L’État de droit en question

L’hommage à la Sorbonne
(Photo AFP)

On ne pouvait imaginer de lieu plus adapté pour rendre un hommage national à Samuel Paty que la cour d’honneur de la Sorbonne, fabrique du savoir littéraire et scientifique, à la confluence des Lumières dans un monde dégradé par la violence, la haine et la barbarie.

LA POLICE et la justice ont placé très rapidement devant leurs responsabilités les auteurs multiples du complot qui a abouti à la décapitation du professeur d’histoire et géographie. Il n’existe aucune raison de croire que le dossier sera classé sans suite. Des sanctions seront prononcées. Les agresseurs seront condamnés et tous ceux qui se réjouissent du supplice infligé à M. Paty se savent déjà traqués. Cependant, la question se pose aujourd’hui de l’efficacité de notre faisceau de lois, constamment perfectionnées depuis trente ans pour essayer de tuer dans l’œuf toute velléité de « séparatisme », le mot est bien plus judicieux que ce que l’on en dit. Deux lois, l’une décidée par l’exécutif, l’autre sous forme de proposition d’élus, que le Conseil constitutionnel a rejetée, seront vraisemblablement adoptées par le Parlement qui renforceront notre arsenal judiciaire. Le pays a sûrement le droit de se défendre contre des personnages malveillants voués à utiliser nos propres libertés pour nous attaquer. Malheureusement, ou heureusement, nous ne pouvons pas nous battre avec les armes de l’ennemi. Nous ne pouvons pas atteindre notre objectif, l’élimination du terrorisme, par de purs moyens répressifs que n’entérinerait pas notre société démocratique.

Le terreau de la révolte.

Le terrorisme fleurit sur le terreau des esprits jeunes, mal informés ou désinformés et révoltés contre la société où ils vivent. Ils commencent par se mettre en marge de ce qu’ils appellent le « système », adoptent des attitudes provocatrices, par exemple le voile intégral, et sont vite gagnés par la propagande que des manipulateurs leur instillent grâce au parcours-éclair que leur assurent les réseaux sociaux. On a, un peu trop vite, ironisé sur la « naïveté », attribuée au Conseil constitutionnel, sous le prétexte qu’au nom de la rigueur, il a récusé la loi contre la haine proposée par la députée d’En marche, Laetitia Avia. Elle va revenir devant l’Assemblée avec une proposition nouvellement rédigée. Nous voulons espérer qu’elle a largement puisé dans notre besace législative, car nous devons avoir le souci de ne pas combattre la violence par des moyens que la République interdit. Nous ne devons pas dériver vers le non-droit pour combattre les assaillants de la démocratie.

Un adversaire indistinct.

Il est vrai qu’ils ne nous donnent pas le choix, qu’aucun gouvernement ne saurait s’abriter derrière des principes pour éviter de riposter à ceux qui ne cachent même pas leur projet de disloquer notre société. Mais il a été largement démontré dans le passé que les démocraties doivent accepter le défi de la terreur ou de l’invasion et peuvent l’emporter avec les moyens dont elles disposent. Ceux, à quelque confession qu’ils appartiennent, qui acceptent de lutter contre le terrorisme, se retrouveront naturellement dans le même camp, face aux autres, une minorité nuisible et agissante, mais vouée à sa perte par l’exagération de ses sinistres ambitions. Nous parviendrons de cette manière à faire le tri entre les musulmans de France : ceux qui nous soutiennent et composent une majorité et ceux qu’il faut juger. Nous parviendrons, dans le même temps, à rester fidèles à nos principes même si on ne mène pas une bataille, surtout quand elle est longue, sans se salir, sans se réduire soi-même et sans ressembler un tout petit peu aux fanatiques qui nous haïssent. Rappelons-nous sans cesse qu’ils ne font pas de quartier et que la moindre indulgence de notre part se  retournerait contre nous. Encore faut-il que nous soyons unis contre un adversaire indistinct, caché dans une foule de citoyens innocents et ruminant sans relâche son projet mortel.

Il lui serait facile de dénoncer la répression infligée par un État au mépris de ses propres lois. Les terroristes n’en sont pas à un mensonge près, à une insulte près, à un acte de violence près. Leur exaltation, leur fanatisme, leur zèle barbare, leur passion destructrice ne les empêche ni de réfléchir ni de mener à bien quelques unes des plus mortelles de leurs entreprises. À ce titre, il faut les prendre au sérieux, donc les combattre avec une fermeté et une endurance que l’on réserve à d’intraitables ennemis. L’essentiel étant que nous restions nous-mêmes : jamais tentés de nous égarer au-delà de la légitime défense.

RICHARD LISCIA

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2 réponses à L’État de droit en question

  1. Michel de Guibert dit :

    Jean-Louis Bianco : «Ceux qui dénaturent la laïcité sont ceux qui en font un outil antireligieux».
    Le président de l’Observatoire de la laïcité réagit, dans un entretien au « Monde », aux propos du premier ministre, Manuel Valls, qui l’a accusé de «dénaturer la réalité de la laïcité».

  2. Alan dit :

    « un adversaire indistinct, caché dans une foule de citoyens innocents et ruminant sans relâche son projet mortel ». C’est tout à fait ça. Cruel, lâche et minable.

    Et peut-être la justice se rendra-t-elle compte qu’il aurait fallu poursuivre celui qui a torturé puis tué une vieille femme juive (Sarah Halimi) au lieu de le disculper sous de faux prétextes (le cannabis, une bouffée délirante, etc.).

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