La fin de la politique

Une question d’argent
(Photo AFP)

Le mouvement des gilets jaunes va bien au-delà d’une révolte contre le prix de l’essence. Il conteste, pour la première fois, l’ordre de la République. Il rejette les institutions, la majorité et l’opposition tout à la fois et oppose au programme gouvernemental des solutions immédiates, comme l’annulation des surtaxes sur les carburants.

C’EST POURQUOI les partis politiques qui voient une aubaine dans cette sorte de soulèvement populaire (1 500 points de rassemblement prévus) se trompent lourdement. Ils sont accusés, au même titre que le pouvoir actuel, de n’avoir pas compris les souffrances du peuple. Quand on voit avec quel appétit Nicolas Sarkozy, Ségolène Royal et François Hollande, chacun à sa manière, laissent entendre qu’ils se considèrent comme des recours alors qu’ils représentent le « vieux monde » déjà dégagé par les élections de 2017 et que le « nouveau monde » est lui aussi en crise, on se demande si toute l’affaire ne traduit pas un conflit sans précédent entre gouvernants et gouvernés, entre dirigeants formés pour gérer et administrés qu’ils ont exaspérés, entre laborieux désargentés, aux fins de mois difficiles, et intellectuels sans cesse voués à pratiquer l’analyse et la synthèse et qui n’ont pas le temps de partager les soucis populaires. Au fond, les gilets jaunes  ne veulent plus de la politique, se moquent des orientations idéologiques des partis, ne croient pas que le suffrage universel soit indispensable, ne comprennent pas pourquoi le budget devrait tendre à l’équilibre, pourquoi ils devraient faire des sacrifices ; emportés par la bourrasque qu’ils ont eux-mêmes, et spontanément, déclenchée, ils sont convaincus, contre toute raison, qu’ils vivent l’une des plus sombres périodes de la vie du pays.

Alléger les factures.

C’est faux, bien sûr, mais c’est ce qu’ils croient et leur nombre suffit à imposer le respect. Traiter leurs revendications en les jugeant infondées reviendrait à attiser le feu. Emmanuel Macron a tenté de leur montrer la semaine dernière que la France a traversé des moments d’une infinie détresse, alors qu’aujourd’hui, elle est en paix, travaille et s’efforce de panser ses plaies économiques et sociales. Il appelle l’histoire au secours quand ils répondent que le présent devient inacceptable et que c’est sa faute ; il décrit les dangers auxquels leur révolte nous expose tous, mais s’ils ont un avis sur la question, ils ne voient pas pourquoi le nouveau système italien ou le Brexit seraient catastrophiques, pourquoi ils ne seraient pas, au contraire, des exemples à suivre, l’essentiel étant qu’on allège leurs factures. Il y a désormais deux langages, celui du pouvoir et celui de la foule, et ils sont si distincts que le dialogue devient impossible : ce n’est pas que les gilets jaunes soient complètement insensibles à la cohérence des propos de leurs gouvernants, c’est qu’ils cherchent une simple victoire, la baisse des prix des carburants, qu’ils considèreraient comme le premier pas vers une révision générale des recettes et des dépenses nationales.

L’idéologie est dans le budget.

Depuis longtemps, le débat idéologique dans les sociétés industrialisées s’est transformé en conflit budgétaire : la manière de lever les impôts et celle de les dépenser, voilà ce qui compte. De ce point de vue, les gilets jaunes ont parfaitement compris que l’avènement de l’économie de marché et la fin de la lutte des classes ont réglé leur compte à ceux qui, à droite ou à gauche, préconisent une révolution. Dès lors que celle-ci n’est plus dans l’histoire, il en faut une autre qui serait, en quelque sorte, la traduction de ce qu’on lit sur les réseaux sociaux sous la plume d’individus nourrissant à l’égard de l’intelligence une suspicion fatale : jamais le savoir acquis dans les grandes écoles n’a été aussi vilipendé, et pour une raison simple :  si ce savoir ne sert pas de vecteur à l’amélioration de la condition humaine, ici et maintenant, il ne vaut rien. La déception des masses est compréhensible : à quoi bon accumuler des connaissances si celui qui en est pourvu n’est pas capable d’offrir des avantages sociaux ? Leur dire que ce n’est pas comme ça que ça marche ne sert à rien.  La colère s’auto-légitime : je suis contre les privilégiés, mes vœux ne sont pas exaucés, donc j’ai raison. Ce qui est clair, c’est que, désormais, le pouvoir qui fera des ajustements budgétaires pour complaire  à l’électorat sera voué à l’échec. Or on ne voit pas de quelle manière les Royal, Hollande ou Sarkozy ou, de manière plus générale, les successeurs de Macron, pourraient faire autrement que de constituer un budget.

