La France défigurée

Marion  a fait le meilleur score (Photo AFP)

Marion a fait le meilleur score
(Photo AFP)

Comme les départementales, les élections régionales étaient censées traduire une progression du FN, une victoire de la droite, une débâcle de la gauche. Il n’en a rien été. Le FN triomphe largement, la droite remportera moins de régions qu’elle n’avait prévu et la gauche, battue, enlèvera quand même plusieurs régions.

LE PREMIER TOUR des élections régionales n’aura pas été une consultation locale. L’électorat l’a nationalisé, il en fait un test, un tremplin pour le Front, et instauré une nouvelle donne politique en France. Nous n’avons pas assisté seulement à la naissance du tripartisme. Nous avons fait instantanément du FN le premier parti de France. Gauche et droite sont victimes d’une double offensive : celle des électeurs très mécontents et très décomplexés qui votent maintenant pour le Front sans se cacher ; et celle des abstentionnistes qui ne souhaitent pas donner leur voix au FN, mais estiment que ni la droite ni la gauche ne méritent qu’ils se déplacent jusqu’aux urnes. Les partis classiques n’ont qu’un espoir et il est très ténu : que les absents du premier tour deviennent les présents du second et qu’ils votent massivement pour repousser le Front national.

Le rejet du front républicain.

Ils n’ont que cet espoir parce qu’il n’y aura pas de front républicain, comme on pouvait s’y attendre ; parce que Nicolas Sarkozy, tirant sa force et son intransigeance d’une position pourtant affaiblie, refuse les fusions de listes et les retraits ; parce que l’attitude de l’ancien président n’est même pas logique : la gauche a des réserves, par exemple en Île-de-France où elle gagnera si elle se rassemble, bien que Valérie Pécresse (LR) soit arrivée largement en tête au premier tour. La droite, elle, n’en a pas. M. Sarkozy, en effet, avait sagement créé une coalition entre son parti, le MoDem et l’UDI. Agréable surprise, car on n’avait pas l’habitude de trouver en lui beaucoup d’altruisme. Malheureusement, le score du FN est si puissant qu’il distance la droite (de quatre points sur l’ensemble de l’électorat) et qu’il est urgent pour la droite de s’adapter. Il n’en sera rien, bien que divers leaders LR lui aient suggéré de retirer au moins la liste conduite par Dominique Reynié en Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées où le politologue est arrivé troisième, derrière le FN et la gauche. M. Reynié a décidé de se maintenir, il a la bénédiction de M. Sarkozy, bien qu’il n’ait réuni que 18 % des voix.
Conscient de l’intransigeance du chef des Républicains, le premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis, a décidé d’agir unilatéralement et ordonné aux chefs de liste en Paca et dans le Nord de retirer leur liste. Il a donné la même instruction à Jean-Pierre Massenet qui dirige la liste du PS dans le Grand Est, mais refuse d’obtempérer. La fièvre électorale et la passion idéologique expliquent peut-être ces comportements suicidaires à droite et à gauche. Mais tout cela a-t-il la moindre importance quand on mesure l’avance du Front ? Le vrai problème n’est pas dans les élections régionales, il est dans la force des symboles : si le FN finit par emporter plus de deux régions, il se posera aussitôt comme parti de gouvernement.

Un orage parfait.

Et dès lors que M. Sarkozy maintient son refus de mêler ses troupes à celles de la gauche, il prend la responsabilité d’aggraver la défaite relative de la droite. Depuis ce matin, il est encore plus contesté au sein de son propre parti. Hervé Mariton (LR) estime que « M. Sarkozy n’est pas crédible pour l’alternance » et que « le résultat du premier tour est son échec ». Il est vrai toutefois que M. Mariton est candidat à la primaire de la droite. Éric Woerth ne l’est pas mais déclare: « Nous n’avons pas de leader officiel, légitime ». Jean-Pierre Raffarin a tenté en vain de convaincre M. Sarkozy de revenir sur sa décision. Enfin, M. Sarkozy oublie qu’il est allié aux deux partis du centre et qu’il est censé les consulter, d’autant qu’ils semblent plutôt favorables au front républicain.
M. Sarkozy les a pris de vitesse et a imposé son point de vue au cours de la réunion du bureau politique de LR ce matin. Les listes définitives doivent être présentées au plus tard mardi à midi. Mais peu importe : il vient de se produire en France ce que les Américains appellent perfect storm, l’orage parfait, celui auquel on ne peut échapper et dont il faut accepter la violence et la brutalité. J’ai du mal à croire que les Français iront jusqu’à élire un jour Marine Le Pen présidente, mais je dois reconnaître en même temps que cela fait des années qu’on a du mal à y croire et que le temps, qui a fini par faire son oeuvre, a déjoué tous les pronostics optimistes. Il est préférable de cerner le danger si on veut s’en protéger. Quand j’entends la gauche de la gauche dire que la force du FN vient d’une politique économique qui a échoué, ce qui est vrai, et qu’il faut de nouveau dépenser à tout-va, ce qui est irresponsable, je me dis que la gauche est décidément très mal préparée à un aggiornamento. Et quand j’entends Nicolas Sarkozy dire que la victoire du FN, c’est la preuve qu’il faut mettre la barre à droite, toute, je ne suis pas plus rassuré. En réalité, quel homme providentiel, de droite ou d’ailleurs, nous délivrera des deux femmes les plus réactionnaires qui mènent désormais le bal français ? Alain Juppé ? Sa protégée, Virginie Calmels, a fait un mauvais score en Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes, derrière le candidat de la gauche. Si la droite perd cette région aussi, ce ne sera pas bon pour M. Juppé.

RICHARD LISCIA

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Une réponse à La France défigurée

  1. Num dit :

    Le front républicain est le tremplin rêvé pour le FN en ce qu’il le pose comme seule alternative aux partis traditionnels ayant échoué depuis 40 ans. Sarkozy a raison de le refuser. C’est une solution de courte vue qui précipitera l’arrivée du FN au pouvoir. D’ailleurs, le retrait de Reynié en LRMP augmenterait les chances de victoire du FN dans cette région.
    L’arrivée de Mme Le Pen au pouvoir est inéluctable:
    1. Sa progression est inexorable et le plafond de 15-18% est largement enfoncé avec de plus en plus de Français franchissant le pas.
    2. Les 18-35 ans votent massivement pour le FN et seuls les plus de 65 ans ne le placent pas en tête.
    3. PS et LR n’ont rien à proposer d’autre que de faire barrage au FN mais aucune solution, aucun programme, aucune politique, allant à leur propre perte. A force de n’avoir que comme seul argument que le vote soi-disant républicain mais donnant le sentiment de se répartir les postes, ils ont convaincu malgré eux de plus de en plus de Français que le FN ne ferait pas pire qu’eux. Le sentiment est qu’ils ne comprennent toujours pas le ras le bol général.

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