Le spectacle est dans la rue

Audrey Azoulay, ministre de la Culture (Photo AFP)

Audrey Azoulay, ministre de la Culture
(Photo AFP)

Un accord a été conclu dans la nuit de mercredi à jeudi sur le statut des intermittents du spectacle. On ne sait à peu près rien de cet accord sinon qu’il ne correspond pas du tout à la lettre de cadrage du patronat signée par la CFDT, la CFE-CGC et la CFTC. En d’autres termes, l’accord, salué par Olivier Py, directeur du festival d’Avignon, ne sera pas nécessairement entériné par l’Unedic, qui détient les cordons de la bourse.

LES INTERMITTENTS sont des permanents de la revendication. Leur sort n’est pas enviable. Ils sont quelque 250 000 et 115 000 sont indemnisés chaque année. La variation de leurs revenus est grande mais, en moyenne, ils gagnent 28 000 euros, ce qui cache la réalité d’un grand nombre de précaires. Le régime des intermittents remonte à 1936. On s’est aperçu cette année-là que lorsqu’on faisait un film, on n’embauchait les artistes et les techniciens que pour le temps du tournage. Après quoi, s’il n’y avait pas d’autre projet dans la foulée, les salariés se retrouvaient au chômage. Il en va de même aujourd’hui pour d’innombrables artistes et techniciens qui travaillent pour le cinéma, le théâtre, la télévision et toutes les formes de concerts et de variétés.

Un temps de chômage intégré dans le métier.

Autant dire que les intermittents du spectacle ne sont pas à la noce. Il s’agit néanmoins d’une catégorie professionnelle pour laquelle le temps de chômage annuel fait partie de l’activité, puisqu’il faut indemniser près de la moitié des intermittents. Dans ces conditions, on peut se demander s’il est logique de faire du chômage des intermittents un statut qui relève de l’indemnisation en générale des chômeurs : dans leur cas, on est à peu près certain qu’ils seront sans emploi pendant une bonne partie de l’année. Ils émargent à l’Unedic une fois qu’ils ont travaillé 507 heures dans l’année. Ce qui suffit à décrire la précarité singulière de leur métier qui, par nature, n’est pas à plein temps. Comme pour les autres régimes de la sécurité sociale, on ne s’occuperait pas des intermittents si le déficit cumulé de l’assurance chômage n’atteignait aujourd’hui quelque 30 milliards et si le déficit annuel des salariés du spectacle n’était de 950 millions, soit presque un quart du déficit général annuel de l’assurance-chômage.

Une question qui relève de la politique culturelle.

On remarquera que les employeurs des intermittents ont leur part de responsabilité. S’ils ne peuvent leur offrir que des contrats très courts, ne devraient-ils pas assumer la partie du temps où les intermittents ne travaillent pas ? Le salaire des artistes et techniciens du spectacle ne devrait-il pas pas être augmenté d’un certain nombre d’heures compensant leur inévitable période de chômage ? Bien entendu; ce n’est pas viable économiquement et le Medef se contente de se battre au niveau de l’indemnisation ; il réclame aussi une aide de l’État, ce qui n’est pas absurde, car la vraie question est la suivante : si le gouvernement encourage la culture, s’il veut que le public français ait accès toute l’année à des spectacles de qualité et s’il est admis que l’offre culturelle en France est exceptionnelle, il faut que quelqu’un paye. Et si ce n’est pas le patronat, c’est forcément le contribuable, lequel, bien sûr, dira souvent qu’il ne peut pas payer des spectacles qu’il ne va pas voir. Bref, il s’agit d’un problème relatif à la politique culturelle qui n’a que peu à voir avec le conflit social. Pour les intermittents, le conflit n’a pas disparu depuis 80 ans parce qu’il porte sur une crise structurelle, donc permanente.
D’autant que l’on est en droit de se demander pourquoi il y autant d’artistes et de techniciens s’ils ne sont pas employés à plein temps. Il ne s’agit pas d’imaginer un numerus clausus mais de dire que les intermittents exercent, comme d’autres, une profession et que, si elle ne peut pas les payer tous, il faut bien reconnaître que leur coût social serait diminué par une réduction des effectifs.
Ce qui veut dire qu’il n’y a pas de bonne solution, mais que, de toute évidence, l’État fait semblant d’être aux abonnés absents alors qu’il est censé financer sa politique culturelle. Ce ne sera pas la première fois que le contribuable paie pour une dépense publique dont il ne profite pas nécessairement.

RICHARD LISCIA

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