RICHARD LISCIA

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9 réponses à La fin de la politique

  1. Sphynge dit :

    « Or, on ne voit pas de quelle manière les Royal, Hollande ou Sarkozy ou, de manière plus générale, les successeurs de Macron, pourraient faire autrement que de constituer un budget. » Ne serait-ce pas en le constituant au sein d’une politique et non pas en guise de politique ? Car le budget, à quelques réformes sociétales près, résume actuellement la politique. Or, le pays (et plus généralement, l’Occident) est en manque cruel de politique. Il est confronté à une mondialisation sauvage dont les ravages se manifestent par une augmentation jamais vue des inégalités, et maintenant un appauvrissement (en valeur absolue) de sa population. Aussi par une acceptation de flux migratoires insupportables (même en ne se fondant que sur les chiffres officiels, comptés depuis la dernière guerre mondiale) par un peuple qui possède une identité, une histoire, des us et coutumes, mis à mal, non seulement dans les territoires perdus, mais en fait dans la plus grande partie du territoire. Et par son corollaire l’islamisation de l’Europe que les peuples ne semblent plus accepter. Les peuples ne sont pas aussi « convenables » que les élites. Plutôt que leur faire la « morale », les dirigeants, ne devraient-ils pas commencer à écouter la souffrance profonde qui se cache derrière toutes ses doléances circonstancielles ? De Gaulle le fit, Mitterrand à un moindre degré mais surtout sans fond, mais aucun autre président de la Vème république. Est-ce le moment de l’homme ou de la femme « providentielle », avec une politique des profondeurs et non plus des réformettes prétendument ambitieuses ?

    Réponse
    Votre (longue) réaction est truffée d’adjectifs qui ne suffisent pas à démontrer votre point de vue Les « réformettes prétendument ambitieuses » sont des réformes en profondeur dont le pays a besoin. En quoi manquons-nous cruellement de politique ? Tout, aujourd’hui est politique. Et un budget reflète une politique. Quant à votre fantasme sur l’islamisation de l’Europe, qu’est-ce qu’il vient faire dans l’histoire des gilets jaunes ? Le plus complet des changements, y compris à la suite d’une révolution, finit toujours par un budget. C’est le sujet de ma chronique. C’est un blog que je signe. Ce n’est pas un espace réservé à l’intolérance, pour ne pas dire la xénophobie.
    R.L.

    • Sphynge dit :

      Non, il ne s’agit ni d’intolérance, ni de xénophobie, mais de hiérarchie des sujets de la politique. Le mouvement des gilets jaunes n’est, à l’évidence, qu’une réponse après qu’une goutte d’eau a fait déborder un vase. Ce que je crois, c’est qu’à travers la goutte, il faut regarder attentivement le contenu du vase. Il me semble être, non une crise économique (bien qu’elle existe, bien sûr), mais une crise profonde de société, et, peut-être même de civilisation. Ce n’est pas être intolérant ou xénophobe que de se préoccuper de sa survie, lorsque celle-ci est menacée, notamment par un flux étranger supérieur à ses capacités d’assimilation, alors qu’elle souhaite conserver ses fondements essentiels (ce qui ne veut pas dire, ne pas être ouverte à des apports extérieurs). Votre chronique sur les gilets jaunes m’ont inspiré ces réflexions, mais si vous estimez qu’elles sont hors sujet…
      Réponse
      Une crise de civilisation ? On verra. Rien, mais alors rien, ne prouve que nous ne sommes pas capables d’absorber une immigration pour le moment contrôlée. Ma chronique vous a très mal inspiré et je le regrette. En attendant, les revendications sont de nature budgétaire. Il me semble maintenant que vous vous êtes suffisamment exprimé sur le sujet et en dehors du sujet.
      R. L.

