mais pour elle, le 49/3 est un suicide.

Exaspération publique.

Certes l’article figure bel et bien dans la Constitution et même si Mme Borne l’a utilisé onze fois, légalement elle ne l’a fait qu’une fois car il s’agissait dans tous les cas de voter un morceau du même budget. C’est l’opposition, ce sont les syndicats qui ont rendu le 49/3 « illégal » en mettant le gouvernement en garde contre ce choix. Ils ont donc créé la mèche qui va faire exploser l’exaspération de l’opinion publique et les jours de Mme Borne à Matignon sont déjà comptés. C’est très injuste pour la Première ministre et même pour le président, car ils ne sont jamais sortis de la légalité. C’est pourtant leur réputation qu’ils viennent de salir : on leur fait un procès permanent de malhonnêteté politique.

Deux armées ennemies.

Je ne crois pas que ce nouveau coup du sort porté à la réforme ait la moindre vertu. Le rejet du texte va se durcir, la grève va s’accompagner de violences et le pouvoir aura laissé dans cette crise 80 % de son énergie. Et surtout, il n’aura pas l’autorité pour prendre de nouvelles décisions et encore moins pour lancer d’autres réformes. Il y a peu de circonstances où la vie intérieure du pays devient aussi tragique, peu de conflits qui renforcent ainsi la haine que se vouent des Français soudain jetés les uns contre les autres comme deux armées ennemies.

Quatre ans à ne rien faire ?

Qu’est-ce qui vient de se briser en France sinon la notion même de communauté nationale? Macron peut bien changer de Premier ministre, mais lui-même que va-t-il faire pendant les quatre années qu’il lui reste de son mandat ? S’il fallait qu’il partît avec une réputation de réformateur, n’était-il pas préférable, en définitive, d’oublier la réforme et de se concentrer sur les grands équilibres ? Aurait-il redressé les comptes et commencé à éponger la dette qu’on l’en aurait remercié. C’eût été un résultat infiniment meilleur que cette réforme honnie à laquelle il restera identifié à jamais.

La faute de LR.

Le chef de l’État a déclaré que la réforme était nécessaire à la signature de la France pour obtenir des prêts à un taux raisonnable. Il a insisté aussi sur le fait que les Républicains ont été incapables de s’engager et de faire régner la discipline de groupe. Il est vrai que la droite sortira essorée de la crise, mais cela ne peut que renforcer le Front national. On verra tout cela dans quatre ans : un président ne pouvant se présenter une troisième fois, laissera la place à un parti extrême. Certes, il sera considéré comme un réformateur rassurant et solvable aux yeux de ses partenaires de l’Union européenne, mais cette fois, il n’aura pas empêché le RN de s’emparer de la magistrature suprême. Les Républicains auront tout le temps d’y réfléchir.

RICHARD LISCIA

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2 réponses à 49/3, voie funeste

  1. Dominique S dit :

    Tant pis si je fais partie d’une minorité, mais j’ai soutenu sans réserve cette réforme voulue par Macron. Une majorité de Français n’en veut pas ? Mais que veut-elle à la place ? Mystère ! Et pourquoi LR n’a-t-il pas soutenu largement cette réforme qui lui allait comme un gant ? Mystère ! Mes raisonnements sont simplistes ? Sûrement ! Mais cet épisode tout comme celui des gilets jaunes, me donne envie de ne plus jamais m’intéresser à la politique ! Pourtant, les règles du jeu sont aussi simples que celles du Monopoly. Mais personne ne veut les respecter ! Alors à quoi ont servi les élections de 2022 ? A rien puisque de toute évidence, ce sont les oppositions qui ont gagné. Gagné quoi? Juste le droit de dire non ! Alors on n’est pas près d’avancer !
    Réponse

    Je vous approve à 100 %. Je reviens sur ce dossier dans quelques heures.
    R. L.

  2. Jean Vilanova dit :

    Oui, c’est la victoire des extrêmes qui s’annonce pour notre pauvre pays. La messe est presque dite. Et cette victoire s’est construite peu à peu. Tout a commencé quand Mitterrand, par un misérable calcul politique bien à l’image du personnage, a ouvert la boîte de Pandore. Il s’agissait pour lui de diviser la droite par l’entrée en nombre du FN à l’Assemblée en 1986 au moyen de la proportionnelle. Après lui, la médiocrité et les renoncements de tous ses successeurs ont laissé un bien lourd héritage à Emmanuel Macron ; de Chirac qui, en bon rad-soc sorti de la naphtaline des IIIème et IVème Républiques, disait n’importe quoi et ne faisait rien, à Sarkozy et le traité de Lisbonne faisant fi du résultat du référendum de 1992 et vécu comme une gifle par des millions de Français, pas seulement parmi les extrémistes, jusqu’à Hollande… bon, Hollande, mieux vaut ne pas en parler… Pour autant, Emmanuel Macron n’est pas exempt de toute responsabilité. Il n’a pas compris que, depuis belle lurette, les temps d’aujourd’hui ne sont plus ceux de Jupiter d’autant que Jupiter et « en même temps », cela ne va pas ensemble. Ils ne sont pas, ces temps, davantage à la « Start-up Nation » et sa cohorte de ministres hors-sol, voire arrogants ou juste incompétents ; N’Daye et les masques, Wargon et les pavillons de banlieue, Belloubet et le blasphème, Panier-Runacher et les pauvres en sobriété subie, jusqu’au ministre de la Justice et ses bras d’honneur dans l’enceinte de l’Assemblée. N’en jetez plus ! Maintenant, un projet de retraite somme toute peu ambitieux, objet de discours pour le moins fluctuants dont on nous a d’abord dit qu’il devait permettre, ce projet, de dégager de l’argent à d’autres fins (santé, éducation) avant de revenir aux fondamentaux sur l’équilibre du seul régime par répartition. Puis les femmes dont le ministre Riestler, avant de se faire taper sur les doigts, a révélé sur une antenne de radio qu’elles pourraient être défavorisées. Puis encore les 1 200 € minimum, pour qui et brut ou net ?, Puis toujours voilà que ce projet est devenu un projet de gauche avant d’en venir au discours vrai et juste : rassurer les marchés financiers qui nous prêtent des centaines de milliards chaque année qu’il faudra bien rembourser un jour. Enfin, l’erreur fatidique ou la faute magistrale comme on voudra, consistant à vouloir s’appuyer sur une droite en perdition au lieu de rechercher le consensus avec les syndicats réformistes. Mais pour cela, il aurait fallu retenir la leçon de 2019 et se défaire de cette obsession sur l’âge pivot. Vraiment, Emmanuel Marron porte sa part de responsabilité dans la situation actuelle du pays et dans l’avenir sombre qui l’attend à partir de 2027 ou peut-être même avant.

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