Les déchirures du monde arabe

Al Sissi, l’homme fort de l’Égypte
(Photo AFP)

Le monde arabe est divisé, parfois déchiré, entre les adeptes du changement, les nostalgiques de l’ordre ancien et les rivalités entre sunnites et chiites. C’est un terreau propice pour Al-Qaïda, pour la violence, pour les attentats, et pour la prise de contrôle d’États très affaiblis par des factions terroristes. Seule la Tunisie semble capable de trouver un terrain d’entente au sujet de son avenir, comme en témoigne l’accord constitutionnel qui vient d’être conclu entre les partis et qui renonce à la charia, tout en réaffirmant l’égalité hommes-femmes.

EN ÉGYPTE, où les chiites sont rares, les laïcs, soutenus par l’armée, combattent les partisans des Frères musulmans qui étaient au pouvoir jusqu’en août dernier. La destitution par les généraux du président Mohamed Morsi, souhaitée par les laïcs, a coupé le pays en deux, car les islamistes, représentant une bonne moitié du pays, dénoncent l’illégalité du régime provisoire actuel, dominé par le général Abdel Fatah  Al Sissi. Les militaires refusent de composer avec les Frères musulmans, ce qui prolonge la crise, entraîne des violences urbaines, des manifestations réprimées dans le sang, une activité terroriste intense dans le Sinaï. Il est difficile de croire qu’une solution puisse être trouvée dans la seule application de la force, car il s’agirait de mettre sous tutelle cinquante pour cent de la population.

L’Irak explosif.

En Irak, c’est pire : les chiites, soutenus par l’Iran, occupent le pouvoir. Or ils forment une majorité qui gère le pays contre les intérêts des sunnites. Lesquels ne sont pas tous nostalgiques de Saddam Hussein, loin de là, mais demandent que leurs droits soient respectés. L’intransigeance absolue du Premier ministre, Nouri Al Maliki, risque de conduire l’Irak au partage entre chiites, sunnites et Kurdes du nord, qui ont déjà établi une forme d’État séparé dans la région, un État prospère grâce au pétrole. M. Al Maliki refuse de passer des compromis avec les sunnites, ce qui favorise l’activité d’Al Qaïda, dont les hommes commettent chaque jour des attentats d’une violence inouïe. Le seul moyen pour l’Irak de revenir un jour à la paix est d’accepter les revendications sunnites, ce qui ne sera pas possible tant que l’Iran chiite continuera d’y exercer son influence.

La grande explication entre chiites et sunnites semble avoir estompé le souvenir de la crise israélo-palestinienne. Face à l’Iran capable de se doter de l’arme nucléaire, l’Arabie saoudite, ulcérée par les négociations entre Washington et Téhéran, soutient les révolutionnaires syriens en envoyant des combattants sunnites sur le champ de bataille. Du coup, les rebelles, pourtant animés par le rejet de Bachar Al Assad, sont soupçonnés par les Occidentaux de pactiser avec Al Qaïda, ce dont ils se défendent, parfois même en combattant leurs prétendus alliés. De son côté, l’Iran, qui soutient Bachar, envoie des forces du Hezbollah libanais combattre les rebelles. La guerre civile de Syrie est devenue un enfer où à peu près tout le monde se bat contre tout le monde.

Un chaos qui ne profite à personne.

Les paradoxes de la situation géopolitique dans cette région du monde sont nombreux : l’Iran, qui veut acquérir une force nucléaire, reste éminemment dangereux, notamment en Syrie où il est en mesure de sauver Bachar ; mais les méthodes utilisées par les Saoudiens ne sont pas rassurantes : elles favorisent le renforcement des groupes terroristes d’inspiration salafiste. Le Liban est gangrené par le Hezbollah chiite, qui refuse tout système inspiré de la démocratie parlementaire. La Turquie sunnite accueille de nombreux réfugiés syriens (de même que la Jordanie, déjà pauvre) et son pouvoir, incarné par le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, est fortement contesté par les laïcs. La Libye pose un cas différent : elle ne s’est jamais remise de la guerre civile parce que les opposants à Kadhafi ont créé des milices qui n’ont pas voulu rendre leurs armes ; de sorte que le pouvoir central est presque inexistant, et incapable en tout cas d’exercer la moindre autorité sur les grandes villes constituées en bastions indépendants. Le tableau général est sombre et la crise du monde arabo-musulman ne profite à personne.

RICHARD LISCIA

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Une réponse à Les déchirures du monde arabe

  1. BONAN dit :

    Votre blog est d’une clarté absolue,c’est un réel plaisir de vous lire depuis 35 ans.
    Avec tous mes remerciements.

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