Solitude de l’exécutif
(Photo AFP)
Dans l’affaire des retraites, le décompte des manifestants et des grévistes est secondaire. On est là, comme sœur Anne, à scruter l’horizon et à détecter un mouvement qui ne se produit pas. Ce qui compte, c’est le choc des déterminations, celle de l’exécutif n’étant pas plus faible que celle des oppositions et des syndicats.
LE REFUS de céder entraîne les excès verbaux et tactiques des parties en présence. On assiste à une pantalonnade qui n’a pas épargné le Parlement et qui enthousiasmera la rue jusqu’à ce qu’elle se livre à des actes de violence. Cela ne compte pas non plus. On ne peut décidément pas se contenter de faire de la politique, de s’emparer de la crise, alors que nous avons tant de problèmes à résoudre et que, dans les deux camps, ce sont in fine les parties en conflit qui dicteront du sort de la réforme. L’argumentation du nombre des opposants est tellement naïve et associée à tant de mensonges à propos des intentions autoritaires du gouvernement que ses meilleurs soutiens se demandent s’il ne doit pas céder, maintenant qu’il a sondé les cœurs et les reins et que, clairement, le contenu de la réforme a été assez modifié pour qu’elle ait perdu une bonne partie de sa signification.
Marine attend son heure.
C’est la politique qui assure la maœuvre. Je ne peux pas reculer, se dit Macron, car je ne serais plus qu’un canard boîteux ; les Républicains songent moins au contenu de la réforme qu’au parti qu’ils sont en mesure d’en tirer ; la gauche nupéisée reste fidèle à elle-même, menant avec les accents de Saint-Just une campagne contre des institutions selon elle inadaptées ; lovée dans son sofa avec ses chats, Marine Le Pen attend patiemment de tirer les marrons du feu en campant, comble de l’absurde, sur sa retraite à 60 ans, dépassant ainsi les pires espoirs de nos concitoyens.
Des voix pour le RN.
Vous aurez peut-être remarqué que plus Jean-Luc Mélenchon dénonce les menées de l’exécutif, plus il crée de suffrages pour le rassemblement national. RN et LFI ne se parlent jamais mais s’entendent fort bien : c’est à eux deux le parti de Poutine, l’anti-zelenskisme, le territoire de la folie douce où l’on rase gratis. Du coup, les quelques morceaux de bravoure, comme le discours puissant de Gabriel Attal devant l’hémicycle, sont emportés comme fétus de paille par la bourrasque.
Une France en pâmoison.
Il y a de la vérité dans ce qu’ils disent parfois : oui, le gouvernement n’a pas assez réfléchi aux carrières longues et à la pénibilité du travail ; oui, si on ne bouge pas, la dette française, déjà énorme (3 000 milliards d’euros), va augmenter ; et oui, ce n’est pas honteux de le dire, cette réforme n’a de sens que si elle rapporte de l’argent et qu’elle réduit notre déficit budgétaire. Y renoncer, c’est rejoindre Boris Johnson et son Brexit et gouverner, avec toutes les difficultés du monde, une France en pâmoison.
Il y a un temps pour tout.
Les revirements de la stratégie de l’exécutif sont aisément explicables. Comme dans l’Ecclésiaste, il y a un temps pour le « quoi qu’il en coûte » et un temps pour la réforme des régimes de retraites. Il existe une explication rationnelle pour chaque contradiction et les crises accumulent les contradictions stratégiques décidées en fonction des vents contraires. Mais bon, s’il est pratiquement impossible de justifier toutes les embardées du parcours de deux mandats successifs, il serait logique de ne point trop en faire. Macron est un général qui a décidé de camper sur un pont vulnérable et d’encaisser jusqu’au bout les obus de l’artillerie ennemie. Ce n’est peut-être pas judicieux. Autre chose : on avait dit, au bout du bout, il y a le 49/3, le voilà qui est honni, tabou, répugnant même, alors que, en réalité, il deviendrait assez utile pour épargner aux Français sinon la réforme, l’examen de 20 000 amendements.
Gouvernants et gouvernés, pouvoir et opposition, ressaisissez-vous ! Renoncez aux illusions dont on vous abreuve nuit et jour. Choisissez votre destin commun.
RICHARD LISCIA