Sur le sort de Colonna

Colonna dessiné en 2009
(Photo AFP)

Des émeutes graves ont opposé pendant plusieurs jours des manifestants aux forces de l’ordre, à la suite de l’agression en prison d’un détenu contre Yvan Colonna, l’assassin du préfet Claude Érignac. Le ministre  de l’Intérieur, Gérald Darmanin, est chargé de négocier le retour au calme avec les chefs des manifestants.

UN des détenus s’est jeté sur Colonna et l’a étranglé. L’assassin de M. Érignac est dans le coma, entre la vie et la mort. De nombreux Corses avaient réclamé le rapprochement des prisonniers (Colonna était dans une prison d’Arles) pour qu’ils puissent voir leurs familles plus souvent, ce que l’État a toujours refusé. L’attaque contre Colonna a mis le feu aux poudres. Pour une simple raison : l’assassin n’est pas perçu comme tel, mais comme un héros. Le gouvernement, aujourd’hui, regrette sans doute de n’avoir pas transféré les détenus dans une prison corse, ce qui aurait empêché une nouvelle flambée de nationalisme. Mais le problème réside plutôt dans le fait que la mort du préfet Érignac reste dans les mémoires comme un traumatisme national.

Une visite à l’opéra.

Claude Érignac était un haut fonctionnaire sans peur et sans reproche. Il s’est rendu à l’opéra d’Ajaccio et, avec sa simplicité, il y a déposé son épouse avant d’aller garer sa voiture à quelques pas de là ; et c’est à ce moment que Colonna, aidé par d’autres criminels, notamment Alain Ferrandi et Pierre Alessandri, a tiré une balle dans la nuque du préfet. Colonna et ses co-accusés ont été arrêtés,  jugés et condamnés. Ils n’ont jamais avoué leur crime. La justice est donc passée, mais pour les nationalistes corses, le dossier n’est pas refermé. Ils ont demandé une réduction de peine, un rapatriement en Corse des détenus, toutes sortes de revendications qui, si elles avaient été satisfaites, auraient allégé la détention, seule peine prévue par la justice.

Ce ne sont pas des innocents.

On peut fort bien se demander pourquoi Colonna cohabitait avec un homme dangereux et d’une force exceptionnelle, pourquoi cet homme lui en voulait au point de le tuer, pourquoi le gouvernement ne s’est pas décidé à le transférer dans une prison proche d’Ajaccio, ce qui aurait évité une flambée de violence. Mais on ne peut pas, comme le font les nationalistes, avoir pour Colonna et ses complices le regard de Chimène et demander pour eux des avantages qui en feraient des innocents. Ils sont tellement obsédés par leur singularité qu’ils ne comprennent rien à la condamnation d’un assassinat. Ils ont fait un ange d’un sombre criminel qui n’a pas hésité à abattre un innocent.

On ne sache pas que le ministre Darmanin soit un enfant de chœur, susceptible de se laisser convaincre par les nationalistes. En revanche, il ne fait pas de doute que le gouvernement doit s’emparer d’un dossier, celui de la Corse, qui contient plusieurs thèmes explosifs mais qui a été délaissé à cause d’une lourde conjoncture politique. Le nationalisme corse, nanti de la majorité parlementaire l’Assemblée corse, n’est pas impressionné par les multiples avantages fiscaux et économiques dont le département bénéficie grâce aux largesses de l’État. À terme, il exige la gouvernance de l’île de Beauté, revendication maximaliste qui entretient une dispute permanente avec le pouvoir.

Ne s’interdire aucune perspective.

On ne voit pas ce qu’une forme d’autonomie ou même d’indépendance apporterait au peuple corse. Ce serait une évolution capable de mettre à genoux l’économie du territoire, ce que l’enthousiasme nationaliste, qui n’est d’ailleurs pas majoritaire puisque tous les référendums sur la question n’ont produit que des « non », ne discerne pas. Certes, le fracas et la violence des exigences nationalistes ne devraient pas, à elles seules, suffire pour que la Corse largue les amarres sans autre forme de procès. Mais d’une part, il faut sortir les problèmes de la poussière qui les recouvre et négocier sérieusement avec les élus corses ; ensuite, la France ne doit s’interdire aucune perspective, y compris la sécessionniste, pour une bonne raison : la Corse a plus besoin d’elle que l’inverse.