      • mathieu dit :

        M.Sphynge, conseillez, à qui douterait de la bonne assimilation migratoire… et habiterait Paris (à quelques stations de métro), une virée dans les rues de St-Denis, ou la lecture d' »Inch’Allah » de G.Davet et F. Lhomme, journalistes au Monde, sur cette commune où l’on ne parle – presque – plus français!
        « A force de dire des choses horribles, elles finissent par arriver », répétait Michel Simon dans « Drôle de Drame »! Refuser de les voir ne les empêche, hélas, pas de se produire!

  2. admin dit :

    LL (USA) dit :
    Même un rejet des impôts se traduit forcement par une mesure budgétaire.

  3. chretien dit :

    Quand on part sur des idées fausses comme ses références à l’histoire, on peut légitimement estimer que la construction de son budget n’est pas forcément la bonne. Je repars sur la méconnaissance et de la déconnexion des énarques (pour les avoir fréquentés) de la vie réelle des Français dans leur vie de tous les jours et de leur manque de bon sens « paysan ».
    Mise à part cette remarque, votre article est plein de bon sens et nous incite à des réflexions à avoir sur les événements de ce jour et sur chacun de vos écrits ! Merci.

    Réponse
    C’est justement le point que j’ai soulevé. Le « bon sens  » paysan ne peut pas affronter les complexités de l’économie et de la technologie. On peut le célébrer tant qu’on voudra et en faire une oeuvre littéraire, cela ne signifie pas que l’on doive se dresser contre l’intelligence et le savoir, comme si c’étaient des maux sociaux. C’est pourtant ce qui se passe. On n’en veut pas qu’aux riches, on en veut à la connaissance, à la compétence, au travail. Trump est l’incarnation du mouvement : il est ignare, il ne peut pas lire un document de plus d’une page, il ne peut pas se concentrer plus de cinq minutes sur un sujet, mais il se présente comme celui qui a toutes les solutions. Avec le populisme, nous sommes en train de dénigrer ce que la France fait de meilleur.
    R.L.

  4. ostré dit :

    Oui, c’est bien la fin de la politique puisque les multinationales et la banque dominent tout, et les politiques sont à leur botte surtout actuels,les inégalités se creusent. Le populisme prend le relais sur ce terrain fertile. Il faut tout changer : arrêt objectif de la croissance et baisse de la consommation avec répartition des richesses, écologie vraie, etc…
    Réponse
    Etc ? Appliquez votre programme, vous compterez ensuite les gilets jaunes, dont les manifestations ont déjà fait un mort et 47 blessés. Tout changer ? Mais changer un peu est déjà impossible.
    R. L.

  5. Chretien dit :

    Vous avez sûrement raison et je partage tout à fait votre avis en particulier sur Trump mais l’intelligence et le savoir doivent se confronter à la réalité des faits qui, en l’occurrence aujourd’hui,les dépasse. L’intelligence consiste justement à savoir s’adapter à toutes nouvelles situations.

    Réponse
    S’adapter aux nouvelles situations ? Les gilets jaunes réclament exactement le contraire. A les entendre,le gouvernement devrait subventionner l’essence. Comment s’adapter à la pollution sinon en rendant plus chère l’énergie fossile ?
    R.L.

    • lionel dit :

      On peut s’adapter à la pollution en augmentant les taxes sur le kérosène, sur le transport maritime (les croisières en particulier), en assujettissant la délivrance de tout nouveau permis de construire à une énergie renouvelable (panneaux solaires au sud de la France, géothermie au nord et ne pas interdire brutalement le chauffage au fioul). On peut expliquer à A. Merkel que faire brûler du charbon pour fabriquer de l’électricité pollue énormément. Quoi qu’il arrive, les voitures diesel d’aujourd’hui seront hors d’usage dans 20 ans, le moment serait donc venu d’entreprendre un projet industriel ambitieux en développant l’hydrogène (surtout pas l’électrique car les terres et métaux rares n’étant détenus pratiquement que par la Chine cela nous rendrait encore plus dépendant d’elle).
      Voilà ce qui serait une adaptation clairvoyante à la pollution et non pas un impôt déguisé de plus.

  6. Scalex dit :

    Comme vous le dites par ailleurs, le risque Le Pen ou Mélenchon, déjà fort l’an dernier, se rapproche à grands pas. Ce qui se passe actuellement pourrait s’appeler… du sabordage. Mais je suis sûrement trop pessimiste.

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