Raffarin et moi

Raffarin : concurrence redoutable
(Photo AFP)

Plusieurs personnalités politiques, dont l’ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, les anciennes ministres Aurélie Filipetti et Axelle Lemaire, l’ancien conseiller de Nicolas Sarkozy, Henri Guaino, et d’autres, comme Julien Dray et Raquel Garrido, ont été recrutés comme journalistes dans divers médias.

ON DISAIT que le journalisme mène à tout, à condition d’en sortir. Les femmes et hommes politiques cités ci-dessus nous prouvent que le journalisme est une reconversion prisée par d’anciens élus. Interrogé sur cette curieuse évolution, qui ne date pas d’aujourd’hui, mais prend de l’ampleur, Manuel Valls, élu député de l’Essonne, s’est déclaré « étonné ». L’ancien Premier ministre de François Hollande n’a peut-être pas pour ma profession les yeux de Chimène. Et il n’est pas le seul : de Trump à Mélenchon, à peu près tous les politiciens ont quelque chose de désagréable à dire sur les médias et les journalistes, présentés souvent comme des gens malfaisants, voués à déceler un scandale, toujours attachés à contrer majorité et opposition, toujours porteurs d’une vision pessimiste de la politique et surtout de la façon d’en faire.

Deux métiers différents.

Les personnages qui ont choisi le journalisme ne sont pas, il est vrai, ceux qui ont le plus vilipendé les journaux, la radio et la télévision. Parmi eux, il y a des gens dont l’analyse politique est souvent brillante, par exemple MM. Raffarin et Dray, ou ont un réel talent de plume, comme M. Guaino. Mme Filipetti, qui a publié des romans, se sent sans doute à l’aise dans l’écriture. Mais comment s’empêcher de penser que les deux professions n’ont pas grand-chose en commun, sinon la matière qu’elles traitent ? Ceux qui interrogent et ceux qui répondent sont engagés dans une dialectique, ils ne peuvent être interchangeables. S’ils veulent être crédibles quand ils posent des questions, les journalistes doivent éviter de prendre position. Là, avec ce massif transfert des politiciens vers les médias, on ne trouve que des personnes qui ont affiché depuis longtemps leur couleur politique et ne peuvent avoir pour ambition, en choisissant le journalisme, que de poursuivre leur action militante. Certes, leur engagement ne les discrédite nullement et beaucoup de journalistes, parvenus à la maturité, finissent par s’éloigner de l’information pour présenter leur propre ligne éditoriale, comme le fait votre serviteur. Mais, avec les politiques, on connaît la musique. Ils seront donc quelque peu prévisibles, ce qui n’est jamais le cas avec un journaliste libre, capable de changer d’avis et de renoncer, face à de nouveaux événements, à l’une ou l’autre de ses convictions.

Concurrence déloyale ?

J’ajoute, pour l’anecdote, et pour en sourire, que la presse, tous médias confondus, n’est pas particulièrement prospère et que, en quelque sorte, hommes et femmes politiques convertis à une profession qui a tout de même ses clés et nécessite une formation, nous enlèvent le pain de la bouche. J’ai souvent trouvé intéressantes les analyses que Jean-Pierre Raffarin a faites publiquement ; s’il ne représentait pour moi qu’un défi sur mon propre terrain, je prendrais mon courage à deux mains. Malheureusement, je ne fais pas le poids, car il a quand même la notoriété pour lui. Je ne vois pas comment le lecteur ne serait pas curieux de découvrir les opinions de l’ancien Premier ministre sur tout un tas de sujets, et pourquoi il préfèrerait lire ce blog. Je prends cet exemple parce qu’il y a des convergences entre ce que M. Raffarin pense et ce que je pense. Je me sens mieux préparé à affronter Henri Guaino, le plus exaspéré de tous les Français, qui n’a pas hésité naguère à dire du mal de ses propres électeurs. Je lui conseille de publier un blog, car il pourra constater que donner son opinion en tant que commentateur expose à de vives réparties des lecteurs. Je crains qu’il ne se lasse du journalisme, comme il a fini par être dégoûté par la politique.
Si les politiciens écartés de la politique s’imaginent que le journalisme est un métier de tout repos, ils se trompent. Électeurs et lecteurs sont du même tonneau, tous estimables, mais tous intraitables. Allons, avant de périr sous les coups de la concurrence, faisons encore confiance aux uns et aux autres.

RICHARD LISCIA

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6 réponses à Raffarin et moi

  1. Num dit :

    Votre opinion m’intéresse plus que celle de M. Raffarin, soyez rassuré.

  2. Joel dit :

    Même si je trouve que trop souvent les journalistes d’aujourd’hui jouent les directeurs de conscience et semblent vouloir provoquer l’événement, ceux qui en toute simplicité analysent et commentent en laissant leur liberté à ceux qui ont la réelle responsabilité de l’action sont trop rares pour les abandonner. Vous êtes bienveillant et honnête. Donc l’opinion d’un Raffarin et ses tics verbeux ou d’autres politiques marqués par leurs engagements passés en quête de reconnaissance ne remplaceront jamais vos papiers. Merci à vous de nous aider à réfléchir et juger par nous même.

  3. Michel de Guibert dit :

    La nouvelle de la nomination du journaliste Bruno Roger-Petit comme porte-parole de la présidence de la République (nouvelle institution court-circuitant le porte-parole du gouvernement) est sans doute postérieure à cet article ; j’attends avec impatience votre commentaire.

    Réponse
    Je pouvais l’inclure dans mon article. Je ne l’ai pas fait parce que c’est le contre-exemple absolu, qui m’aurait contraint à adopter un ton plus sérieux. Je suis totalement hostile au mélange des genres et les cas multiples de journalistes qui se sont ralliés à tel ou tel gouvernement font peser un soupçon sur l’objectivité des journalistes.

    R.L.

  4. deregnaucourt dit :

    Comme d’habitude, très bel article de RIchard Liscia. La » mondialisation », principe de dilution universelle, rend indistinctes les frontières, les sexes,les fonctions, les responsabilités…Bel exemple de ses ravages!

  5. Santé dit :

    L’inverse existe aussi avec des journalistes qui se sont convertis à la politique: Noël Mamère, Jean-Marie Cavada… Pourquoi n’en parlez-vous pas?
    Réponse
    Parce que ce n’était pas mon sujet, qui n’était pas sérieux, comme je suis sûr que vous l’avez compris.
    R.L.

  6. JB7 dit :

    Comme le disent très bien les lecteurs précédents, vos articles sont toujours très bien argumentés et sans chercher à nous rallier à votre « opinion/vision » sur un sujet, vous nous invitez à réfléchir.
    Désolés pour vous … nous continuerons à vous lire!

    Réponse
    Merci, je suis très sensible à votre appréciation.
    R.L.

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