Qatar et éthique

France-Australie
(Photo AFP)

Le lancement de la coupe du monde de football au Qatar montre que toutes les réserves au sujet de l’organisation de la compétition dans ce pays ont été balayées par le premier but marqué. La France a battu l’Australie par quatre buts à un et la surprise est venue de l’Arabie saoudite qui, contre toute prédiction, l’a emporté contre l’Argentine.

CE QUI aurait grandi notre pays, c’est de ne pas participer à la coupe du monde. On ne l’a pas plus tôt écrit que l’on se rend compte qu’il s’agit d’une formule parfaite pour se faire des millions d’ennemis. À la corruption dans laquelle baigne le football mondial, s’ajoutent, s’agissant du Qatar, les incompatibilités climatiques qui ont conduit ce pays à installer une climatisation hors de prix, facteur de pollution, et à pratiquer un travail forcé qui a tué, littéralement, des centaines de travailleurs étrangers, obligés de construire stades et hôtels dans une atmosphère à 50 degrés.

Des travaux pharaoniques.

Il vaut mieux reconnaître que les gens indifférents au foot (il y en a) n’auraient guère été affectés par un boycott tandis que les amateurs se seraient insurgés. La politique étant dans tout, y compris dans le ballon rond, c’est le fatalisme de ceux pour qui le respect de l’éthique a encore un sens qui aura permis au Qatar d’abriter la coupe 2022, sorte de médaille extrêmement rare qui, d’ailleurs, confère au pays-hôte une aura indiscutable.  Comment les hauts gestionnaires du foot mondial ont jugé normal le choix du Qatar, combien de haies le Qatar a franchies à coups de millions de dollars dépensés, comment on a tu l’ampleur de l’hécatombe causée par des travaux pharaoniques, tout cela relève d’une ambition que ce point perdu dans l’immense Arabie a nourrie avec fièvre et surtout en y ajoutant l’argument décisif d’un irrésistible flot d’argent.

À rebours de l’histoire.

De toute façon, le triomphe du Qatar est un peu dérisoire : plus d’étrangers y vivent que de nationaux. Son nationalisme est alimenté par le pétrole, dont il exporte 90 % de sa production. Les paradoxes sont donc nombreux ; jamais le pétrole n’aura joué un rôle géopolitique aussi important, jamais les énergies fossiles, condamnées par la crise climatique, n’ont semblé aussi utiles et même précieuses, jamais événement voulu par les hommes n’aura été à ce point à rebours de l’histoire.

Une passion.

On se souviendra de ce Mondial comme du dernier cri d’une humanité intoxiquée par le pétrole. Comme le dernier hommage rendu à un ingrédient dont nous aurions enfin décelé la toxicité et que nous serons contraints d’abandonner si nous voulons survivre. Le « dernier » ? On nous serinera une argumentation toute prête dans quatre ans. Encore une minute, Monsieur le climat. Nous assassinons la planète pour y célébrer la joie de vivre et d’assouvir une passion, le football.

Le procès de l’argent.

Je vois bien de quel mépris je ferais l’objet si cet article n’était lu que par des fans de foot. La littérature nous a montré que les pires de passions animent les êtres humains et les vouent parfois à leur perte. Encore que le foot, en tant que tel, ne soit pas une activité délictuelle. C’est surtout une occasion de boire de la bière et de ne pas chercher à égaler les scores des joueurs professionnels. À quoi s’ajoutent des contrats aux montants si élevés qu’ils en deviennent absurdes dès lors qu’ils dépassent les revenus des patrons des plus grandes entreprises du monde. Qui a fait le procès de ces six cent millions et plus payés par contrat à Kilian Mbappé ? En revanche, tout patron de l’industrie automobile doit rendre des comptes au sujet de son salaire, même s’il a sauvegardé des milliers d’emplois, ou en a créé d’autres.

Pauvre Racine.

Voilà donc un événement dont je ne saurais pas faire la chronique, car je suis privé de toute compétence en la matière. La démesure du foot l’a rendu à la fois éternel, qatari, supérieur au réchauffement climatique, hors du temps, hors sol, hors polémique. Il en est devenu l’expression la plus délicate, la plus subtile, de la poésie. Le foot va jusqu’au tréfonds du cœur et de l’âme, il emballe, il sort le corps de ses gonds. C’est une folle passion, c’est Racine, c’est l’excès dont tout être humain est capable. Pauvre Racine.

RICHARD LISCIA

 

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5 réponses à Qatar et éthique

  1. Celicout dit :

    Bravo, M. Liscia. Vous exprimez avec talent une opinion qui est sûrement plus répandue qu’on veut bien le dire, Mais il est tellement facile de se taire. Et l’influence des médias et des réseaux sociopathes font le reste.
    Avec vous, sans aucune retenue !
    Réponse
    Merci.
    R. L.

  2. Woznica dit :

    Quand on voit ces foules hystériques et abreuvées dans les tribunes, on ne peut qu’être pessimiste sur le genre humain.

  3. Laurent Liscia dit :

    Il faudra néanmoins faire le procès de la FIFA apres la conclusion de la coupe. Certes, la foule (y compris moi) s’emballe pour l’heure – mais on sait que ni les exigences du Qatar ni les manigances de la FIFA ne sont appréciées par les fans. Ce scandale planétaire et totalement public ne peut pas rester impuni. Il est vrai aussi, comme tu l’expliques, qu’une fois le ballon frappe, on oublie tout : depuis le changement de climat jusqu’à la corruption. Mais n’est-ce pas exactement le … but ? Panem et circenses.

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