Deux idées de la Corse

Macron avec la femme de Colonna
(Photo AFP)

L’Etat et les nationalistes ou indépendantistes corses s’affrontent depuis deux jours au sujet de l’avenir de l’île de Beauté. Le premier veut la maintenir « dans le giron de la République », les seconds entendent s’affranchir du pouvoir central.

EMMANUEL Macron s’est rendu en Corse, où il termine son séjour aujourd’hui, avec la volonté de rappeler que la victoire incontestable des nationalistes aux élections corses n’entraîne pas automatiquement une évolution de cette région vers l’autonomie et, plus tard, vers l’indépendance. Il l’a fait en liant sa visite au vingtième anniversaire de l’assassinat du préfet Claude Erignac, commémoration à laquelle il a invité Mme Erignac et ses deux enfants. En dévoilant la stèle érigée en souvenir du préfet, le seul qui ait été assassiné depuis Jean Moulin, le président ne courait pas le risque de prononcer un discours laxiste. Il a dénoncé la « lâcheté » des assassins de M. Erignac, coupables « d’un des actes de terrorisme dont notre nation a encore récemment subi la barbarie ».

Le ton était donné. En appelant les terroristes par le substantif qui leur convient, il a provoqué un choc psychologique qui douchait aussitôt l’ardeur indépendantiste. Jean-Guy Talamoni, président de l’Assemblée de Corse, s’est d’ailleurs gardé d’assister à la cérémonie, alors que Gilles Simeoni, qui fut pourtant l’avocat d’Yvan Colonna, condamné pour avoir tiré les coups de feu contre M. Erignac, avalait quelques couleuvres.  M. Macron a aussi donné la parole à Dominique Erignac qui ne croyait pas qu’elle reviendrait un jour en Corse, ce « lieu maudit », a-t-elle dit avec toute la sincérité qu’inspire la souffrance. Comme l’a si bien dit M. Macron, « un assassinat ne se justifie pas, ne se plaide pas, ne s’explique pas ».

Des revendications excessives.

Cette manière de convoquer un passé de douleur pour faire reculer les effets d’un succès démocratique, de s’adresser au coeur avant d’entendre les bonnes raisons, de rappeler le parcours effrayant de l’irrédentisme corse avant d’admettre le changement d’époque a servi, pour le chef de l’Etat, de pare-feu à l’incendie nationaliste. Il est incontestable que les amis de Gilles Simeoni, président de la collectivité locale corse, et les indépendantistes, dirigées par M. Talamoni, ont le vent en poupe. D’une certaine manière, ils ne demandent rien qu’une majorité indiscutable ne pourrait exiger.

Mais ils ont tendance, d’une part à oublier le chemin sanglant qu’eux ou leurs prédécesseurs ont suivi jusqu’en 2015, année où le Front national de libération de la Corse (FLNC) a renoncé à la violence, et, d’autre part à rayer d’un trait de plume les presque trois siècles qu’ils ont passés au sein de la République française. C’est très facile de réclamer le changement de la Constitution (la réécriture de l’article 74), encore faut-il une majorité des trois-cinquièmes pour y parvenir et, pour une révision constitutionnelle, ce ne sont pas les 330 000 insulaires qui votent, mais l’ensemble des citoyens français. C’est très facile de demander l’amnistie pour les prisonniers « politiques », comme ils disent, ce l’est moins de remettre en liberté des assassins dûment condamnés par nos tribunaux. C’est facile de vouloir un statut de résident pour les Corses vivant dans l’île, mais la majorité des Corses habite dans l’hexagone ou à l’étranger.

Franchise et transparence.

Sans compter tous ces Corses, comme Eric Ciotti, élu LR, qui récusent la « spécificité » corse au nom de la République une et indivisible.  Mais, au fond, M. Macron a riposté à la fébrilité corse par la franchise et la transparence qui sont devenues sa marque de fabrique. Il a rappelé à ses interlocuteurs l’univers d’où ils viennent, et qui n’est pas glorieux, mais il est prêt à les accompagner vers une forme d’autonomie qui, sans égaler celle de la Nouvelle-Calédonie, permettrait aux Corses de gagner quelques libertés capables de les arracher au jacobinisme enraciné d’un Etat très méfiant, et parfois sévère, à l’égard des régions. Les positions de Paris et des Corses sont éloignées. Le président fera quelques gestes, dont le rapprochement des détenus et de leurs familles, qu’il a confirmé dans un entretien impromptu, dans la rue, avec Mme Colonna. Le voilà parti vers une nouvelle aventure qui ne manquera pas de compliquer sa tâche. Certes, il ne sera pas le président qui aura bradé la Corse. Mais il n’a rien à y gagner, ni dans une rectitude républicaine qui plongera les nationalistes dans la colère, ni dans des concessions qui indisposeront les Français et, parmi eux, bon nombre de Corses.

RICHARD LISCIA

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