Une presse mal en point

Un kiosque à journaux
(Photo AFP)

Les quotidiens nationaux ont renoncé à paraître aujourd’hui. Leurs directions savaient en effet qu’ils ne seraient pas distribués par Presstalis, l’organisme chargé de les envoyer aux quatre coins du pays, et qui est en grève perlée depuis plusieurs mois, à cause d’un projet de restructuration qui diminuerait les effectifs de moitié, de 2 500 à 1 250 salariés.

L’HISTOIRE DES RELATIONS entre les journaux et leur messagerie est jalonnée de conflits qui ont beaucoup contribué, entre autres facteurs, à l’affaiblissement de la presse quotidienne nationale. Elle remonte à un âge d’or, c’est-à-dire à l’époque où les journaux, qui n’étaient pas encore concurrencés par la télévision, étaient lus religieusement par le public et où les directions pouvaient accorder aux ouvriers du Livre des avantages considérables. Confrontées à une baisse d’audience due principalement à la télé et à la radio, le syndicat des NMPP, Nouvelles messageries de la presse parisienne, la CGT, s’est battu pour conserver ses avantages acquis, mais n’a pas pu, économie oblige, empêcher les licenciements et la création d’une messagerie moderne, Presstalis. C’est elle qui, en dépit de tous les efforts d’adaptation, est au bout du rouleau. Les salariés du Livre CGT ont vu leur statut se réduire comme peau de chagrin et ont continué à défendre des positions intenables. Ce qui n’a pas empêché la disparition d’une majeure partie de leurs effectifs mais finira par achever ce qu’il reste de la presse quotidienne.

Suppressions de parutions.

Les journaux, dont les ventes ont diminué de la  moitié ou des deux tiers (et souvent disparaissent, par exemple dans le cas du défunt France-soir) ne survivront pas aux suppressions de parutions infligées par les syndicats. Internet, la presse gratuite, les innombrables moyens d’accéder à l’information, les technologies qui ont diminué la qualité du message écrit au profit de l’instantané, le besoin croissant du public de s’exprimer sur les réseaux sociaux avant même d’avoir compris l’information, le mimétisme social qui fait que le métier de journaliste est dévalué car le lecteur se croit écrivain en puissance, tous ces facteurs constituent autant de coups de boutoir contre la presse quotidienne, forcée de passer au numérique sans avoir les clefs des nouvelles recettes qui assureraient son existence. Dans un tel contexte, les aléas créés par de lourdes pertes liées aux non-parutions sont mortels.

On ne dira jamais assez que le journalisme est une profession, quoi que l’on pense des journalistes, quelle que soit la méfiance qu’ils inspirent, à tort ou à raison, au public. La presse souffre à la fois de la mutation technologique, qui privilégie le temps à l’espace et de la dépréciation du journaliste, pourtant formé dans de bonnes écoles, et livré à tous les dangers par de multiples conflits dans le monde. Chaque année des dizaines de journalistes meurent sur les théâtres de guerre. La profession mérite mieux, en général, que le mépris. Le goût de l’écrit a été remplacé par le plaisir de s’exprimer et de commenter ce qui est publié sur Internet. De sorte que la plupart des lecteurs négligent la qualité de la rédaction : ils cherchent moins à apprécier un bon article qu’à éprouver eux-mêmes une émotion qui leur inspirera une réponse, ou plutôt une riposte.

Des erreurs stratégiques.

On reconnaîtra que les quotidiens nationaux sont partiellement responsables de leur sort. Ils n’ont jamais su séparer l’information du commentaire, l’investigation de l’analyse et leur engagement politique, au lieu d’être cantonné dans les « op ed », ou pages éditoriales, suinte de toutes leurs colonnes, de sorte qu’on ne peut les lire que si on partage leur point de vue. Quand un quotidien est neutre, comme c’est le cas du « Parisien », il s’adresse principalement à un public large et moins exigeant sur l’exposé des faits et leur approfondissement. Il manque encore aujourd’hui un grand quotidien national qui serait objectif. La raison en est d’ailleurs commerciale, les directions préférant s’attacher la fidélité de leur lectorat, censé partager leurs idées. Il est possible, probable, que la presse quotidienne nationale ne survivra pas en l’état et devra changer ou périr. Le journaliste qui écrit ces lignes, tout en étant un avide lecteur de journaux, ne cachera pas sa nostalgie.

RICHARD LISCIA

 

 

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