Le deuil de la Corse

Un héros corse
(Photo AFP)

Yvan Colonna est mort hier des blessures que lui avait infligées il y a trois semaines un co-détenu à la maison d’arrêt d’Arles. Déploré unanimement par tous les Corses, le décès de Colonna risque de compliquer le processus d’émancipation de l’île.

NATIONALISTES ou pas, les Corses pleurent la mort de Colonna, qu’ils considèrent non pas comme un assassin mais comme un martyr de l’État français. Il a toujours clamé son innocence, mais sa première condamnation a été confirmée par deux grandes instances judiciaires. Si l’État a commis une faute, c’est d’avoir dépaysé sa prison, ce qui a entraîné un drame que personne ne pouvait prévoir : d’une certaine manière, la peine de mort, abolie en France depuis 1981, lui a été appliquée. L’État français et la majorité nationaliste corse sont séparés par un très vif désaccord politique sur le sens et la raison même de la condamnation de Colonna. Le premier considère que la justice est passée et a conféré au préfet Claude Érignac le statut de héros ; les seconds mettent en doute la culpabilité de l’assassin, et en font, abusivement, le Bolívar de la cause corse.

Le vent politique a tourné.

L’agression dont a été victime Colonna a été prise très au sérieux par le gouvernement. Par la voix du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, il a aussitôt mis sur la table le projet d’autonomie de l’île de Beauté. Un irrédentisme bien connu a fait que la jeunesse corse n’a pas cessé de manifester et de se livrer à des déprédations, comme si le vent politique n’avait pas brusquement tourné. C’est dans ce climat que se produit la mort de Colonna, alors que des négociations avec le gouvernement peuvent aboutir et ramener le calme dans l’île. L’autre geste du gouvernement, c’est le rapatriement dans une prison corse de deux co-détenus de Colonna. Il n’est pas sûr du tout que ces mesures remarquables d’apaisement soient efficaces, d’autant que la négociation sur l’évolution du statut politique de la Corse n’aura pas lieu avant la fin de la phase électorale.

Un gâchis.

On mesure le gâchis : il n’est pas nécessaire de croire à l’innocence de Colonna pour penser qu’il aurait dû être mieux protégé ; ou, au moins, que les condamnés n’avaient pas besoin d’être placés dans une prison du continent ; que la proposition d’autonomie aurait dû être faite il y a longtemps, en tout cas avant l’agression contre Colonna, qui a embrasé la Corse. C’est au moment où le pouvoir consent à envisager d’accorder son émancipation à la Corse que sa crédibilité, aux yeux des nationalistes, est à son plus bas. Ce schisme s’impose non pas sous l’effet de la raison, mais sur ce qui sépare des Corses les Français du continent. Bien que le langage des nationalistes soit extrêmement prudent, ils n’ont jamais admis la culpabilité de Colonna et peut-être même pas celle de ses complices. Or nous parlons d’un crime prémédité, d’une conspiration pour faire un « coup d’éclat » sinistre, d’un défi lancé à l’État français dont le préfet Érignac fut le très remarquable représentant.

Le mépris de l’État de droit. 

D’une certaine manière, la mort de Colonna, que personne ne souhaitait, a clos un épisode très douloureux des rapports entre la France et la Corse. Certes, les nationalistes sont impatients mais leur mépris pour l’État de droit est une injure à la démocratie française. Un mépris qui doit être constaté et enregistré, de manière à ce qu’il devienne l’instrument de l’autonomie. Il eût été préférable que le processus ne fut pas lancé par une tragédie. Il y a quelque chose d’énorme dans un extrémisme si violent qu’il en arrive à éliminer un haut fonctionnaire de l’État. Les Corses peuvent toujours parler leur langue, cultiver leur insularité, développer tout ce qu’ils ont de spécifique et qu’ils ne partagent avec leurs compatriotes actuels, il demeure que ceux d’entre eux qui s’installent en France deviennent souvent des citoyens exceptionnels, et très attachés à notre modèle national.

RICHARD LISCIA

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