CERTES, on compte près de 2 millions de pèlerins cette année. Mais on croyait les pouvoirs publics saoudiens suffisamment rodés pour gérer cette foule dans le calme et la sécurité. Apparemment, le drame s’est produit quand un cortège en a rencontré un autre qui arrivait dans l’autre sens. C’est une faute monstrueuse commise par les organisateurs. Ce qui pose la question de l’usage que l’Arabie fait de son monopole de la foi musulmane. Les proportions de la tragédie sont telles que le gouvernement saoudien, aussi secret qu’il soit pour ses décisions, ses choix et ses actions, est obligé de rendre des comptes, ne serait-ce que parce que les victimes ont des nationalités multiples et que Riyad doit s’expliquer devant une foule de gouvernements étrangers.
Affaire de gigantisme.
L’opinion internationale, que les méthodes saoudiennes en matière de droits de l’homme inquiètent, s’aperçoit qu’à la cruauté de la justice d’Arabie s’ajoute l’incompétence de ses personnels haut placés. Tout, dans ce pays, est affaire de gigantisme, les gratte-ciel, les réserves pétrolières, les réserves financières, mais aussi les ambitions. Pour le pèlerinage annuel à La Mecque, l’idée, renforcée par un nombre croissant de touristes religieux, est d’en accueillir toujours plus, souvent dans des hôtels neufs et hors de prix, mais pas nécessairement dans la qualité et la sécurité.
À quoi s’ajoute un problème tout aussi important : le fait que la foi wahhabite a incité nombre de jeunes saoudiens à rejoindre les rangs des terroristes de tout bord. Oussama Bel Laden avait poussé la surenchère religieuse jusqu’au fanatisme, et ses lieutenants avaient formé les assassins du 11 septembre 2001, dont la plupart étaient saoudiens. L’État islamique est allé encore plus loin et a presque supplanté Al-Qaïda. Aujourd’hui, l’Arabie se bat contre des ennemis qu’elle a éduqués et formés naguère, et aussi contre le chiisme iranien : au Yémen, une guerre civile oppose les chiites aux sunnis soutenus par Riyad. Certes, Daech a dépassé Al Qaïda en sauvagerie et diverses raisons géopolitiques, le pétrole en particulier, ou le choix comme ami du moins mauvais ennemi, ont fait que l’Arabie a des rapports excellents avec les Occidentaux, les États-Unis et la France notamment.
Spécialiste des droits de l’homme.
Au pays des sables, si on ne meurt pas dans un pèlerinage, on court des risques à trop penser. Un jeune chiite de 21 ans, Ali Al-Nimr, risque d’être décapité à tout moment parce qu’il a manifesté contre le pouvoir il y a quatre ans. Le gouvernement saoudien n’entend pas le gracier en raison de la catastrophe survenue hier. À vrai dire, les deux questions n’ont aucun rapport sinon, peut-être, que tant de deuils devraient inspirer un peu de clémence à la monarchie théocratique. En trente ans, 2208 personnes ont été exécutées en Arabie saoudite. Et il ne faut pas oublier le cas d’une autre jeune homme, que j’ai déjà exposé dans ce blog, et qui a été condamné à recevoir 1 000 coups de fouet.
La France est très mal placée pour faire des remontrances à l’Arabie saoudite, qui, en vertu du cycle des présidences, se retrouve ces jours-ci à la tête de la Commission de l’ONU pour les droits de l’homme. Quelle absurdité ! Les Nations unies ne pouvaient pas mieux se discréditer. Manuel Valls et quelques ministres se rendent le mois prochain à Riyad, qui envisage d’investir 50 milliards d’euros dans l’économie française. Il est vrai que la création d’emplois est une tâche sacrée. Il est vrai qu’il est plus facile à l’opposition, de Bruno Le Maire à François Bayrou, de critiquer la politique arabe de la France. Mais un rendez-vous franco-saoudien consacré à une aide financière ne pouvait se produire à un pire moment.
RICHARD LISCIA