Alors, nous ne pourrions plus chérir la mémoire de Napoléon, autre héros plus corse que français. Mais si les nationalistes sont des élus qui prennent leur responsabilité, ils doivent tenir compte de ces très nombreux électeurs qui sont des patriotes français. Un sujet n’est jamais noir ou blanc et les séparations sont plus dures à vivre que les mariages.

RICHARD LISCIA

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5 réponses à Sur le sort de Colonna

  1. mathieu dit :

    Les corses ne sont pas totalement idiots: ils voudraient tous les avantages de l’appartenance à la France (économiques, sécuritaires, sociaux, sanitaires), cumulés à ceux de l’ « indépendance »: « immigration » (implantation) choisie, main-mise sur l’immobilier, sur l’éducation (passage de la langue corse en langue officielle, et nécessaire pour tout poste administratif dans l’île), etc.
    Un peu comme l' »autonomie  » du Pays basque espagnol, qui n’a d’espagnol que le nom (gouvernement autonome, basque 1ère langue obligatoire…).

  2. Laurent Liscia dit :

    Au vu de cette mauvaise foi, on est quand même tenté de larguer les amarres. Fermons le robinet et voyons ce qu’il advient du séparatisme tonitruant.

  3. tapas92 dit :

    Dans cette affaire, toujours commencer en rappelant (comme vous le faites bien) que « l’icône corse » était accompagné de deux autres complices, tous trois armés, pour abattre le préfet non armé et d’une balle dans le dos. Après, on peut discuter de tout …

  4. briseburne dit :

    A partir du moment où un homme est condamné quel que soit son crime, il appartient à l’Etat de le protéger.
    Prévenir et sanctionner les violences qui peuvent avoir lieu entre détenus et celles qui peuvent viser les personnels, protéger les détenus contre eux-mêmes font partie des missions de la pénitentiaire. C’est un devoir pour l’Etat et un droit pour la personne. Sinon c’est que vous êtes pour la peine de mort.
    Concernant les largesses de l’Etat, envers la Corse intéressez-vous donc à celles concernant l’Alsace-Moselle. Il y a des différences de poids et de mesures partout sauf que l’on feint de l’ignorer.
    Ensuite on peut se demander en réponse à ceux qui pensent que l’on n’aurait qu’à larguer ses amarres, pourquoi on y tient tant.

    Réponse
    Il ne me semble pas que l’État n’ait pas voulu protéger Colonna. Il me semble que les nationalistes corses souhaitent larguer les amarres avec la France. Colonna, agressé et dans le coma, ne méritait certes que la détention. Les nationalistes, prêts à des pourparlers sur l’autonomie de la Corse, font de l’agression contre Colonna un argument politique.Ce n’en est pas un.
    R. L.

    • Briseburne dit :

      Justement, c’est clair les nationalistes veulent larguer les amarres, l’Etat ne veut pas.
      Colonna un nationaliste qui a toujours nié son accusation. Une détention de haute sécurité ne s’adresse-t-elle qu’au monde extérieur ?
      Vous avez par ailleurs une conception idéalisée et donc normative de l’argumentation mais… l’histoire de l’autonomie corse est aussi vieille que l’île.
      Réponse
      Vous êtes sûr que l’État, qui a proposé d’emblée l’autonomie, ne veut pas affranchir la Corse ? Quant à ma conception « idéalisée et donc normative de l’argumentation », formule qui me semble hermétique, elle repose sur les faits. L’assassinat du préfet Érignac est un crime qui a valu à Colonna la perpétuité. Sous le prétexte d’obtenir le maximum de pouvoir, les nationalistes font comme si le crime n’était qu’un acte politique de subversion.
      R. L.

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