Ouragan sur le pouvoir

Bayrou, avec Philippe : la malchance
(Photo AFP)

On attendait un remaniement technique, on assiste, moins de trois jours après le second tour des élections législatives, à une crise gouvernementale profonde et inquiétante.

TÔT CE MATIN, François Bayrou a annoncé sa démission du gouvernement dans un communiqué à l’AFP et dans un entretien avec Europe 1. Ministre de la Justice, président du MoDem, porteur de la loi sur la moralisation de la vie politique, M. Bayrou n’a pas pris sa décision de gaieté de coeur. Il a été placé dans une situation intenable par la démission de Sylvie Goulard, ministre des Armées, qui a préféré partir avant de devoir répondre aux questions des enquêteurs sur les emplois présumés fictifs du MoDem. En fait, le geste élégant de Mme Goulard interdisait aux autres ministres de son parti de rester au sein de l’équipe gouvernementale. Mais hier encore, M. Bayrou affirmait que le départ de la ministre était inspiré par une décision « personnelle ».

Entre deux maux…

Marielle de Sarnez, qui quitte elle aussi son poste de ministre des Affaires européennes, avait laissé entendre hier qu’elle envisageait, après son élection à l’Assemblée, d’aller diriger le groupe MoDem dans l’hémicycle. La résistance de M. Bayrou n’aura donc duré que vingt-quatre heures de plus et, bien que sa démission ait été présentée comme le produit d’une réflexion intime du garde des Sceaux, il semble bien que le président de la République, comprenant qu’entre deux maux il fallait choisir le moindre, ait exercé de fortes pressions sur M. Bayrou pour qu’il consente enfin à se sacrifier. Les soupçons qui pèsent sur les emplois fictifs au MoDem ne datent pas d’hier et François Bayrou, jusqu’à ce matin, s’est contenté de les écarter soit par des explications brèves, soit par le mutisme intégral.
Le départ des trois ministres MoDem, après celui de Richard Ferrand, ex-ministre de la Cohésion des territoires, transforme un remaniement technique en crise gouvernementale profonde, précoce et alarmante. Dans un contexte de triomphe électoral, la soudaine fragilité du pouvoir excite l’opposition, trop heureuse de trouver un os à ronger, déstabilise, au moins momentanément, l’exécutif, frappe l’opinion de stupeur. Mais c’était écrit. Emmanuel Macron était obligé de mettre un terme à une contradiction flagrante entre les objectifs éthiques de son gouvernement et l’ombre qui obscurcissait son intégrité. La vie politique se déroulant en ce moment à un train effréné, le Premier ministre doit annoncer avant 18 heures aujourd’hui la composition de son deuxième gouvernement, auquel vont participer des personnalités de droite et de gauche. Le nom de Jean-Pierre Raffarin, ancien Premier ministre de Jacques Chirac, est souvent prononcé.

Trouver des remplaçants.

Quoi qu’il en soit, M. Philippe aura beaucoup de mal à remplacer les partants par des têtes d’affiche du calibre de M. Bayrou et de Mmes de Sarnez et Goulard. Il lui faut trouver des personnes aussi compétentes et aussi désireuses de participer ardemment à une action politique que le président de la République veut singulière, novatrice et débarrassée des blocages idéologiques. M. Philippe a certes démontré qu’il maîtrisait ses nerfs, quitte à se dédire à plusieurs reprises, puisque, dans la crise provoquée par le MoDem au sein de son gouvernement, il a toujours défendu les ministres en place et n’a pas jugé utile, jusqu’à hier, de les remplacer au plus vite. Mais sa sérénité a été mise à rude épreuve.
C’est que, pour lui ou pour le chef de l’Etat, cette amputation de l’équipe gouvernementale n’était pas facile. M. Macron sait ce qu’il doit à M. Bayrou qui, en faisant le choix de ne pas se présenter à l’élection présidentielle et de rejoindre « sans marchandage » le camp d’En Marche !, a certainement apporté à M. Macron l’appui décisif qui a permis son élection. M. Bayrou lui-même a cru qu’il pouvait s’accrocher à son emploi grâce au rôle politique de premier plan qu’il a joué dans la campagne. Il a mis du temps à comprendre que le soupçon ronge les positions les plus solides.

Politique judiciarisée.

Et il les ronge au-delà des pires scénarios que l’on puisse imaginer. Richard Ferrand, qui va se présenter à l’élection de président de groupe à l’Assemblée, est déjà contesté par les « jeunes pousses » fraîchement élues à la République en marche : elles ne veulent pas de lui. Marielle de Sarnez risque de rencontrer les mêmes difficultés. M. Bayrou, sûrement dévasté par ce qui lui arrive alors qu’il se croyait faiseur de roi et se prenait pour l’homme le plus influent de la République, n’est pas assuré de poursuivre sa carrière, malgré ses quarante députés MoDem. A quoi il est impératif d’ajouter que, jusqu’à présent, l’affaire des emplois fictifs du MoDem n’est qu’une sombre rumeur que rien ne prouve, que les ministres concernés pourraient bien être blanchis dans les mois qui viennent, et que, de toute façon, ce qui leur est reproché n’a rien à voir avec un quelconque enrichissement personnel. C’est le cas François Fillon et l’existence d’un parquet national financier qui ont déclenché une sorte d’hystérie judiciaire dans notre pays. Tout à coup, le prix politique payé à la morale devient astronomique. Dans une société moins policée (ou policière), le talent ministériel eût été préservé.

RICHARD LISCIA

PS-Les Républicains dits « constructifs », menés par Thierry Solère, et l’UDI, menée par Jean-Christophe Lagarde, ont annoncé en fin de matinée qu’ils formaient un nouveau groupe parlementaire. Ils consacrent ainsi la scission des LR entre « constructifs » et conservateurs et mettent fin à l’unité de la droite telle que Jacques Chirac a tenté de la constituer sous le sigle de l’UMP. Une recomposition politique est donc à l’oeuvre, qui va se retrouver dans l’action parlementaire et va bien au-delà des difficultés actuelles du gouvernement.

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5 réponses à Ouragan sur le pouvoir

  1. Michel de Guibert dit :

    Avec cette obsession nouvelle de la transparence et de la pureté, la machine à couper les têtes tourne à fond.
    Heureusement ce ne sont que des têtes symboliques, mais on observe un processus analogue à celui de 1793 se mettre en place.

  2. daniel muller dit :

    De toutes façons, c’est un gouvernement bancal, un président bidon élu après une mascarade d’élection sponsorisée par la presse, comme on vend une lessive, et les Français se sont laissés piéger. L’élection présidentielle a été volée aux Français car les deux partis, PS et LR, n’ont pas accepté le verdict des urnes des primaires. On est encore foutus pour cinq ans.

    • Scalex dit :

      Pour moi, la meilleure qualité que l’on peut attendre d’un président de la République est l’intelligence. J’aimais bien Giscard, pour qui j’ai voté en 1974 (à 22 ans) et j’aime bien Macron, pour qui je viens de voter (au 2ème tour) à 65 ans.

  3. Corinne M dit :

    Je ne suis pas contre, un examen de conscience généralisé devenait sans doute nécessaire.
    On est encore très loin de l’ambiance scandinave..

  4. Num dit :

    Amusant (ou pas) d’entendre Bayrou le vertueux donneur de leçons utiliser les mêmes arguments complotistes pour se défendre des accusations d’emplois fictifs que ceux de Fillon, qu’il balayait autrefois d’un revers de main…
    Une bonne leçon pour les donneurs de leçons.

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