Une mémoire très sollicitée

Maurice Papon
(Photo AFP)

Le président Hollande a officiellement reconnu hier, au nom de la République, la « sanglante répression » de la manifestation d’Algériens du 17 octobre 1961. Sa décision a été saluée par les Algériens d’Algérie et de France, ainsi que par les Français issus de l’immigration algérienne. Elle a été critiquée par la droite et dénoncée par l’extrême droite. 

LA VERSION officielle des événements du 17 octobre 1961 était pour le moins minimaliste, dès lors qu’elle ne mentionnait que trois personnes tuées « par des policiers en état de légitime défense ». Chacun sait aujourd’hui que la répression de cette très grande manifestation en faveur de l’indépendance de l’Algérie a fait des dizaines ou même des centaines de morts. La reconnaissance par l’État français d’un acte particulièrement sauvage semblait toutefois impossible dès lors que l’épisode sanglant s’est produit sous la présidence du général de Gaulle.

On est obligé d’établir une comparaison avec la reconnaissance, par Jacques Chirac, soutenu par François Hollande, de la contribution de l’État français au génocide des juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Le crime d’État commis par le gouvernement de Philippe Pétain était infiniment plus grave mais plus facile à reconnaître parce qu’il suffisait de stigmatiser, une fois de plus, les aberrations d’un régime qui collaborait avec Hitler. Voilà pourquoi le président du groupe UMP, Christian Jacob, juge « intolérable » la démarche de M. Hollande. Il y voit une manière de dénoncer le gaullisme dont se revendiquent encore de nombreux élus et militants de l’UMP. Quant à Jean-Marie Le Pen, qui a lutté par les armes pour que l’Algérie restât française, il ne pouvait que s’emporter contre la décision du président de la République, à qui il n’accorde aucune autorité, pas plus qu’à M. Chirac, s’agissant des persécutions anti-juives, pour engager la responsabilité de l’État.

Seul le chef de l’État…

Curieuse critique, car qui, en dehors du magistrat suprême, peut faire un choix de ce genre ? Certes les historiens ne cessent de se plaindre de l’irruption du politique dans la reconstitution historique. Mais l’histoire et ses terribles guerres laissent des plaies béantes qu’il importe de cicatriser quand elles empêchent la réconciliation des peuples. Il n’y a jamais aucune honte à admettre la vérité. Il y a plutôt un courage qui honore ceux qui font cet aveu. Or la vérité ne se situe pas dans un communiqué officiel, publié en 1961 par le préfet de Paris, lequel n’était autre que Maurice Papon, lui-même condamné pour la déportation vers l’Allemagne de quelque 1 300 juifs de la région de Bordeaux pendant l’Occupation. François Hollande n’avait pas qu’un objectif moral. Il s’est dit qu’il ne courrait aucun risque à accabler Maurice Papon, persécuteur de juifs et d’Arabes. Et, à la veille d’un voyage officiel en Algérie, il a souhaité satisfaire une revendication de longue date des Algériens.

Mais, en dehors de la présence de Papon dans les deux cas, ces deux épisodes infiniment regrettables de l’histoire de France n’ont rien en commun. La colonisation a été un abus  conduisant à nier le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ; et la France, même si elle a dispensé là où elle est allée du savoir et surtout des idées, ne se réjouit plus guère de son passé colonial. D’autant que la fin de l’Empire ne lui a causé, en définitive, aucun dommage. En Algérie, elle a été confrontée à une révolution armée. Les manifestants de 1961 avaient pour objectif, sur un mot d’ordre du FLN, de déstabiliser le pouvoir avec l’espoir d’obtenir une accélération du processus d’indépendance. Ils y sont parvenus l’année suivante, preuve qu’ils savaient fort bien où ils allaient. En France, comme en Algérie, le FLN a choisi l’affrontement. C’était une guerre, en dépit de ce qu’affirmaient les pouvoirs publics français. Il n’y a pas eu de guerre entre la France et ses juifs.

On retiendra donc, au titre de la vérité historique, la nature féroce et disproportionnée de la répression du 17 octobre 1961 et on approuvera François Hollande sur ce point. Il est temps, néanmoins, de rendre à la recherche historique ce qui lui appartient. De demander aux historiens d’écrire sur le passé de la France des vérités aussi plausibles que possible. Et de convier nos gouvernements à s’occuper surtout du présent et de l’avenir.

RICHARD LISCIA

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