Les dix-huitards

A Montpellier, reprise des cours
(Photo AFP)

Des étudiants occupent une dizaine de sites universitaires à travers la France, ce qui préoccupe sérieusement le gouvernement : il craint une addition des mouvements sociaux susceptible de transformer la crise des transports en vaste crise politique.

LA PRESSE et l’opinion demandent aux pouvoirs publics de prendre au sérieux les revendications présentées par les divers mouvements. On remarquera que les étudiants sont hostiles au Parcoursup, méthode décidée par le ministère de l’Education nationale pour l’accès post-bac aux études supérieures et éviter la sélection aveugle. Ceux qui occupent leurs facultés se battent non pas pour leur propre avenir puisqu’ils ont déjà le statut d’étudiants, mais pour ceux qui arrivent. De la même manière, les cheminots réclament le maintien de leur statut, qui n’est pas menacé, mais sera supprimé pour les nouvelles embauches. Quand les grévistes, qu’il s’agisse de ceux de la SNCF, des universités ou d’Air France, dénoncent la « surdité » du gouvernement, ils oublient de préciser qu’eux-mêmes restent sourds aux arguments qui leur sont opposés.

Pas facile d’être étudiant.

Il n’est certes pas facile, aujourd’hui en France, de bâtir une carrière ni même de trouver un premier emploi, y compris pour ceux qui ont accompli plusieurs années d’études supérieures. Sélection ou Parcoursup ne sont rien d’autre que des méthodes inspirées par la pléthore de candidats aux diplômes d’études supérieures dont le nombre trop élevé obère leurs chances de réussir dans la filière qu’ils ont choisie. Pour leurs aînés, il est clair que le parcours professionnel est aujourd’hui beaucoup plus parsemé d’embûches qu’il ne l’était il y a cinquante ans ou même trente ans. Le malaise de la jeunesse, de nos jours, résulte d’une concurrence sauvage due à la démographie. Elle pose problème aux meilleurs spécialistes et a fortiori aux gouvernements débordés à la fois par le nombre de candidats et par l’inadéquation des filières aux besoins de l’industrie. Le ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer, dont la compétence et l’activisme ne sont contestés par personne, a besoin de temps pour apaiser les étudiants.

S’ils ne lui en accordent pas, c’est parce qu’ils sont engagés dans une course de haies interminable, depuis le premier examen partiel jusqu’à la position de cadre supérieur, avec le risque élevé de ne pas aller jusqu’au terme. Et, en somme, les étudiants partagent leur mauvaise humeur avec celle d’une génération de salariés qui en a assez qu’on lui demande des sacrifices en attendant ces jours radieux où une France rénovée, agile et dynamique offrira à tous des perspectives aussi favorables qu’à l’époque où les bacheliers ne se poussaient pas au portillon de l’université et où les ouvriers étaient assurés du plein emploi. 2018 n’a rien à voir avec 1968. La France ne s’ennuie pas, comme il y a cinquante ans. Autrefois, les étudiants se révoltaient contre une société conservatrice, engoncée dans des « valeurs » qui limitaient les libertés. Aujourd’hui, ils réclament une donne qui leur soit plus favorable. Loin de vouloir tout casser, ils demandent que leur insertion sociale soit assurée.

Le cas d’Air France.

Cela ne veut pas dire qu’il n’y aura pas, dans les jours ou les semaines qui viennent, une conjonction des mécontentements capable de paralyser le pays. Le rationalisme ne domine jamais les débats sociaux. Un représentant de la CGT offrait un exemple : dans les discussions avec les syndicats de cheminots, le gouvernement a déjà promis de reprendre à son compte la dette de quelque cinquante milliards de la SNCF. Mais le même cégétiste s’indignait de ce que la ministre des Transports n’ait pas signé un document officialisant cet engagement, sans même se demander ce qu’il était prêt lui-même à offrir en échange, par exemple la reprise du travail. De la même manière, la crise à Air France échappe à la logique comptable. La compagnie aérienne a réalisé, en 2017, un résultat net de 588 millions. Aussitôt, les syndicats ont réclamé une augmentation des salaires de 6 % pour les 44 000 salariés. La direction a offert deux augmentations pour un total de 1 % cette année, plus une enveloppe de 1,4 % en primes diverses pour les personnes travaillant au sol. Une hausse de 6 % représenterait 240 millions, soit 40 pour cent des bénéfices dégagés alors que la compagnie doit se désendetter et investir. La vérité est que le bénéfice obtenu par la compagnie aérienne est insuffisant et qu’il lui faut engranger des sommes bien plus substantielles si elle doit tout à la fois accorder une hausse importante des salaires et lutter contre la concurrence. Les drames sociaux et leur funestes conséquences économiques ne se nouent jamais autour de la vérité des chiffres, mais autour de la psychologie des salariés.

RICHARD LISCIA

 

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