Fillon : les pieds dans le plat

Le sommet de la Realpolitik (Photo AFP)

Le sommet de la Realpolitik
(Photo AFP)

Chaque fois qu’il prend la parole, François Fillon est crédible parce qu’il connaît fort bien les sujets sur lesquels il s’exprime. À plusieurs reprises, et notamment dans son livre « Faire », il a expliqué, parfois de façon convaincante, de quelle manière il entendait gouverner. Ce matin, sur France-Inter, il a offert un panorama de politique étrangère qui en surprendra plus d’un.

EN FAIT, l’ancien Premier ministre estime qu’il faut réunir toutes les forces hostiles à l’État islamique (EI), unique objet de son ressentiment, et, pour y parvenir et en finir avec le danger qu’il représente, ignorer tous les groupes qui ne le combattent pas. Cette vision, qui se veut réaliste, définit un objectif unique, l’élimination de l’EI et en accepte le prix, c’est-à-dire un renversement des alliances de la France. Qui se bat contre l’EI ? L’armée de Bachar Al-Assad, affirme M. Fillon, l’Iran, les Kurdes, le Hezbollah libanais et la Russie parce qu’elle combat l’armée nationale syrienne, qui regroupe les opposants à Bachar.

D’autres menaces.

L’inconvénient de cette stratégie, c’est qu’elle répudie nos principes, ce qui est grave parce qu’il en découle des menaces parfois aussi inquiétantes que celle de l’EI. Renforcer le régime de Bachar, c’est imposer aux Syriens des années, peut-être des décennies supplémentaires, de dictature à Damas, surtout si l’opposition syrienne, déjà en mauvais état, disparaît complètement ; s’allier au Hezbollah, qui a pratiqué le terrorisme à tout-va pendant longtemps (notamment en 1983 quand il a tué une bonne partie du contingent français dans un attentat suicide à Beyrouth), c’est lui accorder notre confiance, alors qu’il peut se retourner à chaque instant contre nous ; donner un blanc-sein aux Russes, c’est certes les inclure dans le combat contre l’EI, mais c’est aussi les aider à décider du sort de la Syrie. Il est incontestable que nous essayons de faire le tri entre nos alliés potentiels. Nous espérons un rapprochement entre l’Iran et nous ; nous admirons et soutenons les courage des Kurdes, mais pas au point de rompre avec la Turquie, membre de l’OTAN ; nous continuons à croire au rôle des opposants syriens ; nous n’avons aucune sympathie pour le Hezbollah. Notre stratégie est certes confuse parce que nous tentons de faire le tri entre « bons » et « mauvais » groupes dans le chaos syrien. M. Fillon veut en finir avec l’ambiguïté de la diplomatie française. Mais à quel prix ?

Échanger un terrorisme contre un autre.

M. Fillon explique que si Daech (l’EI), l’emporte en Syrie, il n’y aura personne pour aller les combattre sur le terrain et que seuls les Russes empêcheront cette organisation de devenir l’État qu’elle prétend avoir créé. Au fond, ce qu’il nous propose, c’est, au nom du réalisme, d’échanger un terrorisme contre un autre terrorisme. Avec des gens qui n’ont ni foi ni loi, le sectarisme et la violence finissent toujours par s’exporter. De même qu’Al Qaïda a porté des coups terribles aux États-Unis sur leur propre territoire et contre leurs ambassades à l’étranger, de même Daech nous attaque chez nous et on sait de quelle manière. Rien n’interdira au Hezbollah, soutenu par l’Iran, de se livrer lui aussi à des attentats en Europe s’il finit par battre l’EI ; même l’Iran des mollahs s’est construit sur le rejet du droit international et sur de violents attentats à l’étranger (en Argentine notamment). Nous prendrions des risques insensés si nous nous associions, d’une manière ou d’une autre, à des groupes ou des pays dont la philosophie est un concentré de haine à l’égard des démocraties. A quoi je m’empresse d’ajouter que M. Fillon a au moins raison sur un point central, à savoir que la France est l’amie intime de l’Arabie Saoudite et du Qatar, deux pays qui ont encouragé et peut-être encouragent encore le terrorisme. On sait par exemple que la plupart des terroristes du 11 septembre 2001 étaient saoudiens.
Mais, pour combattre le terrorisme, nous n’avons pas besoin de renoncer à nos idées, qui sont tournées en dérision par Bachar, Poutine, le Hezbollah et l’Iran (jusqu’à présent). Le président russe croit que la démocratie pervertit la nation qui s’en inspire, l’affaiblit et la rend impuissante dans un monde violent, cynique et corrompu. Pourtant, nous n’avons pas d’autre choix que de protéger notre mode de vie car, si nous cessions d’y croire, la guerre contre le terrorisme perdrait une partie de sa signification. Même dans le choix entre deux inconvénients graves, il y en a souvent un qui est plus acceptable que l’autre.

RICHARD LISCIA

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3 réponses à Fillon : les pieds dans le plat

  1. Michel de Guibert dit :

    François Fillon dit la même chose que Hubert Védrine ; il serait opportun de les écouter…

  2. Num dit :

    Fillon a raison.
    Écrasons d’abord l’Etat islamique avec toute les bonnes volontés. Ensuite on verra.
    Roosevelt, Churchill et De Gaulle n’ont pas craint de s’allier à Staline pour écraser Hitler et c’était la condition sine qua non, et ils ne sont pas pincé le nez.
    Daech est le nazisme du 21e siècle, reproduisons les mêmes recettes.

  3. Chambouleyron dit :

    M. Liscia veut que la France soit fière de ce qu’elle est une rèpublique démocratique et laïque donc qu’elle adhère à des valeurs universelles. Préconiser par pragmatisme de choisir des alliés objectifs selon la dialectique communiste et/ou marxiste chez nos ennemis est un non-sens auquel nous a souvent habitués M. Fillon dans sa vision politique des événements.

    Réponse
    Votre interprétation de mes propos est incompréhensible. Non seulement vous ne m’avez pas compris, mais je ne comprends rien à ce que vous dites.

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